ANNULATION, sur le pourvoi du sieur Jean-Baptiste-Alexandre Paulin, gérant du journal le National ; d'un Arrêt contre lui rendu par la Cour d'assises du département de la Seine, le 30 mars dernier.
Suit la teneur de l'arrêt :
OUI le rapport de M. le conseiller Thil ; les observations, pour le demandeur, de Me Crémieux, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Parant ;
Sur le premier moyen, tiré de la prétendue inconstitutionnalité de l'article 16 de la loi du 25 mars 1822 et de l'article 3 de la loi du 8 octobre 1830, et de la violation des articles 69 et 70 de la Charte :
Vu l'article 16 de la loi du 25 mars 1822 et l'article 3 de la loi du 8 octobre 1830 ;
Et attendu que l'article 69 de la Charte de 1830, en déclarant qu'il serait pourvu, dans le plus court délai possible, à l'application du jury aux délits de la presse, a laissé provisoirement subsister la législation antérieure relative à la poursuite desdits délits ;
Que l'article 70, qui annule et abroge dès à présent les lois et ordonnances en ce qu'elles ont de contraire aux dispositions adoptées pour la réforme de la Charte, n'a pas dès lors annulé et abrogé l'article ci-dessus cité de la loi du 25 mars, relatif au mode de poursuite spécialement autorisé en cas de mauvaise foi ou d'infidélité dans le compte rendu des audiences des cours et tribunaux ;
Attendu que la loi du 8 octobre 1830, rendue pour l'exécution de l'article 69 de la Charte, tout en attribuant par son article Ier la connaissance des délits commis par la voie de la presse aux cours d'assises, a expressément maintenu dans son article 3 le droit conféré aux cours et tribunaux par l'article 16 de la loi du 25 mars ;
Attendu que la loi du 8 octobre, délibérée et promulgée dans les formes constitutionnelles prescrites par la Charte, fait la règle des tribunaux et ne peut être attaquée devant eux pour cause d'inconstitutionnalité ;
Sur le deuxième moyen, tiré des articles 79, 80, 81, 82 du décret du 6 juillet 1810, et du prétendu excès de pouvoir commis par la cour d'assises dans son arrêt du 11 mars dernier, par lequel elle s'est adjoint M. Z... pour assister aux débats du procès de Bergeron et Benoît, et remplacer celui de ses membres qui se trouverait empêché ;
Vu la loi du 25 brumaire an VIII et les articles 264 et 394 du Code d'instruction criminelle ;
Et attendu que le décret du 6 juillet 1810, qui trace des règles pour la formation des cours d'assises, soit par le ministre de la justice, soit par les premiers présidents des cours royales, ne leur interdit pas de s'adjoindre des magistrats pour suivre les débats des affaires portées devant elles et remplacer ceux de leurs membres que ne pourraient continuer à siéger ;
Que le droit qu'exercent à cet égard les cours d'assises est dans l'intérêt de la bonne administration de la justice et de la prompte expédition des procès ;
Que ce droit a été attribué aux tribunaux criminels par la loi du 25 brumaire an VIII, qui, en cette partie et malgré la substitution des cours d'assises auxdits tribunaux, doit être considérée comme ayant posé un principe toujours subsistant ;
Que ce principe résulte d'ailleurs virtuellement de l'article 264 du Code d'instruction criminelle, relatif au remplacement des juges de la cour royale, en cas d'absence ou de tout autre empêchement, et de l'article 394 du même code, qui autorise les cours d'assises, lorsqu'un procès criminel paraît de nature à entraîner de longs débats, à ordonner qu'indépendamment de douze jurés il en sera tiré au sort un ou deux pour assister auxdits débats et remplacer les jurés qui seraient empêchés de les suivre jusqu'à la déclaration définitive du jury ;
Qu'ainsi l'arrêt du 11 mars ne viole point les dispositions du décret du 6 juillet 1810, et n'a commis aucun excès de pouvoir ;
Sur le troisième moyen, résultant de la prétendue violation de l'article 16 de la loi du 22 mars 1822, en ce que M. Z... n'avait pas tenu l'audience du 13 mars, puisqu'alors la cour d'assises était restée composée de MM. X..., de Chaubry et de la Râchée :
Attendu que le 18 mars, et lorsque Paulin a comparu sur la citation du 14 du même mois devant la cour d'assises, M. de Y..., légitimement empêché, a été remplacé par M. Z..., qui avait assisté à tous les débats, en exécution de l'arrêt du 11 mars déjà cité, et dès lors siégé à l'audience du 13 dont Paulin était prévenu d'avoir rendu un compte infidèle et de mauvaise foi ;
