CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... Hubert, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur légal de ses enfants mineurs Elisabeth, Béatrice et Patrick,
- Y... Virgile,
- Z... Chantal, épouse Y...,
- Y... Christian,
- Y... Jean,
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 8 octobre 1986, qui, dans les poursuites exercées contre A... Lucienne, épouse B..., des chefs d'homicide involontaire et de défaut de maîtrise, après relaxe de la prévenue, a débouté les parties civiles de leurs demandes.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, 319 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a décidé que Mme B... n'était pas responsable de l'accident ayant provoqué la mort de Mme X... ;
" aux motifs qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre du conducteur du véhicule impliqué ; qu'en effet, il n'est nullement établi que ce dernier circulait à une vitesse excessive ou a manqué d'inattention ;
" alors qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, il suffit pour que la victime ait vocation à être indemnisée qu'un véhicule terrestre à moteur soit impliqué dans l'accident ; que dès lors la cour d'appel qui décide que l'automobiliste dont le véhicule est impliqué dans l'accident, ne peut être tenu d'indemniser la victime, en raison de son absence de faute, a violé le texte susvisé " ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, défaut de réponse à conclusions et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté les parties civiles de leur demande en réparation du préjudice moral et matériel que leur a causé le décès de Mme X... ;
" aux motifs qu'en entreprenant la traversée de la chaussée devant le car, le piéton ne pouvait pas voir les véhicules qui le dépassaient venant du centre ville ; que Mme X... a donc commis une faute en traversant " sans regarder " comme l'ont souligné les deux témoins, à un endroit où la visibilité était nulle sur sa gauche du fait de la position du car à l'arrêt ; que ce piéton qui ne disposait d'aucune visibilité a surgi, suivant le témoignage de Mme C..., en accord sur ce point avec les déclarations de la conductrice, comme une " bombe " ; qu'il s'agit bien là d'une double faute d'une exceptionnelle gravité ; qu'il est certain que la victime n'a pas agi par simple inattention ou inadvertance puisqu'elle a entrepris la traversée en s'y prenant à deux fois et en courant ; qu'il ressort des circonstances sus-rapportées qu'elle a commis une faute délibérée alors qu'elle ne pouvait pas ignorer le danger qu'elle encourait ; que sur ce dernier point il est bien établi que Mme X... avait été avertie, à plusieurs reprises, qu'elle n'avait pas à traverser devant le car ; qu'il est donc certain qu'en entreprenant délibérément cette manoeuvre fautive, elle ne pouvait pas ignorer les risques graves auxquels elle s'exposait compte tenu des circonstances sus-rappelées ; qu'il lui appartenait de s'abstenir plutôt que d'affronter le danger en en acceptant par avance tous les risques ;
" alors que, d'une part, l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985 dispose que les victimes, hormis les conducteurs de véhicule terrestre à moteur, doivent être indemnisées de leur dommage sans que puisse leur être opposée leur propre faute sauf si celle-ci est inexcusable et exclusive de l'accident et que la victime ait volontairement recherché le dommage qu'elle a subi ; que commet une faute d'imprudence l'individu qui n'accomplit pas tout ce qui est en son pouvoir pour éviter le dommage, ce qui ne saurait être le cas de Mme X... qui, même si elle pouvait traverser à l'arrière du car, était en droit de traverser à l'avant du car conformément à l'article R. 219 du Code de la route, le passage protégé pour piétons le plus proche étant, comme l'a constaté l'expert mandaté par les parties civiles, à plus de 50 mètres, du car ; qu'elle était encore, compte tenu des panneaux recommandant la prudence des conducteurs en raison du ramassage scolaire, des feux de détresse du car allumés et des nombreux piétons traversant à cet endroit, en droit d'attendre une conduite des plus prudentes de la part des automobilistes ; qu'ainsi la Cour qui a considéré que Mme X... avait commis une faute inexcusable en traversant à l'avant du car sans visibilité, a violé le texte susvisé ;
" alors que, d'autre part, pour retenir une faute inexcusable de la victime la Cour a relevé que celle-ci avait traversé comme une " bombe " aux dires de la conductrice et d'un témoin sans répondre au moyen péremptoire de défense des parties civiles faisant valoir le témoignage de D... qui se trouvait de l'autre côté de la chaussée et attendait l'autobus, déclarant que Mme X... avait traversé la route, certes devant le car, mais en marchant normalement lorsqu'elle avait été heurtée ; qu'elle a ainsi entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions ;
" alors que, enfin, pour décider que le comportement de la victime est la cause exclusive de l'accident et écarter toute faute du conducteur, en particulier celle de n'avoir pu éviter le piéton en maintenant sa vitesse dans les limites qu'imposaient les conditions de la circulation, la Cour ne pouvait se borner à relever que si la victime a été retrouvée à 14 mètres du point de choc, elle n'était toutefois pas morte sur le coup et avait pu se mouvoir avant de s'immobiliser par terre, hypothèse que ne corrobore aucun témoin et que contredit le nombre des fractures causées à la victime qui était dans l'impossibilité totale de se déplacer, sans statuer par un motif hypothétique et priver par là même sa décision de base légale " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que seule est inexcusable, au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, la faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que la voiture automobile conduite par Lucienne B..., qui dépassait un autocar de transport d'enfants régulièrement arrêté sur le côté droit de l'avenue, par rapport à son sens de marche, a heurté un piéton, Irène X... qui traversait la chaussée de la droite vers la gauche, à l'avant du car, après avoir fait monter sa fille dans ce véhicule ; qu'Irène X... est décédée des suites de ses blessures ;
Attendu que, poursuivie pour homicide involontaire et défaut de maîtrise, Lucienne B... a été relaxée de ces chefs par le Tribunal ;
Attendu que, saisie par l'appel des ayants droit de la victime qui réclamaient réparation sur le fondement des articles 3 et 6 de la loi du 5 juillet 1985, la juridiction du second degré, pour rejeter leur demande et retenir que la victime " avait commis une double faute, d'une exceptionnelle gravité ", qui avait été la cause exclusive de l'accident, énonce qu'Irène X... avait traversé la chaussée " sans regarder ", en surgissant " comme une bombe " devant la voiture de Lucienne B..., après une première tentative de traversée ; que les juges relèvent en outre que, selon le conducteur du car et une accompagnatrice des enfants, " elle avait l'habitude de traverser tous les jours devant l'autocar, malgré leurs recommandations " ;
Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations qui n'établissent pas que la faute ait été volontaire, ni qu'elle ait été d'une exceptionnelle gravité, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, en date du 8 octobre 1986, et pour être à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble.