CASSATION sur le pourvoi formé le 21 février 1985 par la Société Williams Electronics Inc dont le siège social est à 3401 North California-Avenue- Chicago (Illinois), en cassation d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris, 13e chambre A, en date du 20 février 1985, au profit de Madame Claudie X... épouse Tel et de la Société anonyme Jeutel, défenderesses à la cassation
FAITS
Par ordonnance du 6 janvier 1986, conformément aux dispositions de l'article L.131-2 alinéa 2 du Code de l'organisation judiciaire, Madame le Premier Président a renvoyé l'examen du pourvoi devant une Assemblée Plénière ;
LA COUR,
La demanderesse invoque à l'appui de son pourvoi deux moyens de cassation ainsi conçus :
Premier moyen de cassation :
" Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que le jeu audio-visuel créé par la Société Williams Electronics et invoqué par celle-ci à l'appui de la poursuite et de sa constitution de partie civile est exclu de la protection accordée par ladite loi,
" aux motifs que cette protection ne profite, nonobstant le caractère seulement indicatif et non limitatif de l'énumération de l'article 3 de la même loi qu'aux seules oeuvres originales de l'esprit de nature littéraire, artistique (musicale, picturale, plastique ou architecturale), scientifique ou cinématographique, telles qu'elles sont définitivement fixées par l'auteur ; que le jeu électronique Defender, du genre couramment dénommé jeu vidéo, est constitué par un programme informatique, un écran cathodique, sur lequel défilent des images, et un socle équipé de manettes de commande. que c'est plus précisément la combinaison des sons et des images ainsi programmés et émis par moyens électroniques, formant les diverses phases du jeu en fonction des actions des joueurs dont la protection est revendiquée ; que cette combinaison de sons et d'images animées, propre au jeu Defender constitue certes un ensemble audio-visuel présentant de lointaines similitudes avec une oeuvre cinématographique ; mais que la preuve n'est pas rapportée que le concepteur de ce jeu ait eu, à l'inverse d'un cinéaste, une quelconque préoccupation de recherche esthétique ou artistique, que bien au contraire il ressort des descriptions des photographies produites ainsi que de l'expertise, que le son et les images de Defender comme les animations de celles-ci sont d'une inspiration des plus banales, comme d'ailleurs ceux que l'on trouve généralement dans les jeux vidéo et qui n'ont d'autre objet que d'initier à l'utilisation du jeu puis d'amener le joueur à agir sur les manettes pour provoquer le déclenchement et l'interréaction des diverses phases programmées (séquences de jeu) ; que le seul fait que les figures mobiles (objectif et adversaires) simulent un avion de chasse stylisé, un vaisseau lunaire, une soucoupe volante etc. et que le décor des montagnes survolées soit représenté par un tracé en dents de scie, ne procède pas, à notre époque, d'une imagination ou d'une démarche intellectuelle particulièrement originale ; qu'alors que la caractéristique d'une oeuvre artistique pénalement protégée est son intangibilité, le rôle du joueur utilisant Defender ou tout autre jeu vidéo du même genre est d'intervenir dans le déroulement des sons et images programmés et ainsi, par son action personnelle sur les manettes, de modifier à son seul gré l'ordre ou la durée des diverses séquences constituant les différentes phases du jeu ;
" alors d'une part, qu'un ensemble d'images arbitrairement animées selon une règle de jeu elle-même créée et accompagnées de sons choisis en conséquence constitue en soi une oeuvre de l'esprit apte à recueillir la protection de la loi du 11 mars 1957 ; qu'en se refusant à cette qualification, la Cour a, en l'espèce, violé par refus d'application ladite loi ;
" alors d'autre part, que l'application de la même loi n'est pas subordonnée, comme l'a exigé à tort l'arrêt, au mérite esthétique de l'oeuvre ".
Second moyen de cassation :
" Il est reproché à la Cour d'appel d'avoir décidé que le jeu audio-visuel créé par la Société Williams Electronics est exclu de la protection accordée par ladite loi,
" aux motifs que la protection résultant des articles précités du Code pénal ne profite, nonobstant le caractère seulement indicatif et non limitatif de l'énumération de l'article 3 de la loi du 11 avril (mars) 1957 qu'aux seules oeuvres originales de l'esprit de nature littéraire, artistique (musicale, picturale, plastique ou architecturale), scientifique ou cinématographique, telles qu'elles sont définitivement fixées par l'auteur ; que le jeu électronique Defender, du genre couramment dénommé jeu vidéo, est constitué par un programme informatique. que c'est plus précisément la combinaison des sons et des images ainsi programmés et émis par moyens électroniques. dont la protection est revendiquée ; que le joueur agit sur des manettes pour provoquer le déclenchement et l'interréaction des diverses phases programmées. "
" alors que sont protégés, aux termes de l'article 2 de la loi du 11 mars 1957, les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ; que l'élaboration d'un logiciel ou programme d'ordinateur est susceptible de constituer une oeuvre de l'esprit protégeable dès lors qu'elle n'est pas la simple formulation d'une idée, que dans sa composition ou son expression elle va au-delà d'une simple logique automatique ou d'un mécanisme intellectuel nécessaire, que partant, elle est originale, et que d'autre part, elle ne s'intègre pas à une création brevetable ; qu'en excluant en l'espèce de la protection de la loi du 11 mars 1957 une oeuvre audio-visuelle à raison de son lien avec un programme d'ordinateur, sans rechercher si ce programme n'était pas dans sa conception ou son expression une oeuvre originale, la Cour n'a pas donné de base légale à son arrêt ".
