REJET du pourvoi formé par :
- J...,
contre un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris (11e chambre), le 23 octobre 1985, qui, sur les poursuites engagées par L... P... du chef de diffamation publique envers particulier, l'a condamné à des réparations civiles.
LA COUR,
Vu le mémoire produit en demande et le mémoire personnel produit en défense ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a accueilli l'action de M. L... P... contre J... du chef de diffamation envers particulier ;
" alors que le dessin et le texte incriminés parus dans le journal " L... " le 13 juillet 1984 ne visent en aucun cas M. L... P... homme privé et que c'est manifestement M. L... P... en tant qu'homme public, député européen et officier parachutiste qui est concerné par le dessin et le commentaire " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que J... pris en la qualité de directeur de publication du quotidien " L... " a été assigné devant le Tribunal correctionnel à la requête de L... P... pour diffamation publique envers particulier, délit prévu et réprimé par les articles 29 et 32 § 1 de la loi du 29 juillet 1881 à raison de la parution dans le numéro dudit périodique du 13 juillet 1984 d'un dessin représentant le plaignant en tenue de parachutiste, un bandeau sur l'oeil, arborant une décoration " faisant nécessairement penser à la Croix de fer allemande ", dessin accompagné de la légende " le putsch funeste du 14 juillet : pendant que la France se dore la pilule, L... P... tente une épreuve nulle avec deux mille cibistes et trois cents patrons de café. Que va-t-il se passer ? réponse page 19 " ;
Attendu que bien que le demandeur n'ait pas repris expressément en cause d'appel les conclusions par lui déposées en première instance et tendant à faire déclarer que la partie civile aurait inexactement qualifié les faits objet de la citation, les seconds juges énoncent néanmoins que le texte incriminé ne vise ni l'officier de 1957 ni le " député européen ", ainsi que l'a justement relevé le Tribunal, mais atteint L... P... en tant que particulier présenté comme capable de se livrer un 14 juillet à " un putsch funeste " ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, l'arrêt n'a pas encouru le grief du moyen ;
Qu'en effet, l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ne punit de peines particulières les diffamations dirigées contre les personnes revêtues des qualités qu'il énonce que lorsque lesdites diffamations qui doivent s'apprécier non d'après le mobile qui les a inspirées ou d'après le but recherché par leur auteur mais selon la nature du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d'actes de la fonction ou d'abus de la fonction ou encore établissent que la qualité ou la fonction de la personne visée a été soit le moyen d'accomplir le fait imputé soit son support nécessaire ;
Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a, pour accueillir l'action civile de L... P..., déclaré établie l'infraction de diffamation publique envers un particulier à la suite d'une publicité parue dans " L... " le 13 juillet 1984 ;
" aux motifs que L... P... en tant que particulier est présenté comme " capable " de se livrer un 14 juillet à un " putsch funeste ", ce qui constitue " même compte tenu de la fiction et alors surtout que le texte forme un tout avec le dessin ci-dessous analysé, l'allégation d'un fait précis de nature à porter atteinte à la considération de la partie civile et que le dessin veut laisser entendre que M. L... P... est décoré de la Croix de fer ou qu'il pourrait l'être compte tenu de ses opinions " ;
" alors que pour être diffamatoire une imputation doit se présenter sous forme d'une articulation précise de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; que le caractère fictif - relevé par l'arrêt - de l'aventure présentée par le dessin incriminé, de même que la figuration sur ce dessin d'une décoration indéterminée ne renferment l'imputation d'aucun fait précis et ne pourraient au plus que s'analyser comme une injure, délit dont la Cour n'était pas saisie ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a jugé diffamatoire l'imputation faite à M. L... P... de tenter une épreuve nulle avec deux mille cibistes et trois cents patrons de café, épreuve qualifiée de " putsch funeste du 14 juillet " et se déroulant place du Colonel-Fabien ;
" alors, d'une part, que tout texte ou image qui comme en l'espèce relèvent manifestement du domaine de la plaisanterie et de la satire politique sont insusceptibles dans la tradition française de porter atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne ;
" alors, d'autre part, que des attaques vagues et générales, mais qui ne dépassent pas le cadre de la liberté de discussion nécessaire en matière politique sont insuffisantes pour constituer un fait de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que pour condamner J... à des réparations civiles sur le seul appel de la partie poursuivante, les juges énoncent que le texte retenu dans la citation présente L... P... comme étant capable de se livrer à un putsch un 14 juillet, ce qui constitue bien, " compte tenu de la fiction ", l'allégation d'un fait précis de nature à porter atteinte à la considération de la personne visée ; qu'ils relèvent, en ce qui concerne le dessin incriminé reproduisant, avec retouches, la couverture du magazine " Z... ", qu'à la différence de celle-ci où la décoration attribuée à L... P... était en partie masquée par un texte, la reproduction publiée par " L... " fait, par suite du déplacement dudit texte, apparaître très nettement l'insigne de la Croix de fer encore associé, pour beaucoup de Français, à l'occupation allemande et au régime nazi ; que la Cour d'appel en déduit l'imputation d'un fait précis portant atteinte à l'honneur de L... P... et que l'intention de nuire, d'ailleurs présumée, est évidente, la bonne foi étant exclue par la nature même du procédé employé ;
Attendu que ces constatations et énonciations mettent la Cour de Cassation à qui il appartient d'exercer son contrôle sur le point de savoir si, dans les écrits poursuivis, se retrouvent les éléments légaux de la diffamation tels que définis par les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, en mesure de s'assurer que les juges ont fait l'exacte application de la loi ;
Qu'en effet, nonobstant le caractère fictif de la scène représentée, l'imputation d'une action violente menée par un groupe armé dont la constitution est pénalement répréhensible, faite à une personne supposée avoir adhéré aux doctrines nationales-socialistes, est de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de ladite personne ;
Que, par ailleurs, les discussions, polémiques ou satires politiques cessant là où commencent les attaques personnelles, l'intention de nuire qui résulte des imputations diffamatoires ne peut disparaître que par la preuve, incombant à leur auteur, de faits justificatifs suffisants pour établir sa bonne foi ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.