REJET du pourvoi formé par X... Jean, X... Hélène, A... Marie, veuve X..., contre un arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 6 mars 1986 qui, dans les poursuites pour contravention d'injure non publique engagées par la société à responsabilité limitée Y... et Claude Z..., parties civiles, les a condamnés à des réparations civiles.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation et fausse application des articles 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, 1134 et 1382 du Code civil, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné les consorts X... à réparer le préjudice subi par les parties civiles du fait de la diffamation non publique contenue dans l'exploit d'huissier du 29 août 1984 ;
" aux motifs que, d'une part, le caractère d'écrit produit devant les tribunaux au sens de l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 doit être refusé à tout acte antérieur à l'ouverture du procès lorsqu'il ne constitue pas un acte initial d'instance, et qu'en l'espèce l'acte incriminé, acte extra-judiciaire, ne constitue pas un acte initial d'instance ;
" alors qu'en négligeant de prendre en considération, qu'au moment de l'acte incriminé, une instance était pendante devant la juridiction des référés, celle-ci ayant, par décision du 6 juillet 1984, ordonné une expertise, d'où il résultait que l'acte litigieux était postérieur à l'ouverture du procès, la Cour a dénaturé par omission ladite décision du 6 juillet 1984 et violé en conséquence l'article 1134 du Code civil ;
" et aux motifs que, d'autre part, aucune instance au fond n'était pendante entre, d'une part, les consorts X... et, d'autre part, la société Y... et M. Z..., à la date des poursuites engagées, l'acte incriminé ne peut être couvert par l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;
" alors, en premier lieu, que pour que joue l'immunité prévue par ce texte, l'instance doit être ouverte non au moment de la poursuite mais au moment de l'acte incriminé et qu'en se contentant de noter qu'en l'espèce aucune instance n'était pendante au moment de la poursuite sans rechercher si une instance n'était pas ouverte au moment des faits litigieux, la cour d'appel a entaché sa décision d'une violation de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;
" et alors, en second lieu, qu'en exigeant qu'une instance au fond soit pendante entre les parties bien que la loi n'ait prévu aucune restriction aux droits de la défense lorsque les juges ne statuent pas sur le fond et qu'elle n'ait pas notamment disposé que l'immunité de l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 ne trouvait pas application s'agissant d'une instance en référé, la Cour a, à nouveau, violé par fausse application ledit article 41 de la loi du 29 juillet 1881 " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société à responsabilité limitée Y... et Claude Z..., son gérant, ont fait citer devant le tribunal de police pour contravention d'injure non publique prévue par l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 et punie par l'article R. 26-11° du Code pénal, Marie A..., veuve X..., Hélène X... et Jean X... à la suite de la délivrance qui leur avait été faite le 29 août 1984 à la requête de ces derniers par la société civile professionnelle d'huissiers Ansselin et Samain d'un exploit intitulé " protestation, notification avec sommation " et retenu à raison des expressions " ce prix de vente très inférieur à la valeur du fonds laisse supposer une dissimulation du prix de vente ", " ces faits au surplus sont de nature à tomber sous le coup de l'article 153 du Code pénal et à vicier la validité même de l'acte du 27 mars 1984 dont la nullité peut être invoquée par le bailleur " ; que pour réformer le jugement du premier juge qui avait déclaré applicables les dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel qui par ailleurs relève que l'écrit incriminé n'a été porté à la connaissance que de la société Y... et de Z... auxquels il était destiné, énonce que si l'immunité instituée par la loi couvre les écrits produits devant les tribunaux et s'applique à tous les actes de procédure faits pendant le cours de l'instance y compris à ceux qui ont pour objet de l'engager, ce caractère doit être refusé à tout autre acte antérieur à l'ouverture du procès, que l'acte incriminé ne constituait pas l'acte initial de l'action d'autant qu'aucune instance au fond n'était pendante entre d'une part les consorts X... et d'autre part la société Y... et Z... au moment où ceux-ci ont engagé les poursuites ;
Attendu qu'en statuant ainsi, abstraction faite de motifs surabondants voire erronés, la cour d'appel a souverainement constaté que les expressions qualifiées d'injures non publiques étaient contenues dans un acte qui, adressé aux seuls plaignants, n'avait pas été produit en justice, que, dès lors elles n'étaient pas couvertes par l'immunité instituée par l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 dans le but d'assurer devant tous les tribunaux le libre accès du droit de défense ; qu'en effet si ladite immunité n'est pas limitée aux actes introductifs d'instance ou aux actes subséquents mais couvre également tout autre écrit c'est à la condition que celui-ci ait été effectivement soumis à l'appréciation d'un juge ;
Qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation et fausse application des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 du Code civil, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné les consorts X... à réparer le préjudice subi par les parties civiles du fait de la diffamation non publique contenue dans l'exploit d'huissier du 29 août 1984 ;
" aux motifs que les imputations contenues dans cet acte sont diffamatoires et que les consorts X... ne rapportent pas la preuve de leur bonne foi ;
" alors qu'en se bornant à affirmer que les prévenus ne rapportaient pas la preuve de leur bonne foi sans examiner les éléments de preuve et circonstances invoqués par eux et d'où ils déduisaient que les écrits litigieux n'étaient pas diffamatoires, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si la bonne foi des prévenus pouvait (ou non) être retenue ; que la Cour n'a ainsi pas légalement justifié sa décision de condamnation et violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 " ;
Attendu qu'il appert encore de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé que les expressions retenues dans la signification incriminée imputant à la société Y... et à Z... une dissimulation de prix et la commission d'un délit, portaient atteinte à l'honneur et à la considération de ceux-ci et constituaient une diffamation, qu'à défaut de publicité de l'écrit, ladite diffamation était assimilée à la contravention d'injure non publique, la cour d'appel énonce d'une part qu'en la matière la preuve de la vérité des faits imputés n'est pas admise et d'autre part que les consorts X... ne rapportent pas la preuve de leur bonne foi ou d'une provocation ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations et alors qu'ils n'étaient saisis que de conclusions tendant à démontrer que les faits imputés n'étaient pas diffamatoires, les juges ont fait l'exacte application de la loi ;
Qu'en effet, même lorsqu'elles dégénèrent, faute de publicité, en injures non publiques, les imputations diffamatoires sont réputées faites avec intention de nuire, que cette présomption ne peut disparaître qu'en présence de faits justificatifs autres que la vérité des faits imputés et de nature à faire admettre la bonne foi, que la preuve en incombant au prévenu qui l'invoque, les juges n'ont pas à la rechercher ;
Que dès lors le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.