LA COUR,
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Attendu, selon l'ordonnance déférée, les pièces produites et les pièces de la procédure, que, par ordonnance du 6 janvier 1987, non frappée d'un recours, le président du tribunal de grande instance de Reims a autorisé des agents de l'administration des Impôts, en application de l'article 94 de la loi de finances pour 1985 du 29 décembre 1984, dont les dispositions ont été codifiées à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, à procéder dans les locaux d'habitation de M. X... aux visites et saisies nécessitées par la recherche de la preuve d'agissements selon lesquels ce contribuable se serait soustrait à l'établissement et au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'impôt sur les bénéfices en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures dans les documents dont la tenue est imposée par le Code général des impôts ; que les agents de l'Administration, assistés d'un officier de police judiciaire désigné par le président, ont effectué leurs opérations le 7 janvier 1987 en deux temps et ont dressé trois procès-verbaux intitulés respectivement " procès-verbal de visite ", " procès-verbal d'inventaire et de documents saisis " et " procès-verbal de visite complémentaire " ; que, le même jour, M. X... a présenté au président du tribunal une requête demandant la " suspension " des mesures de visite, perquisition et saisie pratiquées, alors qu'elles étaient achevées, en faisant valoir que la perforation et l'analyse du sous-sol de la cave qui avaient été effectuées ne rentrait pas dans les pouvoirs des agents de l'Administration, qu'une seule des deux visites avait été autorisée par le président et que l'utilisation abusive de l'ordonnance constituait une atteinte aux libertés individuelles puisque les règles des visites et des saisies de l'administration fiscale ne sont pas régies par le Code de procédure pénale ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge délégué par le président a rejeté la requête de M. X... ;
Sur la recevabilité du pourvoi :
Attendu qu'en raison du pouvoir de contrôle conféré au président du tribunal de grande instance sur l'exécution de son ordonnance du 6 janvier 1987 autorisant les visite et saisie prévues à l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, l'ordonnance attaquée du 7 janvier 1987 n'est elle-même susceptible, comme la première, que d'un pourvoi en cassation ;
D'où il suit que le pourvoi est recevable ;
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :
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Vu l'article 94 de la loi du 29 décembre 1984, devenu l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ;
Attendu que, pour rejeter la requête de M. X..., l'ordonnance retient que la perquisition prévue à l'article précité est assimilable à la perquisition régie par le Code de procédure pénale, que le sous-sol visé par la requête peut être assimilé aux murs de la cave, et que cette cave fait incontestablement partie des locaux d'habitation de M. X... ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de la première ordonnance que le droit de creuser le sous-sol de la cave ait été conféré aux agents de l'administration des Impôts, le président du tribunal a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article L. 131-5, alinéa 1er, du Code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen,
CASSE ET ANNULE, sans renvoi, l'ordonnance rendue le 7 janvier 1987, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Reims
MOYEN ANNEXE
Moyen produit par la SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen, avocat aux Conseils, pour M. X... .
Le moyen fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir rejeté la requête en suspension de la mesure de visite opérée le 7 janvier 1987 sans autorisation présidentielle préalable par les agents de l'Administration fiscale dans la cave de M. X... dont ils ont creusé le sol,
Aux motifs que la perquisition prévue par l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales est assimilable à la perquisition prévue par le Code de procédure pénale ;
Que le sous-sol visé par la requête peut être assimilé aux murs de la cave, que cette cave fait incontestablement partie des locaux d'habitation de M. X... André ;
Que la mesure envisagée par les agents de l'Administration fiscale n'est que la prolongation de la perquisition et non une nouvelle perquisition " ;
1°- Alors que la visite domiciliaire spécialement instituée par l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales est une opération de caractère administratif qui n'est pas assimilable à la perquisition prévue par le Code de procédure pénale ;
Qu'il résulte d'ailleurs du dernier alinéa du paragraphe 11 dudit article que cette mesure ne suit les règles de la procédure pénale que pour l'introduction du pourvoi en cassation à l'encontre de l'ordonnance qui l'autorise ;
Qu'en décidant du contraire la décision attaquée a méconnu l'autonomie de la procédure fiscale par rapport aux poursuites pénales et violé l'article susvisé ;
2°- Alors que les pouvoirs exorbitants conférés par l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales aux agents de l'Administration fiscale doivent être strictement contenus dans les limites du texte qui les prévoit ;
Que celui-ci, s'il autorise " les visites en tous lieux même privés " ne permet pas auxdits agents de porter atteinte au droit de propriété du contribuable concerné ;
Qu'en l'espèce, à supposer que les inspecteurs désignés aient été, par l'ordonnance du 6 janvier, autorisés à visiter une deuxième fois la cave de M. X..., ils n'avaient pas pour autant été habilités à en creuser le sous-sol ;
Que dès lors en rejetant la requête en suspension, l'ordonnance a entériné un détournement de procédure, violant ainsi une nouvelle fois l'article visé au moyen ;
3°- Alors que l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales qui crée en faveur de l'Administration fiscale un droit de visite domiciliaire est un texte d'exception qui, comme tel, est d'interprétation stricte ;
Qu'aux termes de ce texte " chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ou d'un juge délégué par lui " ;
Qu'il est constant qu'en l'espèce après avoir effectué, le matin, la visite de cette cave, comme ils y avaient été autorisés par l'ordonnance du 6 janvier, les inspecteurs y sont revenus l'après-midi et qu'après en avoir fait ouvrir la porte par un serrurier, ils en ont creusé le sous-sol ;
Que, de la sorte, en rejetant la requête, l'ordonnance attaquée a validé une " visite " effectuée sans autorisation préalable et violé encore le texte susvisé ;
4°- Alors que la procédure d'exception instituée par l'article L. 16-B du Livre des procédures fiscales ne s'applique qu'à la recherche de la preuve de certains agissements en matière d'impôt sur le revenu ou sur les bénéfices et de TVA et ne peut donc tendre à un autre but ;
Qu'en l'espèce, il est constant que la visite de la cave autorisée par l'ordonnance du 6 janvier n'avait débouché sur aucune saisie de pièces ou documents se rapportant à la présomption selon laquelle M. X... se soustrayait " à l'établissement et au paiement de la TVA et de l'impôt sur les bénéfices en omettant sciemment de passer ou de faire passer les écritures dans les documents comptables dont la tenue est imposée par le Code général des Impôts " ;
Qu'il est par ailleurs démontré qu'à la suite du creusement du sol de la cave, lors de la seconde visite, des pièces d'or avaient été saisies ;
Qu'en conséquence, il était établi que les agents de l'Administration avaient agi dans un dessein différent de celui qu'ils poursuivaient officiellement ;
Qu'en rejetant la requête, l'ordonnance qui a validé un tel comportement a encore violé le texte qu'elle prétendait appliquer.