Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... G..., Mme J... G..., M. C... G..., Mme D... G..., Mme H... G..., Mme I... G... et Mme E... G... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans :
- à titre principal, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à M. F... G... la somme de 1 079 269,11 euros, à Mme J... G... la somme de 45 000 euros, à M. C... G..., Mme D... G..., Mme H... G..., Mme I... G... et Mme E... G... la somme de 25 000 euros chacun ;
- à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise avant-dire droit afin de confirmer le lien de causalité entre la vaccination de M. F... G... et sa pathologie et d'évaluer ses préjudices.
Par un jugement n° 2001325 du 5 janvier 2023, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 mars 2023 et 28 novembre 2024, les consorts G..., représentés par Me Joseph-Oudin, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, de condamner l'ONIAM à verser à M. F... G... la somme de 1 079 269,11 euros, à Mme J... G... la somme de 45 000 euros, et à M. C... G..., Mme D... G..., Mme H... G..., Mme I... G... et Mme E... G... la somme de 25 000 euros chacun ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise avant-dire droit afin de confirmer le lien de causalité entre la vaccination de M. F... G... et sa pathologie et d'évaluer ses préjudices ;
4°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- le sur-risque de développer une narcolepsie à la suite d'une vaccination au Pandemrix a été démontré chez les jeunes de moins de dix-neuf ans mais également chez les adultes pour lesquels le risque est considéré comme multiplié entre 3 et 5 fois au regard de l'ensemble des études menées sur le sujet ;
- l'exposant a développé ses premiers signes de narcolepsie dès mars 2010, soit quatre mois après sa vaccination et la circonstance que ses signes de cataplexie n'aient été diagnostiqués que plusieurs années plus tard est indifférente dès lors que la littérature scientifique ne tient compte que de l'apparition des premiers symptômes, quelle qu'en soit la manifestation, pour établir le lien de causalité avec la réaction vaccinale et que le diagnostic de la narcolepsie-cataplexie est d'environ huit ans en France ;
- il n'est pas contestable que l'exposant est atteint de narcolepsie de type 1, son taux d'hypocrétine permettant de le confirmer formellement ;
- il n'existe pas d'autre cause possible au développement de la maladie de l'exposant, qui présente une forme sévère et invalidante, son taux de déficit fonctionnel permanent ayant été fixé à 45 % par les experts ; la fatigue diagnostiquée avant sa vaccination était liée à un surmenage physique et à des conflits au travail, sans fondement neurologique ;
- s'agissant des préjudices de M. F... G..., l'ONIAM devra être condamné à lui verser les sommes de 28 480 euros au titre des pertes de gains professionnels passées, 143 514 euros au titre de l'aide par tierce personne temporaire, 11 468 euros au titre des dépenses de santé futures, 449 448,11 euros au titre de l'aide par tierce personne future, 170 632 euros au titre des pertes futures de gains professionnels, 2 760 euros au titre des frais de conseils, 100 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, 46 647 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 28 000 euros au titre des souffrances endurées, 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, 85 500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, 15 300 euros au titre du préjudice d'agrément, 4 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent, 10 000 euros au titre du préjudice d'établissement et 10 000 euros au titre du préjudice sexuel ;
- s'agissant des préjudices de ses proches, Mme J... G..., son épouse, justifie d'un préjudice d'affection qui sera évalué à 30 000 euros et d'un préjudice d'accompagnement de 15 000 euros ; ses enfants justifient d'un préjudice d'affection estimé à 15 000 euros chacun et d'un préjudice d'accompagnement qui sera fixé à 10 000 euros chacun ; il est demandé à la cour de faire application du référentiel des cours d'appel et du barème de capitalisation le plus adapté et le plus récent, à savoir celui de la Gazette du Palais de 2020 ;
- à titre subsidiaire, la cour pourra désigner un expert neurologue afin de confirmer le lien de causalité.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 juin 2023 et 30 décembre 2024, l'ONIAM, représenté par Me Birot, conclut au rejet de la requête ou, à titre subsidiaire, à la désignation d'un expert avant-dire droit.
