Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par trois requêtes séparées, la société Electricité de France a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler les trois décisions du 23 mai 2019 par lesquelles la ministre du travail a mis en demeure les directeurs du centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Dampierre-en-Burly, de Chinon et de Saint-Laurent-des-Eaux de prendre toutes mesures appropriées afin de protéger les pièces nues sous tension des onduleurs LNE et a rejeté ainsi les recours hiérarchiques dirigés contre les décisions de mise en demeure du 4 février 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Centre-Val de Loire.
Par un jugement n° 1902653, 1902655, 1902656 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a joint ces demandes et les a rejetées.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 14 décembre 2021 et le 3 juin 2022, la société Electricité de France, représentée par Me Toison, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces décisions.
Elle soutient que les décisions attaquées sont entachées d'erreur d'appréciation concernant les dangers que les onduleurs LNE présentent pour les travailleurs du site, dès lors qu'aucune situation dangereuse ne peut être caractérisée justifiant la mise en demeure, qu'il est nécessaire de prendre en compte la réglementation électrique spécifique applicable, notamment la norme NF C 18-510, ainsi que les articles R. 4544-4 et R. 4544-8 du code du travail, et que la mise en place de protections collectives est techniquement impossible.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2022, la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que le moyen soulevé par la société Electricité de France n'est pas fondé.
Par ordonnance du 12 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 28 décembre 2023 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham, première conseillère,
- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,
- et les observations de Me Toison, pour la société Electricité de France.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme Electricité de France (EDF) exploite trois centres nucléaires de production d'électricité (CNPE) situés à Dampierre-en-Burly (45), à Chinon (37) et à Saint-Laurent-Nouan (41). A la suite d'un accident du travail mortel survenu sur le site du CNPE de Dampierre-en-Burly, ces centres ont fait l'objet de plusieurs contrôles menés par l'inspecteur du travail de l'autorité de sûreté nucléaire. Estimant que les onduleurs LNE en service dans ces trois CNPE présentaient un risque de contact électrique direct pour les personnes chargées des opérations de maintenance et d'essai, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Centre-Val de Loire a, le 4 février 2019, mis en demeure les directeurs de ces trois centres de prendre toutes mesures appropriées pour faire cesser le risque de contacts électriques directs sur les armoires LNE par des mesures d'organisation telles que la mise en place de protections collectives. A la suite d'un recours hiérarchique formé par la société EDF contre ces mises en demeure, la ministre du travail a, par trois décisions du 23 mai 2019, rejeté ces recours en enjoignant à chacun des directeurs de centre de prendre toutes mesures appropriées, dont pourraient faire partie la mise en place de protections collectives fixes ou l'élaboration de procédures de nappage, afin de prévenir le risque de contacts électriques directs entre ces appareils et les personnes chargées de leur maintenance. La société EDF a contesté ces décisions du 23 mai 2019 devant le tribunal administratif d'Orléans par trois demandes séparées. Par un jugement n°s 1902653, 1902655, 1902656 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a joint ces demandes et les a rejetées. La société EDF relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 4721-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, sur le rapport de l'inspecteur du travail constatant une situation dangereuse, peut mettre en demeure l'employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier, si ce constat résulte : / 1° D'un non-respect par l'employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 à L. 4121-5 et L. 4522-1 ; / 2° D'une infraction à l'obligation générale de santé et de sécurité résultant des dispositions de l'article L. 4221-1. ". Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels (...) ". Aux termes de l'article L. 4121-2 du même code : " L'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : (...) 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 4544-4 du code du travail : " L'employeur définit et met en œuvre les mesures de prévention de façon à supprimer ou, à défaut, à réduire autant qu'il est possible le risque d'origine électrique lors des opérations sur les installations électriques ou dans leur voisinage. A cet effet, il s'assure que : / 1° Les travaux sont effectués hors tension, sauf s'il ressort de l'évaluation des risques que les conditions d'exploitation rendent dangereuse la mise hors tension ou en cas d'impossibilité technique ; / 2° Les opérations effectuées au voisinage de pièces nues sous tension sont limitées aux cas où il n'a pas été possible de supprimer ce voisinage soit en consignant l'installation ou la partie d'installation à l'origine de ce voisinage soit à défaut, en assurant la protection par éloignement, obstacle ou isolation ; / 3° Les opérations d'ordre non électrique dans le voisinage de pièces nues sous tension sont limitées aux seules opérations qui concourent à l'exploitation et à la maintenance des installations électriques. ". L'article R. 4544-8 du code du travail dispose : " Pour la réalisation de travaux sous tension, l'employeur met en œuvre les mesures de prévention qui comprennent, compte tenu de l'évaluation des risques : / 1° La définition des modes opératoires appropriés ; / 2° Le choix des équipements de travail appropriés aux conditions et caractéristiques des travaux à effectuer ainsi que des équipements de protection individuelle et des vêtements de travail, appropriés aux risques et aux conditions dans lesquelles les travaux sont effectués. / Ces mesures de prévention sont conformes aux normes homologuées dont les références sont précisées par arrêté des ministres chargés du travail et de l'agriculture. ".
