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12/09/2023 | FRANCE | N°21VE02073

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 12 septembre 2023, 21VE02073


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Dikes a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner le département des Yvelines à lui verser une indemnité de 315 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 31 mars 2017 par laquelle le président du conseil départemental des Yvelines lui a retiré son agrément d'assistante familiale.

Par un jugement n° 1902675 du 6 mai 2021, le tribunal ad

ministratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Dikes a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner le département des Yvelines à lui verser une indemnité de 315 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 31 mars 2017 par laquelle le président du conseil départemental des Yvelines lui a retiré son agrément d'assistante familiale.

Par un jugement n° 1902675 du 6 mai 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 juillet 2021 et 15 décembre 2022, Mme A... Dikes, représentée par Me Mekarbech, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le département des Yvelines à lui verser la somme de 215 000 euros en réparation de ses préjudices financiers et la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral du fait du retrait de son agrément d'assistante familiale, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge du département des Yvelines le versement de la somme de 3 600 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la minute du jugement n'est pas signée, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le jugement est insuffisamment motivé au regard du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision du 31 mars 2017 par laquelle le président du conseil départemental des Yvelines lui a retiré son agrément d'assistante familiale est fautive ;

- elle a été prise au terme d'une procédure qui a méconnu le principe du contradictoire et les droits de la défense à l'occasion de la réunion du 2 février 2017 ;

- en outre, elle est entachée d'un détournement de procédure dès lors que le président du conseil départemental aurait entendu suspendre son agrément et non le lui retirer ;

- elle repose sur des faits matériellement inexacts, aucune contre-visite n'ayant été réalisée pour corroborer les constats relevés dans le rapport dressé par les puéricultrices le 30 décembre 2016, lequel ne répond pas au référentiel prévu par le décret n° 2012-364 du 15 mars 2012 et n'est donc pas objectif ; aucune possibilité de remédier aux manquements constatés ne lui a été donnée ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 421-3 et L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles ;

- cette illégalité engage la responsabilité du département ;

- le retrait de son agrément lui a causé un préjudice financier qui s'élève à la somme globale de 215 000 euros et un préjudice moral d'un montant de 100 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 décembre 2021 et 6 avril 2023, le département des Yvelines, représenté par Me Labetoule, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que Mme Dikes soit condamnée à lui verser une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable en tant qu'elle est tardive ;

- les conclusions indemnitaires dont le montant excède celui de la demande préalable sont irrecevables ;

- les moyens soulevés par Mme Dikes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bonfils,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bouchet pour le département des Yvelines.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... Dikes, qui était agréée en qualité d'assistante maternelle depuis 1994 et disposait d'un agrément en qualité d'assistante familiale délivrée par le département des Yvelines depuis 2004, a été engagée en 2006 par l'Association de sauvegarde de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte en Yvelines, et affectée au service placement familial de Versailles. A la suite d'une visite à domicile réalisée par deux infirmières puéricultrices le 30 décembre 2016 pour instruire une demande de dérogation déposée par Mme Dikes, le président du conseil départemental des Yvelines a, par une décision du 31 mars 2017, retiré à Mme Dikes son agrément d'assistante familiale. Mme Dikes ayant formé un recours gracieux le 26 mai 2017, la même autorité a, par une décision du 20 juillet 2017, décidé que l'agrément de Mme Dikes pouvait retrouver " son plein effet ". Par courrier du 13 septembre 2018, Mme Dikes a adressé au président du conseil départemental des Yvelines une demande tendant à l'indemnisation des préjudices financiers et moral qu'elle estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 31 mars 2017, demande qui a été rejetée de manière implicite. Mme Dikes relève appel du jugement du 6 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision lui retirant son agrément d'assistante familiale.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...), la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient Mme Dikes, la minute du jugement a bien été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur du dossier et la greffière d'audience, conformément aux dispositions précitées.