Il soutient que :
- l'ensemble des études scientifiques relatives au lien de causalité entre la vaccination contre la grippe H1N1 et la survenue de la narcolepsie conclut à un délai inférieur à un an entre la vaccination et l'apparition des symptômes ;
- M. F... G... présente une narcolepsie de type 2 ne pouvant être en lien avec la vaccination litigieuse selon la littérature médicale ;
- M. F... G... n'est pas dans la classe d'âge dans laquelle un sur-risque de développer une narcolepsie de type 1 après une vaccination avec le vaccin Pandemrix est présent ;
- les symptômes dont se prévaut l'intéressé préexistaient à la date de sa vaccination par le vaccin Pandemrix ;
- il ne s'oppose pas à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée ;
- en tout état de cause, le poste de préjudice relatif à l'aide par tierce personne ne saurait être retenu en l'absence d'attestation de perception ou non des aides ; le poste des dépenses dentaires n'est pas en lien avec la narcolepsie, le préjudice professionnel non plus dès lors que M. G... avait d'importants problèmes dans son travail et que la poursuite de sa carrière était purement hypothétique ; le déficit fonctionnel permanent évalué par les experts à 45 % a été surévalué et ne présente pas un lien exclusif avec la narcolepsie ; enfin, le préjudice d'établissement a été écarté par les experts.
Par ordonnance de la présidente de la 5ème chambre du 29 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 14 janvier 2025 à 12h00, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Les consorts G... ont produit des mémoires enregistrés les 14 janvier 2025 à 12h23 et 6 mars 2025, soit postérieurement à la clôture de l'instruction.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure-et-Loir qui n'a pas présenté d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 4 novembre 2009 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florent,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Renard pour l'ONIAM.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de la campagne nationale de vaccination organisée sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, M. F... G..., né le 15 juillet 1956, alors ingénieur hospitalier au centre hospitalier de Dreux, a reçu le 10 novembre 2009, alors qu'il était âgé de cinquante-trois ans, une injection du vaccin " Pandemrix " contre la grippe A (H1N1). Dans les mois suivant cette injection, il a développé une narcolepsie. Imputant cette pathologie à la vaccination, M. G... a recherché, sur le fondement de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique, une indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Par deux décisions du 24 juillet 2017 et 31 janvier 2020, l'ONIAM a rejeté sa demande. Par la présente requête, les consorts G... relèvent appel du jugement du 5 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande d'indemnisation.
Sur la responsabilité de la puissance publique :
2. Aux termes de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 4 novembre 2009 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009, pris sur le fondement de ces dispositions : " Une campagne de vaccination est conduite sur l'ensemble du territoire national pour permettre aux personnes qui le souhaitent de se faire immuniser contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22. (...) ".
3. Lorsqu'il est saisi d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination effectuée dans le cadre de mesures prescrites sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, il appartient au juge, pour écarter toute responsabilité de la puissance publique, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration du vaccin et les différents symptômes attribués à l'affection dont souffre l'intéressé est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant lui, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il lui appartient ensuite, soit, s'il est ressorti qu'en l'état des connaissances scientifiques en débat devant lui il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande indemnitaire, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations subies par l'intéressé et les symptômes qu'il a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.