4. En premier lieu, il est constant que les protections collectives constituées par la carcasse métallique reliée à la terre et les portes fermées à clé de l'armoire électrique ne sont pas suffisantes pour protéger les salariés effectuant des opérations de maintenance sur les onduleurs LNE, lorsque ce type d'opération est réalisé avec la porte ouverte et sans consignation de l'installation. Par suite, la société EDF n'est pas fondée à soutenir que, du fait des protections collectives déjà installées, aucune situation de danger n'est caractérisée justifiant les mises en demeure litigieuses.
5. En deuxième lieu, la société EDF soutient que la sécurité des travailleurs est suffisamment garantie dès lors que les agents accédant aux onduleurs sont tous habilités et formés au risque électrique et sont, en outre, munis d'équipements de protection individuelle isolants. Toutefois, le 2° de l'article R. 4544-4 du code du travail préconise, pour les opérations effectuées au voisinage de pièces nues sous tension, la protection par éloignement, obstacle ou isolation, et l'article R. 4544-8 de ce même code dispose que l'entrepreneur met en œuvre les mesures de prévention qui comprennent le choix des équipements de travail appropriés aux conditions et caractéristiques des travaux à effectuer. Par ailleurs, le point 4.3.2. de la norme NF C 18-510 et le 8° de l'article L. 1421-2 du code du travail indiquent que, lorsque le risque n'a pu être supprimé par consignation ou mise hors tension, des mesures de protection collective doivent être envisagées en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle. Ainsi, il résulte de ces dispositions que l'employeur est tenu de donner la priorité aux protections collectives sur les protections individuelles et qu'il doit procéder à leur installation, sans que les protections individuelles déjà mises en place puissent l'exonérer de cette obligation.
6. En troisième lieu, la société EDF fait valoir les obstacles techniques s'opposant à la mise en place de protections collectives sur les onduleurs LNE et soutient qu'une protection collective supplémentaire augmenterait le risque d'électrocution, en raison de la nécessité de dépose et de repose de nappes isolantes lorsque l'appareil est sous tension, ce qui augmenterait le temps des interventions. Elle soutient également que de telles protections collectives pourraient entraver les flux thermiques et rendre l'onduleur hors d'état de fonctionnement. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la société Rolls-Royce Civil Nuclear SAS qui produit ces équipements a développé une solution technique permettant de mettre sous protection le bornier d'arrivée de l'alimentation de ces onduleurs et que cette protection a été jugée conforme pour le risque sismique. Il n'est pas établi que cette solution technique ne pourrait être étendue aux autres pièces de cet équipement. La société EDF ne produit aucune étude démontrant son incapacité à mettre en place les mesures préconisées par la ministre du travail ou même toute autre mesure de protection collective afin de prévenir le risque d'électrocution des agents chargés de la maintenance courante et des essais des onduleurs LNE. En conséquence, le moyen ne peut qu'être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société EDF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses demandes.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Electricité de France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Electricité de France, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Centre-Val de Loire.
Délibéré après l'audience du 27 février 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Le Gars, présidente,
M. Ablard, premier conseiller,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.
La rapporteure,
C. PHAM La présidente,
A-C. LE GARS
La greffière,
S. de SOUSA
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 21VE03342