Qu'à l'instant où le remplacement de M. de Y... par M. Z... est devenu nécessaire et a été opéré, celui-ci a dû être considéré comme ayant toujours fait partie de la cour d'assises pendant les débats de l'affaire de Bergeron et Benoît, et conséquemmment comme ayant tenu l'audience du 13 mars ;
D'où il suit que, le 18 mars, la cour d'assises était régulièrement composée et a pu, sans violer l'article 16 de la loi du 25 mars, connaître de l'action dirigée contre Paulin ;
Sur les quatrième, cinquième et sixième moyens, fondés sur de prétendues violations des articles 1er, 4 et 17 de la loi du 26 mai 1819, 4 de la loi du 8 octobre 1830, 2 (par. 1er, 2 et 3) de la loi du 8 avril 1831, et résultant : 1° de ce que la citation donnée à Paulin ne lui avait point accordé un délai de dix jours , 2° de ce qu'on ne lui avait pas notifié un réquisitoire articulant et qualifiant le délit, et une ordonnance du président de la cour d'assises fixant le jour de l'audience ; 3° de ce que le ministère public n'avait pas obtenu, avant d'intenter action, une autorisation spéciale de ladite cour d'assises ;
Attendu que les délais, formalités et autorisations prescrits en matière de délits de la presse, lorsque leurs auteurs sont traduits directement devant le jury par le ministère public, ne sont point applicables aux poursuites portées devant les tribunaux pour raison des comptes rendus de leurs audiences et en exécution des articles 7 et 16 de la loi du 25 mars et 3 de celle du 8 octobre ;
Qu'en ce cas les règles générales du droit criminel doivent seules être suivies ;
Et attendu que le délai de trois jours francs accordé au demandeur par la citation du 14 mars est celui fixé par l'article 184 du Code d'instruction criminelle pour les ajournements en matière correctionnelle ;
Que cette citation est libellée, articule et spécifie le délit imputé au demandeur et cite la loi pénale applicable à ce délit ;
Que de droit commun la poursuite d'office de tous les délits appartient au ministère public, qui n'est point assujetti à attendre la plainte ou l'autorisation préalable des personnes ou des corps que les délits concernent, à moins d'exception expresse établie par la loi ;
Que les articles 16 de la loi du 25 mars 1822 et 3 de celle du 8 octobre 1830, en vertu desquels le demandeur a été traduit devant la cour d'assises, n'obligeaient point le ministère public à obtenir préalablement de ladite cour l'autorisation de poursuivre ; Que d'ailleurs, dans le cas d'infidélité ou de mauvaise foi du compte rendu des audiences d'un tribunal, le délit doit être poursuivi, bien moins dans l'intérêt des magistrats qui peuvent être injuriés dans ce compte rendu, que dans l'intérêt de l'ordre public :
Par ces motifs, LA COUR, statuant sur les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième moyens du demandeur et sur son pourvoi du 22 mars, frappant les arrêts contradictoires du 19 du même mois, rejette lesdits moyens et ledit pourvoi ;
En ce qui touche le pourvoi contre les arrêts du 30 mars qui ont refusé d'accorder le sursis demandé par Paulin, et sur lesquels portent les septième et huitième moyens de cassation, articulant excès de pouvoir et incompétence de la cour d'assises, et violation de l'article 416 du Code d'instruction criminelle ;
Sur le septième moyen :
Attendu que quoique les arrêts du 19 mars qui ont prononcé sur les prétendues irrégularités de la poursuite du ministère public soient définitifs, ils doivent être rangés dans la classe des arrêts préparatoires et d'instruction dont le pourvoi est ouvert après l'arrêt ou jugement définitif, et sans que l'exécution volontaire puisse être opposée comme fin de non-recevoir ;
Attendu que le même caractère doit être assigné à l'arrêt du même jour 19 mars, qui n'a pas admis le moyen d'incompétence fondé sur ce que M. Z... n'avait pas tenu l'audience du 13 mars ; Que ce moyen, en effet, n'était qu'une dénégation de sa qualité de juge pour l'affaire spéciale où il était appelé à siéger et non une véritable exception d'incompétence ;
Attendu dès lors qu'aux termes des dispositions de l'article 373 et de la première partie de l'article 416 du Code d'instruction criminelle, le pourvoi formé le 22 mars contre les arrêts n'était point suspensif et ne pouvait obliger la cour d'assises à surseoir ;
Sur le huitième moyen :
Vu l'article 416 du Code d'instruction, portant : "Le recours en cassation contre les arrêts préparatoires et d'instruction ou les jugements en dernier ressort de cette qualité ne sera ouvert qu'après l'arrêt ou jugement définitif : l'exécution de tels jugements ou arrêts préparatoires ne pourra en aucun cas être opposée comme fin de non-recevoir.