4. Il résulte des dernières publications scientifiques produites à l'instance, notamment la méta-analyse datée de 2018 et synthétisant les différentes études menées en Europe sur des sujets de 0 à 74 ans, qu'après la campagne de vaccination de 2009-2010, la multiplication du risque de développer une narcolepsie de type 1 a été estimée entre 5 et 14 pour les enfants et adolescents et entre 3 et 7 pour les adultes dans la première année suivant l'injection du vaccin Pandemrix. La 3e édition de la classification internationale des troubles du sommeil (ICSD-3) définit par ailleurs la narcolepsie de type 1 par la présence d'une somnolence évoluant depuis plus de 3 mois, associée à : - soit la présence de cataplexies (perte du tonus musculaire lors d'émotions, souvent positives, qui peut être totale ou partielle) et une latence moyenne d'endormissement inférieure ou égale à 8 minutes et au moins 2 endormissements en sommeil paradoxal (ESP) sur un test itératif de latence à l'endormissement (TILE) réalisé selon la technique standardisée ; - soit un taux d'hypocrétine inférieur ou égale à 110 pg/ml ou inférieur à 1/3 des valeurs moyennes obtenues sur des sujets normaux avec le même dosage standardisé, par immunoréactivité. Les publications scientifiques relèvent en outre que 98 % des patients souffrant de narcolepsie de type 1 sont porteurs de l'allèle HLA DQB1-0602, gène de prédisposition au développement de la maladie, contre 25 % dans la population générale. Enfin, le centre de référence des narcolepsies et hypersomnies rares a rédigé en septembre 2021 un protocole national de diagnostic et de soins indiquant, premièrement, que si, dans l'évolution, des cataplexies apparaissent plus tard, ou que le dosage d'hypocrétine-1 testé ultérieurement est inférieur ou égal à 110 pg/ml, le trouble devra être reclassé en narcolepsie de type 1, deuxièmement, que la latence moyenne aux TILE augmente avec l'âge alors que le nombre d'ESP diminue, troisièmement, qu'un taux bas d'hypocrétine dans le LCR (( 110 pg/ml) permet de poser le diagnostic de narcolepsie de type 1 avec certitude et que les patients avec des taux intermédiaires d'hypocrétine dans le LCR (entre 110 et 200 pg/ml) sont des cas exceptionnels, nécessitant un avis auprès du centre de référence.
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que si M. F... G... avait connu avant sa vaccination des épisodes dépressifs ayant pu causer chez l'intéressé une fatigue ponctuelle importante et des cauchemars, l'ensemble des certificats médicaux et attestations des proches de l'intéressé témoignent de ce que M. G... a développé les premiers signes d'hypersomnie diurne au mois de mars 2010, soit quatre mois après sa vaccination. Par ailleurs, si aucune cataplexie n'a été initialement déclarée par le requérant, le compte-rendu polysomnographique du professeur K..., coordinateur du centre de référence des narcolepsies et hypersomnies rares, indique en février 2018 que M. G... rapporte un épisode de perte soudaine de force musculaire du visage puis des quatre membres lors d'une discussion avec son épouse ainsi que des épisodes de faiblesse au niveau des jambes, en moyenne une fois par semaine, déjà relatés lors de l'expertise du docteur B... du 6 mars 2017, et auxquels le patient n'avait pas prêté attention auparavant, pensant que ce phénomène était dû à sa prothèse de hanche. Le professeur K... indique en outre que durant son hospitalisation, un épisode similaire est survenu lors d'un entretien psychologique. Le docteur A..., neurologue de l'hôpital universitaire de la Pitié-Salpêtrière, indique également, dans son compte-rendu de consultation de décembre 2019, avoir constaté pendant la consultation la présence de cataplexies de visage, partielles, dans un contexte émotionnel. Il résulte ainsi de ces deux comptes-rendus que deux médecins spécialistes ont pu être témoins d'un épisode de cataplexie. Le dernier compte-rendu du professeur K..., de décembre 2021, indique enfin que M. G... a relaté un épisode de cataplexies généralisées dans un contexte émotionnel qui a entraîné sa chute. Les cataplexies dont souffre le requérant doivent ainsi être tenues pour établies.
