Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune de Clichy-la-Garenne à lui verser la somme de 40 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation, en réparation des préjudices subis en raison des faits de harcèlement moral et de discrimination dont elle estime avoir été victime.
Par un jugement n° 1902427 du 24 février 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 avril 2022 et 19 février 2024, Mme C..., représentée par Me Cayla-Destrem, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Clichy-la-Garenne à lui verser la somme de 40 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2018 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Clichy-la-Garenne la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation et d'une dénaturation des pièces du dossier ;
- la commune de Clichy-la-Garenne a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité en commettant à son encontre des agissements constitutifs de harcèlement moral, pour des motifs discriminatoires ;
- elle a subi un important préjudice moral ainsi que des troubles dans ses conditions d'existence qu'il y a lieu d'indemniser à hauteur de la somme de 40 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2023, la commune de Clichy-la-Garenne, représentée par Me Landot, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florent,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Fouace pour la commune de Clichy-la-Garenne.
Une note en délibérée, enregistrée le 20 septembre 2024, a été présentée pour la commune de Clichy-la-Garenne.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., attachée territoriale de la commune de Clichy-la-Garenne depuis 2001, qui a notamment exercé des fonctions de responsable administrative et financière et de responsable de la coordination des centres sociaux de la commune, a formé auprès du maire de Clichy-la-Garenne, le 12 novembre 2018, une réclamation indemnitaire au motif qu'elle avait subi une mise à l'écart progressive depuis octobre 2016 et qu'elle était victime de discrimination et de harcèlement moral. Cette réclamation ayant été implicitement rejetée, Mme C... a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande de condamnation de la commune de Clichy-la-Garenne à lui verser la somme de 40 000 euros en réparation de ses préjudices. Par la présente requête, Mme C... relève appel du jugement du 24 février 202 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité :
2. Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983, désormais codifié à l'article L. 131-1 du code général de la fonction publique : " La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires. / Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses (...) ". Et aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983, désormais codifié aux articles L. 133-2 et L. 133-3 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime de discriminations ou d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'une telle discrimination ou d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les discriminations alléguées ou les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
4. Il résulte de l'instruction qu'à compter de 2016, une restructuration des services de la commune a été engagée, ayant abouti en 2017 à la création du centre d'animation Boisseau, regroupant les trois centres sociaux dont Mme C... assurait la coordination. Alors que la requérante exerçait jusqu'alors de nombreuses fonctions, l'ayant d'ailleurs conduite à solliciter une revalorisation salariale en décembre 2016 ainsi qu'une clarification et une réorganisation de ses missions en juin 2016 et décembre 2017, il résulte de l'instruction, notamment de son entretien d'évaluation pour l'année 2021, produit pour la première fois en appel, que Mme C... s'est trouvée à compter de juin 2018, date du recrutement du directeur du centre Boisseau, dépourvue de tâches, à l'exception de rares missions ponctuelles, son poste de coordinatrice des centres sociaux ayant perdu sa raison d'être et ses fonctions de responsable administrative et financière et de régisseur étant assurées par l'assistante du directeur. Son évaluation indique ainsi que Mme C..., qui ne figure pas sur l'organigramme du centre Boisseau, ne peut être évaluée en l'absence de missions confiées. Il résulte également de l'instruction que la requérante, qui souhaitait exercer un emploi de chef de service et anticipait la disparition de son poste de coordinatrice, a postulé à trois postes vacants entre 2014 et 2021 et que, si elle a été expressément informée du rejet de sa candidature sur le poste de directeur de la jeunesse et des centres sociaux le 8 octobre 2014, il n'a, en revanche, pas été répondu, malgré plusieurs relances de l'agent, à sa candidature de septembre 2016 au poste de directrice de la politique de la ville et l'intéressée soutient, sans être contestée, que l'entretien qui avait été fixé à la suite de sa candidature au poste de responsable de service emploi et développement de compétence a été annulé sans explication.
