Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'établissement public Grand Paris Aménagement a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à titre principal, de condamner la société Systra à lui verser la somme de 817 900 euros TTC en réparation du préjudice subi du fait des travaux supplémentaires et de l'arrêt du chantier du pont-route de l'écoquartier de Louvres-Puiseux et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise avant dire droit afin d'évaluer le montant de son préjudice.
Par un jugement n° 1807771 du 28 avril 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 juin 2022, l'établissement public Grand Paris Aménagement, représenté par Me Billard, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la société Systra à lui verser la somme, à parfaire, de 817 900 euros TTC ;
3°) de mettre à la charge de la société Systra la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en se fondant sur le courriel du 19 septembre 2014 pour écarter toute faute de la société Systra, les juges de première instance ont dénaturé les faits et entaché leur jugement d'une erreur de droit ;
- le tribunal administratif a dénaturé les stipulations du premier alinéa de l'article 2.5 du cahier des charges du marché de maîtrise d'œuvre attribué à la société Systra ;
- en application de ces stipulations et de son devoir de conseil, la société Systra aurait dû s'assurer du caractère suffisant de la réservation prévue pour le passage du réseau d'adduction d'eau potable dans l'ouvrage, en se rapprochant notamment du concessionnaire Véolia ; en se contentant d'intégrer dans le dossier de consultation des entreprises le plan réseaux réalisé par la société Infra Services durant la phase d'avant-projet, qui prévoyait une réservation insuffisante au passage de la conduite d'eau potable, sans vérifier auparavant sa conformité aux prescriptions techniques du concessionnaire, la société Systra a commis une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité ;
- la société Systra a, de plus, refusé d'exécuter ses obligations contractuelles lorsque la SNCF a demandé la communication des documents relatifs au passage du réseau sous la voie ferrée ;
- il a subi un préjudice d'un montant total à parfaire de 817 900 euros TTC, comprenant 210 700 euros TTC au titre des travaux supplémentaires tendant à faire passer la conduite d'eau potable sous les voies ferrées et 607 200 euros TTC au titre des frais liés à l'interruption du chantier pendant onze mois et à la vérification de la faisabilité technique de la nouvelle solution retenue ;
- la société Systra ne peut se prévaloir d'aucune cause exonératoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2022, la société Systra France, venant aux droits de la société Systra, représentée par Me Billery, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de l'établissement public Grand Paris Aménagement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle s'est conformée à ses obligations contractuelles et à son devoir de conseil, de sorte qu'aucune faute ne peut lui être reprochée ;
- le moyen tiré de ce qu'elle ne pourrait se prévaloir d'aucune cause exonératoire est, dès lors, inopérant ;
- seules les fautes commises par Infraservices et par l'établissement public Grand Paris Aménagement sont à l'origine des préjudices subis par ce dernier ;
- le préjudice financier correspondant au coût des travaux de passage des canalisations sous la voie ferrée est incertain et éventuel ; son montant dépasse la simple compensation du préjudice subi, dès lors qu'il existait d'autres solutions plus économiques ;
- le préjudice subi du fait de l'immobilisation du chantier reste éventuel et n'est, en tout état de cause, justifié qu'à hauteur de 290 300 euros TTC ;
- en tout état de cause, la demande de première instance, qui a été introduite en méconnaissance des stipulations de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles, était irrecevable.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bahaj,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Billery pour la société Systra France.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de l'aménagement de la ZAC de l'écoquartier de Louvres Puiseux-en-France, l'établissement public d'aménagement Plaine de France, auquel l'établissement public Grand Paris Aménagement (GPA) a succédé, a passé avec la société Systra un marché de maîtrise d'œuvre, notifié le 15 novembre 2012, portant sur " la conception et le suivi de la réalisation de l'ouvrage d'art de franchissement des voies SNCF dans le secteur " Frais-Lieux " de l'écoquartier ". En cours de chantier, la réservation retenue pour le passage, au sein de ce pont-route, du réseau d'adduction d'eau potable, s'est avérée insuffisante. Une solution alternative a dû être trouvée, entraînant un arrêt du chantier. L'établissement public GPA relève appel du jugement du 28 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à ce que la société Systra soit condamnée à l'indemniser du préjudice subi.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, l'établissement public GPA ne peut utilement soutenir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, que le tribunal administratif aurait dénaturé les faits et les stipulations de l'article 2.5 du cahier des charges du marché de maîtrise d'œuvre en litige ou commis une erreur de droit.
Au fond :
3. Aux termes de l'article 2.5 du cahier des charges du marché de maîtrise d'œuvre attribué par l'établissement public GPA à la société Systra, intitulé " Prise en compte des réseaux concessionnaires " : " La mission de maîtrise d'œuvre intègre l'état des lieux en matière de réseaux, et la définition des mesures conservatoires à prendre en compte dans l'ouvrage pour permettre le passage ultérieur des réseaux projetés pour les besoins de l'urbanisation. / L'équipe de maîtrise d'œuvre assure en outre la mission de coordination en matière de réalisation avec lesdits concessionnaires. (...) // Le maître d'œuvre sera chargé de la coordination technique en phase études et travaux avec les concessionnaires (...) ".