4. En second lieu, en indiquant, au point 2 de leur jugement, que la décision de retrait d'agrément du 31 mars 2017 revêtait le caractère d'une mesure de police prise dans l'intérêt des enfants accueillis et non celui d'une sanction disciplinaire, et que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne pouvaient pour ce motif être utilement invoquées par Mme Dikes à l'encontre de la procédure suivie pour adopter cette décision, les premiers juges, qui ont en outre examiné le respect du principe du contradictoire au point 4 du jugement, ont répondu au moyen soulevé devant eux par une motivation suffisante. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement, pris en ses deux branches, doit être écarté.

Sur la responsabilité du département à raison de la décision du 31 mars 2017 :

En ce qui concerne la légalité externe de la décision :

5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles : " Lorsque le président du conseil départemental envisage de retirer un agrément, d'y apporter une restriction ou de ne pas le renouveler, il saisit pour avis la commission consultative paritaire départementale mentionnée à l'article R. 421-27 en lui indiquant les motifs de la décision envisagée. / L'assistant maternel ou l'assistant familial concerné est informé, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, des motifs de la décision envisagée à son encontre, de la possibilité de consulter son dossier administratif et de présenter devant la commission ses observations écrites ou orales. La liste des représentants élus des assistants maternels et des assistants familiaux à la commission lui est communiquée dans les mêmes délais. L'intéressé peut se faire assister ou représenter par une personne de son choix. (...) ".

6. Mme Dikes soutient que le principe du contradictoire aurait été méconnu et les droits de la défense violés dès lors qu'elle n'a été informée préalablement à la réunion du 2 février 2017 ni de l'objet de celle-ci, ni de la possibilité de s'y faire assister par la personne de son choix. Toutefois, d'une part, il ne ressort pas du texte précité, et alors que la requérante ne précise pas dans ses écritures quelle disposition du code de l'action sociale et des familles aurait été méconnue, que le conseil départemental des Yvelines était tenu de respecter une procédure contradictoire en amont de la phase de convocation de l'intéressée devant la commission consultative paritaire départementale, laquelle s'est d'ailleurs régulièrement déroulée. D'autre part, et au surplus, il ressort tant du rapport établi le 13 février 2017 par les services du département des Yvelines, que du courrier adressé à Mme Dikes le 27 février suivant l'informant de l'engagement de la procédure de retrait de son agrément, dont le contenu n'est contredit par aucun élément, que l'intéressée a été reçue par la puéricultrice-coordinatrice du territoire d'action départementale de Saint-Quentin et le directeur du placement familial, le 2 février 2017 dans le prolongement de la visite réalisée par les services départementaux à son domicile le 30 décembre 2016. A l'occasion de cet entretien, la requérante a été mise en mesure de faire valoir ses observations sur les manquements relevés à son domicile ainsi que sur ses pratiques professionnelles et éducatives quant à la prise en charge globale des enfants accueillis. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense doit en tout état de cause être écarté.

7. En second lieu, si le courrier du 20 juillet 2017 mentionne par erreur qu'il est mis fin " à la suspension " de l'agrément de Mme Dikes, il ressort également des termes de la même décision que celle-ci fait suite à la décision de retrait d'agrément d'assistante familiale du 31 mars 2017, laquelle était formulée sans ambigüité, et que l'agrément de l'intéressée " retrouve son plein effet ". Par suite, Mme Dikes n'est pas fondée à soutenir que le président du conseil départemental aurait entendu suspendre l'agrément qui lui avait été délivré le 19 juin 2014, et non le lui retirer, et, au vu de cette seule erreur rédactionnelle, à se prévaloir d'un détournement de procédure.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision :

8. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, dans sa version applicable au litige : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. / Un référentiel approuvé par décret en Conseil d'Etat fixe les critères d'agrément. (...) / L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. (...) ". L'article L. 421-6 du même code, dans sa version applicable, dispose : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié. (...) ".