5. Si la commune de Clichy-la-Garenne fait valoir pour sa part que Mme C... n'a pas candidaté au poste de directeur du centre Boisseau, qu'elle a fait l'objet de très bonnes évaluations et qu'elle a pu suivre de nombreuses formations, il résulte de l'instruction que la requérante n'a fait l'objet d'aucune évaluation pour les années 2018, 2019 et 2020 et qu'alors qu'elle avait entamé un cursus de formation en 2019 pour accompagner son projet d'évolution professionnelle et de mobilité, la commune de Clichy-la-Garenne est revenue en mai 2019 sur son accord donné pour le suivi des deux dernières sessions de formation devant se dérouler sur quatre jours en août et septembre 2019, invitant la requérante à utiliser son compte professionnel de formation (CPF), puis qu'elle s'est abstenue de répondre aux demandes répétées de l'agent de bénéficier de ce CPF jusqu'en septembre 2021, date à laquelle un refus exprès lui a été notifié, sans pour autant que les motifs de ce refus soient précisés.
6. Il résulte encore de l'instruction que rapidement, Mme C... a cessé d'être conviée aux réunions hebdomadaires, sans que la commune n'explique pour quelle raison, avant leur suppression le 17 octobre 2022. La requérante n'était, par ailleurs, pas destinataire des courriels généraux du centre Boisseau, ainsi qu'en témoignent deux courriels versés au dossier. Il apparaît également de façon générale qu'il n'était pas répondu aux divers courriers de Mme C... ayant trait à sa situation professionnelle et qu'alors que la requérante était dépourvue de toute tâche à accomplir, la commune, malgré la relance du représentant syndical sollicité par l'agent, n'a reçu l'intéressée en entretien que plus de deux mois après sa demande initiale en septembre 2020. Ce rendez-vous n'a, en outre, eu aucune incidence sur la situation de l'intéressée qui, jusqu'à son arrêt pour une fracture en novembre 2022, est demeurée sans affectation, ni missions.
7. Il résulte enfin de l'instruction que la dégradation de la situation professionnelle de Mme C... est concomitante à sa découverte, en janvier 2018, d'une note manuscrite rédigée à l'attention du maire de Clichy-la-Garenne et accompagnant un ordre de mission de Mme C..., indiquant " M. B..., pour mémo, mari maire adjoint PCF à Nanterre, elle est perdue ". Si cette seule note, dont l'authenticité n'est pas sérieusement remise en cause, n'est pas suffisante pour caractériser une discrimination, elle est de nature à jeter un doute sur les motifs ayant conduit à la mise à l'écart de la requérante alors que celle-ci indique également, sans être contredite, s'être vu opposer un refus par la commune à sa demande de participation en tant que cheffe de bureau aux élections régionales ou départementales. En tout état de cause, indépendamment même de leur caractère intentionnel, l'absence d'affectation et de toute tâche confiée à l'agent durant plus de quatre ans ainsi que l'absence de réponse à ses différentes demandes, visant notamment à se former et à obtenir des missions correspondant à son grade et son expérience, alors que Mme C... donnait jusqu'alors toute satisfaction à la collectivité, constituent des éléments de fait de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Faute pour la commune de Clichy-la-Garenne de démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement, Mme C... est fondée à soutenir qu'elle a été victime d'agissements répétés de harcèlement moral ayant pour effet une dégradation de ses conditions de travail et engageant la responsabilité de la commune de Clichy-la-Garenne.
Sur le préjudice :
8. Si la commune de Clichy-la-Garenne soutient que le préjudice allégué par Mme C... n'est pas établi dès lors que les arrêts de travail de l'intéressée, durant le premier trimestre 2018, sont antérieurs aux agissements qu'elle reproche à la commune, d'une part, il résulte de ce qui précède que certains agissements sont antérieurs à cette date, d'autre part, la mise à l'écart de la requérante durant plus de quatre ans a nécessairement causé un préjudice moral ainsi que des troubles dans les conditions d'existence de l'intéressée, dont il sera fait une juste évaluation en allouant à Mme C... une somme de 10 000 euros, tous intérêts compris.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
10. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Clichy-la-Garenne la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens et de rejeter les conclusions présentées par la commune de Clichy-la-Garenne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1902427 du 24 février 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : La commune de Clichy-la-Garenne est condamnée à verser à Mme C... la somme de 10 000 euros, tous intérêts compris.
Article 3 : La commune de Clichy-la-Garenne versera à Mme C... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Clichy-la-Garenne tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et à la commune de Clichy-la-Garenne.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
J. FLORENTLa présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 22VE00979