6. Par ailleurs, si la latence moyenne d'endormissement de M. G... constatée durant les tests itératifs est de 10 minutes, soit légèrement supérieure au seuil de 8 minutes fixé par la documentation médicale, le professeur K... indique toutefois que cette durée moyenne peut être expliquée par l'âge du patient. De même, si les taux d'hypocrétine de M. G... relevés en 2014 (123 pg/ml) et en 2018 (167 pg/ml) ne sont pas inférieurs à 110 pg/ml, ces taux ne correspondent pas à un taux normal, supérieur à 200 pg/ml, et sont qualifiés d'intermédiaires par les médecins. Le professeur K... estime à cet égard que ces taux, compte tenu du contexte clinique et polysomnographique de M. G..., doivent être considérés comme un biomarqueur de sa narcolepsie confirmée, d'autant que le requérant est porteur de l'allèle HLA DQB1-0602. Le professeur en conclut, en juillet 2020, que " ces différents éléments confirment de façon formelle aussi bien sur le plan génétique que sur le plan des dosages d'hypocrétine, la validité du diagnostic de narcolepsie avec cataplexie ". Par ailleurs, si l'ONIAM fait valoir que le professeur K... ne cite aucune littérature scientifique étayant ses affirmations selon lesquelles " les cas avec hypocrétine intermédiaire sont rares mais bien décrits ", cette affirmation figure également dans le protocole national de diagnostic et de soins rédigé en septembre 2021 et la méta-analyse de 2018 déjà cités au point 4, ainsi que dans l'article " Narcolepsy as an adverse event following immunization " de décembre 2012. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la pathologie dont souffre M. G... peut être regardée comme résultant d'une autre cause que la vaccination.
7. Dans ces conditions, sans qu'il soit besoin de diligenter une expertise complémentaire, il y a lieu de tenir pour établis le diagnostic de narcolepsie de type 1 ainsi que le lien de causalité entre l'injection de Pandemrix et la pathologie développée par M. G....
Sur l'indemnisation des préjudices de M. F... G... :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
S'agissant des pertes de revenus et de l'incidence professionnelle :
8. M. G... soutient que ses problèmes de santé, outre ses arrêts maladie, ont conduit à une rupture conventionnelle avec son employeur le 11 juillet 2013, alors qu'il était âgé de cinquante-sept ans, et que, ne parvenant pas à trouver un nouvel emploi, ni à créer sa propre entreprise du fait de sa maladie, il a été placé à la retraite à compter du 1er août 2016, à l'âge de soixante ans, alors qu'il souhaitait poursuivre son activité professionnelle jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans. Il sollicite ainsi à la fois l'indemnisation de sa perte de salaire à compter de 2010 jusqu'en juillet 2016, ainsi que la réparation de l'incidence professionnelle de sa pathologie pour la période d'août 2016 à 2021, année durant laquelle il aurait souhaité prendre sa retraite. M. G... demande également l'indemnisation de son préjudice de retraite du fait de sa perte de revenus et de la liquidation de sa retraite à soixante ans au lieu de soixante-cinq ans.
9. S'agissant de la perte de revenus de M. G... pour la période de 2010 à 2016, compte tenu de l'augmentation de 1,75 % en moyenne du salaire du requérant sur les cinq années précédant la vaccination (soit un salaire net prévisible de 37 526 euros en 2010, 38 183 euros en 2011, 38 851 euros en 2012 et 20 973,56 euros jusqu'en juillet 2013, date de sa rupture conventionnelle avec son employeur), des salaires (85 647 euros) et de l'indemnité de rupture (22 024 euros) effectivement perçus par l'intéressé entre 2010 et juillet 2013 ainsi que des indemnités journalières qui lui ont été versées sur la même période (33 513 euros), la perte de revenus subie par M. G... de 2010 à 2013 doit être évaluée à 5 649 euros nets. Par ailleurs, postérieurement à juillet 2013, compte tenu du parcours et des compétences professionnelles du requérant, il y a lieu d'évaluer à 80 % la perte de chance de M. G... de retrouver un emploi ou de mener à bien son projet d'entreprise entre 2013 et 2016. Compte tenu du salaire net annuel moyen des professions intermédiaires au sein de la fonction publique hospitalière des agents âgés de plus de 50 ans, qui s'élevait en 2014 à 32 052 euros annuels nets, soit 96 156 euros sur les trois années, ramenés, compte tenu du taux de perte de chance, à 76 924,80 euros, et de l'allocation d'aide au retour à l'emploi perçue par M. G... entre juillet 2013 et août 2016 (54 038,08 euros), la perte de revenus sur cette période doit être évaluée à 22 886 euros nets.
