CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par X... (Maria), épouse Y..., partie civile, contre un arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, Chambre des appels correctionnels, en date du 26 janvier 1972, qui a déclaré irrecevable la demande en dommages-intérêts qu'elle avait formée pour obtenir réparation du préjudice tant moral que matériel, résultant pour elle du décès de son concubin De Z... (Déogracias), tué dans un accident de la circulation dont A... (Jacques), condamné pour homicide involontaire a été reconnu entièrement responsable.
LA COUR, Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 39, 319, 320 du Code pénal, 1382 et suivants, 1133 du Code civil, 485, 612 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, "en ce que l'arrêt attaqué s'est fondé pour déclarer irrecevable la demande de réparation dirigée par la demanderesse contre le tiers auteur de l'accident ayant entraîné le décès de son concubin au motif qu'elle ne pouvait prétendre à la réparation du préjudice basé sur la perte d'une affection ou d'un soutien matériel, ayant eu de son propre fait un caractère délictueux en raison de ce qu'elle se trouvait en état d'adultère ; "alors que notre droit positif reconnaît comme valable entre concubins les libéralités dont la cause impulsive et déterminante repose sur l'exécution d'un devoir de conscience, que la jurisprudence consacre ainsi l'obligation naturelle de ne pas laisser l'autre concubin sans ressources, que dès lors, le caractère illicite du concubinage ne saurait justifier le refus à la concubine du droit d'agir, en réparation du préjudice par elle subi, fondée sur cette obligation naturelle, et ceci d'autant plus que d'une part, l'article 1382 du Code civil pose un principe général qui ne contient aucune restriction et que, d'autre part, dans le cas présent, le concubin n'était pas, quant à lui, tenu par un lien matrimonial quelconque, ce qui ne permet pas d'opposer à la demande de la concubine, une fin de non recevoir, fondée sur l'intérêt supérieur du respect dû à la famille" ;
Vu lesdits articles ; Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; Attendu que X... (Maria), épouse Y..., a formé une demande en dommages-intérêts pour obtenir réparation du préjudice tant matériel que moral résulant pour elle du décès de son concubin De Z... (Déogracias), victime d'un accident de la circulation dont A... (Jacques) a été reconnu entièrement responsable ; Attendu que l'arrêt attaqué constate que l'époux de X... (Maria) avec lequel elle vivait en Espagne a quitté sa ville natale en 1937, au moment de la guerre civile qui sévissait dans ce pays, sans laisser d'adresse et sans avoir, depuis, donné signe de vie ; qu'en 1949 la demanderesse s'est mise en ménage avec De Z... (Déogracias) et que, depuis cette date, tous deux ont mené une existence commune ; que de cette union est née une fille, âgée actuellement de 20 ans, reconnue par son père ; que celui-ci a subvenu non seulement aux besoins de cet enfant mais encore à ceux de sa concubine, laquelle ne se livrait habituellement à aucune profession rétribuée ;
Attendu qu'à la suite de ces constatations, l'arrêt rejette la demande de X... (Maria) au motif que celle-ci n'établissant pas le décès de son mari, est demeurée assujettie envers lui à l'obligation de fidélité se trouve donc en état d'adultère ; Mais attendu qu'en se fondant ainsi sur un état d'adultère qui, d'après les autres constatations de l'arrêt, n'était pas établi, dès lors que l'existence du conjoint était devenu incertaine, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; Par ces motifs : CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux du 26 janvier 1972 dans ses dispositions relatives à la demande en dommages-intérêts de X... (Maria), épouse Y..., toutes les autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ; RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel de Toulouse.