4. L'entrepreneur a le droit d'être indemnisé du coût des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art. La charge définitive de l'indemnisation incombe, en principe, au maître de l'ouvrage. Toutefois, le maître d'ouvrage est fondé, en cas de faute du maître d'œuvre, à l'appeler en garantie, sans qu'y fasse obstacle la réception de l'ouvrage. Il en va ainsi lorsque la nécessité de procéder à ces travaux n'est apparue que postérieurement à la passation du marché, en raison d'une mauvaise évaluation initiale par le maître d'œuvre, et qu'il établit qu'il aurait renoncé à son projet de construction ou modifié celui-ci s'il en avait été avisé en temps utile. Il en va de même lorsque, en raison d'une faute du maître d'œuvre dans la conception de l'ouvrage ou dans le suivi de travaux, le montant de l'ensemble des travaux qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art est supérieur au coût qui aurait dû être celui de l'ouvrage si le maître d'œuvre n'avait commis aucune faute, à hauteur de la différence entre ces deux montants.
5. D'une part, il résulte de l'instruction, qu'en sus du marché de maîtrise d'œuvre portant sur " la conception et le suivi de la réalisation de l'ouvrage d'art de franchissement des voies SNCF dans le secteur Frais-Lieux ", confié à la société Systra, l'établissement public d'aménagement Plaine de France a conclu le 30 novembre 2012 avec un groupement composé des sociétés Hyl, Infraservices et Icon SARL, un accord-cadre de maîtrise d'œuvre portant sur la conception et le suivi des travaux de voiries et d'espaces publics des secteurs des Frais-Lieux et du Bois du Coudray. Par un courrier électronique du 29 septembre 2014, l'établissement public d'aménagement Plaine de France a transmis à la société Systra plusieurs documents relatifs aux réseaux permettant la desserte de ces secteurs, qui avaient été établis par la société Infraservices, en lui demandant de les intégrer au dossier de consultation des entreprises relatif au marché de travaux du pont-route. Ces documents incluaient, notamment, un plan des réseaux faisant apparaître, pour le réseau d'adduction d'eau potable, la présence de canalisations en fonte et en polyéthylène haute densité, ainsi qu'un fichier Excel relatif à la décomposition du prix global et forfaitaire mentionnant la fourniture et la pose de canalisations en fonte et en PE de 200 mm de diamètre. Par un courrier électronique du 22 avril 2015, la société Systra a informé la société Infraservices et l'établissement public d'aménagement Plaine de France de la nécessité d'organiser une réunion avec la société Véolia afin que celle-ci valide les dimensions à prendre en compte pour le passage de la canalisation d'eau potable dans le trottoir du pont-route. Cet email précisait qu'il était " préférable que ces différents points soient validés et officialisés avec Véolia avant la signature du marché du pont-route ". La société Infraservices a répondu le jour même qu'elle était dans l'attente d'un retour de la société Véolia et qu'elle informerait l'établissement public dès qu'elle l'aurait obtenu. Alors qu'aucune suite n'a été réservée à cet email, les comptes-rendus figurant au dossier font apparaître que le concessionnaire Véolia n'a fait part que lors de la réunion de chantier du 8 septembre 2016 " de la nécessité d'une conduite calorifugée dans le trottoir, ce qui n'était pas prévu au départ " avant de préciser, le 6 octobre 2016, que celle-ci devrait présenter un diamètre de 355 mm. Dans ces conditions, compte-tenu du caractère concurrent des missions confiées par l'établissement public GPA à la société Systra et au groupement de maîtrise d'œuvre dont Infraservices faisait partie, de la demande de l'établissement public à la société Systra d'intégrer au document de consultation des entreprises les données retenues par la société Infraservices et de la circonstance que la société Systra a appelé l'attention du pouvoir adjudicateur sur la nécessaire validation préalable des dimensions de la canalisation à retenir, l'établissement public requérant n'est pas fondé à soutenir que cette société aurait, en prévoyant un diamètre de 200 mm dans le document de consultation des entreprises pour le réseau d'eau potable, méconnu les stipulations citées au point 3 ou manqué à son devoir de conseil.
6. D'autre part, à supposer même que la société Systra ait manqué à ses obligations contractuelles en refusant de communiquer à la SNCF les documents relatifs au passage du réseau d'eau potable sous la voie ferrée, une telle faute serait, en tout état de cause, sans lien avec les préjudices dont l'établissement public requérant demande réparation.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'établissement public GPA n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Systra, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l'établissement public GPA au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier une somme de 2 000 euros au titre de ces mêmes frais exposés par la société Systra.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'établissement public Grand Paris Aménagement est rejetée.
Article 2 : L'établissement public Grand Paris Aménagement versera à la société Systra France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public Grand Paris Aménagement et à la société Systra France.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Bahaj, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2025.
La rapporteure,
C. BAHAJ
La présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
C. RICHARD
La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 22VE01571