Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Décoration Façade a demandé au tribunal administratif de Versailles, d'une part, de constater la nullité du procès-verbal d'infraction n° 2018/4045/01 du commissariat de police de Saint-Germain-en-Laye, et des actes subséquents, et, d'autre part, d'annuler la décision du 12 novembre 2018 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a décidé de lui appliquer une contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 71 400 euros, ainsi que la décision du 7 janvier 2019 rejetant son recours gracieux contre cette décision.
Par un jugement n° 1901900 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 février 2021, la SARL Décoration Façade, représentée par Me Skander, avocat, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 12 novembre 2018 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a décidé de lui appliquer une contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 71 400 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision en litige est entachée d'un défaut de motivation ;
- la contribution qui lui a été infligée est fondée sur des faits qui ne sont pas matériellement établis dès lors que le procès-verbal 2018/4045/01 a été déclaré nul par jugement du tribunal correctionnel de Versailles du 5 novembre 2018 ;
- la décision est entachée d'erreur d'appréciation dès lors qu'elle est de bonne foi, n'ayant à procéder à aucune vérification au vu des documents produits par ses salariés ;
- le montant de la contribution mise à sa charge est erroné et excessif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), représenté par Me Schegin, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SARL Décoration Façade.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bonfils,
- et les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. A l'occasion d'un contrôle mené le 5 avril 2018 sur un chantier de réhabilitation d'une maison individuelle à Croissy-sur-Seine attribué à la société Enerclean ENR, les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France ont constaté la présence de quatre ouvriers, dont deux ressortissants tunisiens dépourvus d'autorisation de travail. Les investigations menées ultérieurement, tant par les services de police qui notamment ont, le jour même, auditionné l'ensemble des protagonistes du contrôle, que par la DIRECCTE auprès des différentes sociétés impliquées sur le chantier contrôlé, ont révélé l'emploi par la SARL Décoration Façade, sous-traitante de la société Enerclean ENR, de deux autres ressortissants étrangers dépourvus d'autorisation de travailler. Au vu d'un procès-verbal dressé le 5 avril 2018, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), par une décision du 12 novembre 2018, a décidé d'appliquer à la SARL Décoration Façade la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 71 400 euros correspondant à l'emploi irrégulier de quatre ressortissants étrangers, dont deux contrôlés en situation de travail le 5 avril 2018 sur le chantier de Croissy-sur-Seine. Par une décision du 7 janvier 2019, le recours gracieux formé par la SARL Décoration Façade contre cette décision a été rejeté. La SARL Décoration Façade relève appel du jugement du 28 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant notamment à l'annulation des décisions des 12 novembre 2018 et 7 janvier 2019.
2. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". L'article L. 8253-1 du même code dispose : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat selon des modalités définies par convention. (...) ".
3. D'une part, il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi comme juge de plein contentieux d'une contestation portant sur une sanction prononcée sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail, d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision et de prendre, le cas échéant, une décision qui se substitue à celle de l'administration. Celle-ci devant apprécier, au vu notamment des observations éventuelles de l'employeur, si les faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de cette sanction administrative, au regard de la nature et de la gravité des agissements et des circonstances particulières à la situation de l'intéressé, le juge peut, de la même façon, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir la contribution, au montant fixé de manière forfaitaire par les dispositions citées au point 2, ou en décharger l'employeur.
4. D'autre part, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Il n'en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal.
5. Pour infliger à la SARL Décoration Façade la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail, l'OFII a fondé sa décision du 12 novembre 2018 sur un procès-verbal établi par les services de l'inspection du travail des Yvelines à l'encontre de la SARL Décoration Façade le 5 avril 2018 constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail pour quatre travailleurs. Or, il résulte de l'instruction que les services de la DIRECCTE ont établi un procès-verbal seulement le 23 juillet 2018, à la suite d'investigations complémentaires ayant permis de constater la situation de travail irrégulier de quatre employés de la société Décoration Façade dont deux seulement se trouvaient sur les lieux contrôlés le 5 avril 2018. Les procès-verbaux datés du 5 avril 2018 ont été établis par les services du commissariat de police de Saint-Germain-en-Laye, lesquels ont, le jour même du contrôle, auditionné les quatre ouvriers présents sur le chantier. Ainsi que le fait valoir la société requérante, le tribunal de grande instance de Versailles, statuant en matière correctionnelle, par un jugement du 24 décembre 2018, a constaté la nullité de l'ensemble de la procédure 2018/4045/01 du commissariat de police de Saint-Germain-en-Laye, dont l'audition des deux ressortissants tunisiens présents sur le chantier et du gérant de la SARL Décoration Façade, motif pris de l'absence de fondement légal et d'irrégularité du contrôle d'identité initial. Dès lors que les procès-verbaux établis le 5 avril 2018 font partie intégrante de la procédure déclarée irrégulière par le juge pénal, les faits qui en résultent ne peuvent être regardés comme établis. Dans ces conditions, l'OFII s'étant seulement basé sur un procès-verbal établi le 5 avril 2018, le moyen tiré de ce que la contribution infligée repose sur des faits qui ne sont pas matériellement établis du fait de l'annulation du procès-verbal 2018/4045/01 et de ses actes subséquents doit être accueilli.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la SARL Décoration Façade est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les décisions de l'OFII des 12 novembre 2018 et 7 janvier 2019 doivent être annulées et la SARL Décoration Façade doit être déchargée de la somme de 71 400 euros mise à sa charge par la décision du 12 novembre 2018.
Sur les frais liés au litige :
7. D'une part, les conclusions présentées par la SARL Décoration Façade sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont dirigées contre l'Etat, qui n'est pas partie au présent litige, et non contre l'OFII, qui a seul qualité de défendeur dans la présente instance. Elles ne peuvent, dès lors, être accueillies. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SARL Décoration Façade, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'OFII demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901900 du 28 janvier 2021 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : Les décisions prises par l'OFII les 12 novembre 2018 et 7 janvier 2019 à l'encontre de la SARL Décoration Façade sont annulées.
Article 3 : La SARL Décoration Façade est déchargée de la somme de 71 400 euros mise à sa charge par la décision de l'OFII du 12 novembre 2018.
Article 4 : Les conclusions présentées par les parties au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée (SARL) Décoration Façade et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023, à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président,
Mme Le Gars, présidente assesseure,
Mme Bonfils, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 septembre 2023.
La rapporteure,
M-G. BONFILSLe président,
S. BROTONSLa greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N° 21VE00575 2