10. S'agissant de l'incidence professionnelle de sa maladie sur la période 2016 à 2021, il résulte de l'instruction que M. G..., né en juillet 1956, avait atteint en 2016 l'âge légal de départ à la retraite et cumulait déjà à cette date 175 trimestres, soit plus que les 166 trimestres exigés pour une retraite à taux plein. Si, compte tenu du parcours professionnel du requérant, qui n'a cessé de travailler depuis l'âge de dix-sept ans, il n'est pas exclu que M. G... n'aurait pas poursuivi son activité professionnelle jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans, comme il le soutient, il résulte néanmoins de l'instruction qu'eu égard au salaire net annuel moyen des professions intermédiaires déjà cité au point 9, ramené à 80 % compte tenu de la perte de chance retenue précédemment de retrouver un emploi postérieurement à sa rupture conventionnelle (128 208 euros sur cinq ans) et du montant de la retraite dont le requérant a bénéficié sur la période 2016-2021 (139 572 euros), la perte de revenus de M. G... sur cette période n'est pas démontrée. Par suite, il y a lieu de rejeter la demande présentée au titre de ce chef de préjudice.
11. S'agissant du préjudice de retraite, compte tenu de l'âge de M. G... au moment de sa rupture conventionnelle et ainsi qu'il résulte des éléments détaillés au point 9, il n'est pas établi que sa pathologie lui a fait perdre une chance réelle de réaliser postérieurement à 2013 des revenus annuels supérieurs à ceux dont bénéficiait l'intéressé avant sa maladie post-vaccinale de nature à exercer une influence sur le montant de sa retraite de base. En revanche, ainsi qu'il a été déjà dit précédemment, il résulte de l'instruction que si M. G... n'avait pas développé de narcolepsie de type 1, il aurait bénéficié sur les années 2010 à 2013 d'une augmentation de revenus d'environ 1,75 % par an au regard de sa progression de salaires sur les cinq années précédant sa maladie. La retraite de base étant calculée sur les vingt-cinq meilleures années de la carrière, il y a lieu de revaloriser le salaire de base de M. G... pour le calcul de ses droits à la retraite à la somme de 32 681,25 euros en moyenne, soit 16 340,62 de retraite personnelle annuelle, à laquelle il y a lieu d'ajouter 10 % de majoration pour enfants et de soustraire 7,4 % de CSG/CASA/CRDS, soit la somme annuelle de 16 644,56 euros. Il en résulte une différence de pension de 934,64 euros par an par rapport au montant net dont bénéficiait M. G... lors de la liquidation de ses droits à la retraite, soit 8 022 euros de 2016 à la date du présent arrêt. Par application du coefficient de capitalisation de 15,517 prévu, pour la conversion d'une rente viagère allouée à un homme de 68 ans, par le barème de capitalisation publié à la Gazette du Palais de 2025, reposant sur la table de mortalité de 2020-2022 pour les hommes publiée par l'institut national de la statistique et des études économiques, et un taux d'intérêts à 0,5 %, il sera fait une juste évaluation du préjudice de retraite de M. G... concernant sa retraite de base pour la période postérieure au présent arrêt à la somme de 14 502 euros. S'agissant des droits à la retraite complémentaire du requérant, il résulte de l'instruction que le nombre de points cumulés par l'intéressé entre 2005 et 2009 était en moyenne de 1 242 points. Si le requérant n'avait pas dû être arrêté du fait de sa pathologie, il aurait certainement cumulé un nombre de points avoisinant entre 2010 et 2013. En outre, ainsi qu'il a été dit précédemment, postérieurement à 2013, la maladie de M. G... a fait perdre à l'intéressé une chance de retrouver un emploi ou de mener à bien son projet d'entreprise qu'il y a lieu d'évaluer à 80 %. Après reconstitution, le nombre de points auquel aurait pu prétendre le requérant jusqu'en 2016 doit ainsi être évalué à 27 278 + 800 points de service militaire + 20 % de majoration pour cinq enfants, soit 33 694 points au total sur toute sa carrière. La valeur du point IRCANTEC en 2016 étant fixée à 0,47507 euros et le taux de cotisation sécurité sociale/CSG/CASA/CRDS étant de 8,2 %, M. G... aurait pu bénéficier d'une retraite complémentaire de 14 694,74 euros nette annuelle au lieu de 12 204,06 euros. Il en résulte une différence de 2 490,68 euros annuels, soit 21 570 euros de 2016 à la date du présent arrêt. Par application du coefficient de capitalisation déjà cité, il sera fait une juste évaluation du préjudice futur de retraite de M. G... au titre de sa retraite complémentaire en le fixant à la somme de 38 647 euros.
