Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... et M. B... E... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler la décision du 18 juillet 2024 par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) leur a refusé le bénéfice des conditions matérielles d'accueil et d'enjoindre à l'OFII, à titre principal, de leur accorder les conditions matérielles d'accueil, notamment en leur proposant un hébergement et en leur versant l'allocation pour demandeur d'asile à titre rétroactif, ou, à défaut, de procéder au réexamen de leur situation dans un délai de sept jours suivant la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2410764 du 9 août 2024, rectifié par ordonnance du 29 août 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a admis Mme A... D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé la décision de l'OFII du 18 juillet 2024, a enjoint à la directrice territoriale de l'OFII d'octroyer à Mme D... et M. E... le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à compter du 18 juillet 2024 dans un délai d'un mois, a mis à la charge de l'OFII la somme de 1 000 euros au bénéfice de Me Lejeune, conseil des requérants, sur le fondement des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus de leur demande.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2024 sous le n° 24VE02534, l'OFII, représenté par Me de Froment, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par Mme D... et M. E... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
2°) de mettre à la charge de Mme D... et M. E... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la circonstance qu'un demandeur d'asile soit entré régulièrement en France ne fait pas obstacle à ce que lui soit opposée la tardiveté de sa demande, déposée plus de quatre-vingt-dix jours après son entrée sur le territoire français, et s'en remet pour le surplus à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2024, Mme D... et M. E..., représentés par Me Lejeune, avocate, demandent à la cour :
1°) de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de rejeter la requête ;
3°) de mettre à la charge de l'OFII la somme de 1 500 euros au bénéfice de leur conseil sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative en cas d'admission définitive à l'aide juridictionnelle ou, dans le cas où cette aide juridictionnelle serait refusée, à leur propre bénéfice sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que leurs demandes d'asiles ne sont pas tardives compte tenu du caractère régulier de leur entrée et de leur séjour en France et qu'en tout état de cause, ils disposaient d'un motif légitime au dépôt tardif de leur demande dès lors que leurs craintes n'ont été caractérisées qu'à compter de l'adoption en Géorgie en mai 2024 de la loi sur la transparence de l'influence étrangère ; la famille est, par ailleurs, en situation de vulnérabilité.
II - Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2024 sous le n° 24VE02535, l'OFII, représenté par Me de Froment, avocat, demande à la cour d'ordonner le sursis à l'exécution de ce jugement, en faisant valoir les mêmes moyens que sous la requête n° 24VE02534.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2024, Mme D... et M. E..., représentés par Me Lejeune, concluent au rejet la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'OFII la somme de 1 500 euros au bénéfice de leur conseil sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative en cas d'admission définitive à l'aide juridictionnelle ou, dans le cas où cette aide juridictionnelle serait refusée, à leur propre bénéfice sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que les moyens invoqués par l'OFII ne sont pas fondés.
Vu :
- les demandes d'aide juridictionnelle formulées le 25 octobre 2024 auprès du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Versailles ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florent,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lejeune pour les défendeurs ainsi que celles de Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante géorgienne née le 7 octobre 1990, entrée en France le 27 septembre 2022 sous couvert d'un visa de long séjour valant titre de séjour portant la mention " étudiant " et M. E..., ressortissant camerounais né le 16 septembre 1983, entré en France 31 juillet 2023 sous couvert d'un visa de court séjour, ont sollicité la reconnaissance du statut de réfugié le 18 juillet 2024. Par une décision du même jour, l'Office Français de l'Immigration et de l'Intégration (OFII) a refusé de leur accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil prévues en faveur des demandeurs d'asile en raison de la tardiveté de leur demande d'asile. Par la requête visée ci-dessus sous le n° 24VE02534, l'OFII demande à la cour d'annuler le jugement du 9 août 2024, rectifié le 29 août 2024, par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 18 juillet 2024 et lui a enjoint d'octroyer à Mme D... et M. E... le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à compter du 18 juillet 2024. Par la requête enregistrée sous le n° 24VE02535, l'OFII demande à la cour d'ordonner le sursis à l'exécution de ce jugement. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.
Sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'appréciation des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président. (...) ".
3. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la demande d'aide juridictionnelle déposée par les défendeurs et de l'urgence qui s'attache à ce qu'il soit statué sur les requêtes de l'OFII, de prononcer l'admission provisoire de Mme D... et M. E... à l'aide juridictionnelle.
Sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 551-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil peuvent être refusées, totalement ou partiellement, au demandeur dans les cas suivants : (...) 4° Il n'a pas sollicité l'asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° de l'article L. 531-27. (...). ". L'article L. 531-27 du même code dispose que : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides statue en procédure accélérée (...) dans les cas suivants : (...) 3° Sans motif légitime, le demandeur qui est entré irrégulièrement en France ou s'y est maintenu irrégulièrement n'a pas présenté sa demande d'asile dans le délai de quatre-vingt-dix jours à compter de son entrée en France. ".
5. Pour refuser, par la décision du 18 juillet 2024, le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à Mme D... et M. E..., l'OFII s'est fondé sur le fait que, sans motif légitime, les intéressés avaient présenté leur demande d'asile plus de quatre-vingt-dix jours après leur entrée en France, soit au-delà du délai prévu par les dispositions précitées du 3° de l'article L. 531-27 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour annuler cette décision, le juge de première instance a estimé que, dès lors qu'ils étaient entrés régulièrement et étaient en situation régulière de séjour à la date de dépôt de leurs demandes d'asile, la condition du délai d'enregistrement de leur demande d'asile depuis leur entrée sur le territoire ne pouvait être opposée à Mme D... et M. E... et que, par voie de conséquence, ils n'avaient pas à justifier d'un motif légitime. Toutefois, l'entrée et le séjour réguliers de Mme D... et M. E... ne faisaient pas obstacle à ce que l'OFII leur oppose le caractère tardif de leur demande d'asile dès lors que les dispositions de l'article L. 551-15 ne renvoient aux dispositions de l'article L. 531-37 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'en ce qui concerne le délai de dépôt de la demande d'asile et ne renvoient pas aux conditions d'entrée et de séjour mentionnées par ces mêmes dispositions. Il résulte donc de ces dispositions combinées que le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être refusé au demandeur d'asile qui, sans motif légitime, n'a pas sollicité l'asile dans le délai de quatre-vingt-dix jours à compter de son entrée sur le territoire français, quelles que soient les conditions de son entrée et de son séjour en France. Il suit de là que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est fondée sur ce moyen pour annuler la décision attaquée.
6. Il y a lieu, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... et M. E... à l'appui de leur demande tendant à l'annulation de la décision du 18 juillet 2024.
7. Mme D... et M. E... font valoir que le dépôt tardif de leur demande d'asile est justifié par un motif légitime dès lors que Mme D... préside depuis 2020 une association féministe enregistrée sous le nom de " C... " et que les menaces à son encontre et, par extension, à l'encontre de son compagnon, ne sont apparues que récemment à la suite de l'adoption en Géorgie, en mai 2024, de la loi sur la transparence de l'influence étrangère, obligeant les organisations de la société civile bénéficiant d'un financement à l'étranger à s'enregistrer en tant qu'organisation poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère. Mme D... fait valoir que depuis l'adoption de cette loi, le siège de son association a été tagué " ONG parasite " et qu'elle a reçu des messages insultants, ce dont attestent les photographies produites au dossier. L'intéressée a par ailleurs adressé un courrier à la Cour européenne des droits de l'homme pour faire état de ses craintes pour la poursuite des activités de son organisation. Dans ces conditions, Mme D..., dont l'activisme est établi par les pièces du dossier, et M. E... justifient d'un motif légitime au dépôt récent de leur demande d'asile. Par suite, c'est à tort que l'OFII a refusé de leur octroyer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil au motif que leur demande d'asile était tardive.
8. Il résulte de tout ce qui précède que l'OFII n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 18 juillet 2024 et, eu égard à l'absence de toute ressource financière permettant à Mme D... et M. E... de subvenir à leurs besoins, a enjoint à l'OFII d'octroyer aux intéressés le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à compter du 18 juillet 2024.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
9. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 24VE02534 de l'OFII tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de la requête n° 24VE02535 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les frais de l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Lejeune, avocat de Mme D... et M. E..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et sous réserve de l'admission définitive de ses clients à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Lejeune de la somme de 1 500 euros. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à Mme D... et M. E... par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros sera versée directement à Mme D... et M. E....
DÉCIDE :
Article 1er : Mme D... et M. E... sont admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : La requête n° 22VE02534 de l'OFII est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 22VE02535 de l'OFII.
Article 4 : Sous réserve de l'admission définitive de Mme D... et M. E... à l'aide juridictionnelle et sous réserve que Me Lejeune renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, l'OFII versera à ce dernier une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à Mme D... et M. E... par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros sera versée à Mme D... et à M. E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, à Mme A... D..., à M. B... E... et à Me Lejeune.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
La rapporteure,
J. FLORENTLa présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 24VE02534-24VE02535 2