Attendu que, selon l'arrêt attaqué, que la Société Williams Electronics Inc. est propriétaire d'un jeu électronique audio-visuel dénommé " Defender " enregistré et déposé au Copyright Office de Washington le 10 novembre 1980, qu'estimant que le jeu commercialisé et exploité en France par la Société Jeutel sous le même nom, auquel cette société a substitué le nom " Mirage ", était identique au sien, la Société Williams Electronics Inc. a assigné la Société Jeutel et son président, Mme Y... en contrefaçon ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 1, 2 et 3 de la loi du 11 mars 1957 dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 juillet 1985, ensemble les articles 425 et 426 du Code pénal ;
Attendu que les dispositions de la loi sur la propriété littéraire et artistique protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit originale, quelle qu'en soit la forme d'expression ;
Attendu que pour décider que le jeu " Defender " créé par la Société Williams Electronics Inc. ne peut " Defender " créé par la Société Williams Electronics Inc. ne peut bénéficier de la protection accordée par la loi du 11 mars 1957, la Cour d'appel a retenu que ce jeu est constitué par un écran sur lequel défilent des images et par un socle équipé de commandes, que cet assemblage émet une série de sons et d'images se déplaçant au gré des interventions du joueur sur les commandes, que le seul fait que les figures mobiles simulent un avion stylisé, un vaisseau lunaire, une soucoupe volante et que le décor des montagnes survolées soit représenté par un tracé en dents de scie ne procède pas, à notre époque, d'une imagination ou d'une démarche intellectuelle particulièrement originale ; que la caractéristique d'une oeuvre pénalement protégée est son intangibilit interdisant à l'utilisateur de la modifier ou d'intervertir l'ordre de ses divers éléments comme le fait le joueur en modifiant à son gré les diverses séquences constituant les différentes phases du jeu ;
Attendu qu'en se déterminant par ces motifs, alors que l'animation d'images entre dans les prévisions de la loi sur les droits d'auteur, et, sans indiquer les motifs pour lesquels les animations et le décor du jeu "Defender" sont dépourvus d'originalité, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 2 de la loi du 11 mars 1957 ;
Attendu que selon les dispositions de ce texte sont protégés les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit originales quel qu'en soit le mérite ;
Attendu que pour refuser au jeu audio-visuel " Defender " le bénéfice des dispositions de la loi sur la propriété littéraire et artistique, la Cour d'appel a retenu que si cet ensemble audio-visuel présente quelque lointaine similitude avec une oeuvre cinématographique, la preuve n'est pas rapportée que le concepteur de ce jeu ait eu, à l'inverse d'un cinéaste, une quelconque préoccupation de recherche esthétique ou artistique ;
Attendu qu'en statuant par ces motifs, alors que la protection légale s'étend à toute oeuvre procédant d'une création intellectuelle originale indépendamment de toute considération d'ordre esthétique ou artistique, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le second moyen :
Vu l'article 2 de la loi du 11 mars 1957 ;
Attendu que selon ce texte sont protégés par cette loi les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit originales quels qu'en soient le genre et la destination ;
Attendu que pour décider que le jeu audio-visuel " Defender " animé par une carte logique doit être exclu de la protection du droit d'auteur, la Cour d'appel énonce que la protection résultant des droits d'auteurs ne profite qu'aux seules oeuvres originales de l'esprit de nature littéraire, artistique, scientifique ou cinématographique, telles qu'elles sont définitivement fixées par l'auteur ; que le jeu " Defender " est constitué par un programme informatique et que la combinaison des sons et des images formant les différentes phases du jeu est programmée par moyens électroniques, que le jeu " Defender " n'est pas une oeuvre artistique au sens de la loi du 11 mar 1957 ;
Attendu qu'en statuant par ces motifs, sans rechercher si le logiciel intégré dans le jeu électronique si le logiciel intégré dans le jeu électronique " Defender " n'était pas dans sa conception une oeuvre originale, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu entre les parties par la 13e chambre A de la Cour d'appel de Paris le 20 février 1985, et pour qu'il soit statué à nouveau conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Amiens.