S'agissant des frais d'assistance par une tierce personne :
12. M. G... soutient que son état de santé a rendu nécessaire une stimulation au réveil le matin ainsi qu'après chacune de ses siestes, une aide dans la prise régulière de son traitement, notamment la nuit, ainsi que pour chacun de ses déplacements en dehors du domicile, son état le mettant dans l'impossibilité de conduire. Il indique également avoir des difficultés à participer aux tâches ménagères courantes. Les experts missionnés par l'ONIAM en 2019 ont ainsi estimé ses besoins d'assistance par une tierce personne à 3 heures par jour. Toutefois, ainsi que le soutient l'ONIAM, cette évaluation réalisée par les experts apparaît surestimée dès lors que M. G..., bien qu'éprouvant un besoin irrépressible de dormir plusieurs fois par jour, a indiqué lui-même lors de l'expertise de 2019 être en mesure de participer à certaines tâches ménagères et que, par ailleurs, ses déplacements à l'extérieur ne sont pas quotidiens. Il y a lieu, par suite, de fixer à 2 heures par jour l'aide que nécessite l'état de santé de M. G.... En retenant le taux horaire de 17 euros, qui est conforme aux pratiques du secteur dès lors que l'aide procurée au requérant ne nécessite pas de spécialisation particulière, il sera fait une juste évaluation de ce préjudice, sur la base de 412 jours annuels pour tenir compte des congés payés et jours fériés, en allouant à M. G... la somme de 207 162 euros pour la période du 1er juin 2010 et celle du présent arrêt (6 093 jours x 34 euros). Enfin, si la circonstance que M. G... est susceptible de solliciter à l'avenir des prestations destinées à courir les frais d'assistance à tierce personne est sans incidence sur le montant de l'indemnité qu'il revient à la cour de déterminer au titre du préjudice d'assistance à tierce personne, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'allouer à M. G... pour la période postérieure au présent arrêt, non un capital comme il le demande, mais une rente annuelle viagère de 14 008 euros, qui sera revalorisée par application des coefficients prévus par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
S'agissant des dépenses de santé futures :
13. M. G... fait valoir que le bruxisme qu'il a développé en raison de son traitement médicamenteux a déstabilisé sa dentition et le contraint à exposer des frais dentaires onéreux. Il ne résulte toutefois d'aucune pièce médicale versée au dossier que les problèmes dentaires rencontrés par M. G..., âgé de soixante-et-un ans au moment des devis dentaires produits et fumeur actif depuis de longues années, seraient dus au grincement de dents du requérant durant son sommeil, dont l'intéressé n'a d'ailleurs jamais fait part durant les expertises médicales. Dans ces conditions et ainsi que l'oppose l'ONIAM, M. G... n'est pas fondé à solliciter une indemnité de 11 468 euros au titre des frais dentaires à exposer.
S'agissant des frais de procédure :
14. M. G... sollicite l'indemnisation des honoraires d'avocats et du médecin conseil auxquels il a dû avoir recours lors de la procédure amiable avec l'ONIAM. Ces frais étant justifiés et ayant été utiles à la solution du litige, il y a lieu d'octroyer au requérant la somme de 2 760 euros au titre de ces frais divers.
En ce qui concerne les préjudices personnels de M. G... avant consolidation :
15. Il résulte des rapports d'expertise de 2017 et 2019 que le déficit temporaire partiel subi par M. G... a été fixé à 100 % durant ses seize jours d'hospitalisation et à 45 % ou 55 % selon les expertises pour la période comprise entre le 1er juin 2010 et le 14 février 2018, date de consolidation de son état de santé. Dans ces conditions, il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en allouant à M. G... la somme totale de 46 647 euros demandée par l'intéressé. Il sera également fait une juste évaluation des souffrances temporaires endurées par le requérant, fixées entre 3/7 et 4/7 selon les expertises médicales, à la somme de 10 000 euros. Enfin, les experts estiment à 2/7 le préjudice esthétique temporaire de M. G... du fait de la survenance d'endormissements publics réguliers conduisant l'intéressé à se présenter en public dans un état physique altéré. Il y a lieu d'allouer une somme de 2 000 euros à ce titre.