La présente disposition ne s'applique point aux arrêts ou jugements rendus sur la compétence" ;
Et attendu qu'à l'audience de la cour d'assises du 19 mars, le demandeur a prétendu que l'article incriminé de la feuille du journal le National, du 14 mars précédent, n'était pas le compte rendu des audiences de ladite cour et a conclu, en conséquence, à ce qu'elle se déclarât incompétente ;
Qu'après avoir joint au fond ce moyen d'incompétence, ratione materiae, la cour y a fait définitivement droit par son arrêt de défaut du 20 mars et en a débouté le demandeur ;
Que, si le pourvoi du 22 mars ne portait pas sur cet arrêt, Paulin l'a expressément attaqué par un pourvoi fait au greffe de la cour d'assises, le 30 mars ;
Attendu qu'à l'audience du 30 mars le demandeur a excipé de ses pourvois des 22 et 30 mars qu'il prétendait également dirigés contre l'arrêt de compétence du 20 du même mois, et a demandé, en conséquence, qu'il fût sursis provisoirement à prononcer sur son opposition audit arrêt ;
Que la cour d'assises a refusé d'accorder un sursis, parce qu'elle a considéré, d'une part, que le pourvoi du 22 mars n'attaquait pas l'arrêt du 20, et, d'une autre part, que le pourvoi du 30 mars n'était pas fait en temps utile ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, quant au pourvoi du 22 mars, la cour d'assises s'est arrêtée aux termes mêmes de l'acte qui lui était représenté et qui ne nécessitait aucune interprétation ;
Mais attendu qu'elle a dépassé les limites de sa compétence, et commis un excès de pouvoir en jugeant que le pourvoi du 30 mars n'était pas fait en temps utile et ne pouvait dès lors motiver la demande en surséance ;
Qu'en effet, la Cour de cassation, saisie par ce pourvoi, était seule compétente pour statuer sur sa recevabilité, et qu'il suffisait qu'il frappât sur l'arrêt de compétence du 20 mars, pour qu'il fût de plein droit suspensif et dût faire surseoir à toute exécution dudit arrêt et au jugement de l'opposition du 25 mars, jusqu'à ce que la Cour de cassation eût prononcé ;
Qu'il y a donc lieu d'accueillir le pourvoi du 2 avril contre le premier arrêt du 30 mars, pour violation tout à la fois de la seconde disposition de l'article 416 et de l'article 373 du Code d'instruction criminelle ;
Et attendu d'ailleurs que le pourvoi du 30 mars a été fait après l'opposition à l'arrêt par défaut du 20 du même mois, et quand cette opposition conservait encore toute sa force ; que dès lors il est non recevable ;
LA COUR, faisant d'abord droit audit pourvoi, le déclare purement et simplement non recevable ;
Et, statuant sur celui du 2 avril, casse et annule le premier arrêt du 30 mars et tout ce qui en a été la suite, pour incompétence et excès de pouvoirs ;
Et, sans entendre rien préjuger sur l'exception d'incompétence à raison de la matière, ni sur les moyens du fond, renvoie Paulin et les pièces du procès devant la cour d'assises du département de Seine-et-Oise ;