9. En premier lieu, pour décider de retirer l'agrément d'assistante familiale à Mme Dikes, le président du conseil départemental des Yvelines s'est fondé sur le rapport établi le 30 décembre 2016 par deux infirmières puéricultrices à l'occasion de la visite réalisée au domicile de la requérante, sur le rappel dont cette dernière avait fait l'objet en 2015 et sur l'entretien qui s'est tenu le 2 février 2017 dans les conditions rappelées au point 6 de l'arrêt. Il ressort de ces documents des manquements en termes de sécurité, notamment au regard des conditions de couchage des enfants et d'accès à différents produits ou endroits dangereux du logement, et d'épanouissement des enfants accueillis, tant au regard des jeux à leur disposition que de l'attitude même de Mme Dikes à leur égard. En outre, il est reproché à la requérante des manquements à ses obligations déclaratives à l'égard des services du département, et une absence de remise en cause par l'intéressée de son attitude face aux différents manques portés à sa connaissance. Si Mme Dikes soutient que les constats réalisés le 30 décembre 2016 ne sont pas objectifs, elle ne précise pas quelle disposition du décret n° 2012-364 du 15 mars 2012 aurait été méconnue alors qu'il ressort du compte-rendu détaillé établi par les deux infirmières-puéricultrices que les manquements relevés sont relatés en des termes précis et factuels, tant en ce qui concerne les conditions matérielles d'accueil que l'attitude de Mme Dikes dans la prise en charge des enfants accueillis. La requérante se plaint de l'absence de possibilité de remédier aux manquements qui lui sont reprochés. Toutefois, l'intéressée a été informée par un courrier du 26 janvier 2017 des aménagements à réaliser et a pu exposer ses observations le 2 février suivant. Si, ainsi que le fait valoir Mme Dikes, la contre-visite qui était prévue le 3 février 2017 ne s'est pas tenue, il résulte de l'instruction que l'intéressée était en arrêt de travail dès cette date, circonstance de nature à empêcher la tenue de cette contre-visite pour un motif étranger aux services départementaux, et que la requérante ne justifie par aucun document avoir, comme elle le soutient sans l'établir, réalisé les aménagements demandés avant le 31 mars 2017, date d'édiction de la décision contestée. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.

10. En second lieu, les quatre témoignages produits par Mme Dikes pour la première fois devant la cour, établis par des proches, par une jeune femme accueillie qui ne précise toutefois pas à quelle période elle a vécu au sein du foyer de Mme Dikes, et par une éducatrice spécialisée ayant travaillé avec la requérante mais dont le témoignage, établi en termes généraux, porte sur le placement d'un seul enfant, sont insuffisants à remettre en cause les constats réalisés le 30 décembre 2016 par deux professionnelles, intervenues dans le cadre d'une demande d'extension d'agrément déposée par Mme Dikes, et relatés en des termes précis et circonstanciés. Dans ces conditions, et dès lors, ainsi qu'il a été dit au point précédent, qu'il n'est pas établi que les manquements constatés étaient erronés ou qu'ils auraient fait l'objet de mesures destinées à y remédier avant la date du 31 mars 2017, en prenant la décision de retirer à Mme Dikes son agrément d'assistante familiale, le président du conseil départemental n'a pas entaché sa décision d'erreur d'appréciation.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme Dikes n'est pas fondée à soutenir que la décision du 31 mars 2017 par laquelle le président du conseil départemental des Yvelines a retiré son agrément d'assistante familiale serait entachée d'illégalité. Par suite, en l'absence de faute de nature à engager la responsabilité du département des Yvelines, les conclusions indemnitaires présentées par Mme Dikes doivent être rejetées.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le département des Yvelines, que Mme Dikes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département des Yvelines, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme Dikes demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme Dikes le versement au département des Yvelines d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée par Mme Dikes est rejetée.

Article 2 : Mme Dikes versera au département des Yvelines la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... Dikes et au département des Yvelines.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 septembre 2023.

La rapporteure,

M-G. BONFILSLe président,

S. BROTONS

La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 21VE02073 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE02073
Date de la décision : 12/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

04-02-02-02-01 Aide sociale. - Différentes formes d'aide sociale. - Aide sociale à l'enfance. - Placement des mineurs. - Placement familial.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : MEKARBECH

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-09-12;21ve02073 ?
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