En ce qui concerne les préjudices personnels de M. G... après consolidation :
16. Les expertises médicales de 2017 et 2019 ayant fixé entre 35 et 45 % le déficit permanent partiel de M. G..., taux qui n'apparaissent pas manifestement disproportionnés compte tenu du retentissement sur la vie quotidienne de l'intéressé de sa pathologie post-vaccinale, il y a lieu d'allouer au requérant, âgé de soixante-et-un ans à la date de la consolidation de son état de santé, une somme de 80 000 euros au titre de ce préjudice, cette indemnisation devant être regardée comme incluant le préjudice esthétique permanent évalué à 2/7 par les expertises médicales. Par ailleurs, il n'est pas contesté que la pathologie de M. G... a eu des répercussions sur sa vie sexuelle, l'a contraint à arrêter l'enseignement périscolaire qu'il pratiquait à titre bénévole et l'empêche désormais de conduire et de garder ses jeunes petits-enfants. Il sera fait une juste appréciation de ces préjudices sexuels et d'agrément en les fixant aux sommes de 7 000 et 3 000 euros. En revanche, si la maladie développée par M. G... a eu des répercussions importantes sur sa vie de famille et la fin de sa carrière professionnelle, il ne résulte pas de l'instruction que le requérant aurait subi un préjudice spécifique d'établissement à la date de sa consolidation alors qu'il était déjà à un âge avancé à cette date.
Sur l'indemnisation des préjudices des proches de M. F... G... :
17. Il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection des proches de M. G... en allouant la somme de 12 000 euros à son épouse, J... G..., et les sommes de 8 000 euros respectivement à Mmes E... et I... G..., âgées de 11 et 18 ans en 2010 et vivant encore au foyer de leurs parents durant les premières années ayant suivi l'apparition de la maladie chez leur père. Il sera par ailleurs alloué la somme de 6 000 euros à M. et Mmes C..., D... et H... G..., tous trois âgés de 21, 27 et 31 ans lors de l'apparition des premiers signes de la maladie de leur père.
18. Compte tenu du retentissement très important de la maladie de M. G... sur ses relations et son quotidien avec son épouse, âgée de 47 ans lorsque la maladie s'est déclarée, il sera alloué une somme supplémentaire de 8 000 euros au titre du bouleversement dans les conditions d'existence de Mme J... G.... En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que les enfants de M. G... aient connu du fait de la pathologie de leur père des troubles dans leurs conditions d'existence tels qu'ils justifieraient une indemnisation à part entière au titre des préjudices personnels exceptionnels.
19. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts G... sont fondés à soutenir que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Sur les frais de l'instance :
20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 000 euros au titre des frais d'avocat exposés par les consorts G... dans le cadre de la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2001325 du tribunal administratif d'Orléans en date du 5 janvier 2023 est annulé.
Article 2 : L'ONIAM est condamné à verser la somme de 469 845 euros à M. F... G..., ainsi qu'une rente annuelle viagère payable à terme échu, dont le montant, fixé à 14 008 euros à la date du présent arrêt, sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
Article 3 : L'ONIAM est condamné à verser à Mme J... G... la somme de 20 000 euros, à Mme E... G... et Mme I... G... la somme de 8 000 euros chacune et à M. C... G..., Mme D... G... et Mme H... G... la somme de 6 000 euros chacun.
Article 4 : L'ONIAM versera aux consorts G... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts G... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... G..., à Mme J... G..., à M. C... G..., à Mmes D..., H..., I... et E... G..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure-et-Loir.
Délibéré après l'audience du 6 mars 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mars 2025.
La rapporteure,
J. FLORENTLa présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 23VE00470 2