AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt et un février mil neuf cent quatre vingt dix, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire PELLETIER, les observations de Me RICARD et de Me ANCEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ROBERT ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
X... André,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de PARIS en date du 10 juillet 1989 qui, dans une procédure suivie contre lui du chef d'homicide involontaire, a dit n'y avoir lieu à annulation des pièces de la procédure et a ordonné un supplément d'information ;
Vu l'arrêt de la Cour de Cassation du 8 juin 1988 désignant, en application de l'article 681 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris pour être chargée de l'instruction ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle en date du 13 octobre 1989, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen pris de la violation des articles 7 et 8, 679 et 681, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation de la procédure, et ordonné la continuation de l'information, en désignant M. Moatty président pour accomplir tous actes d'instruction utiles ;
" aux motifs " qu'aucune atteinte aux droits de la défense ne peut être alléguée, le juge d'instruction se devant de vérifier si le maire était susceptible d'être inculpé, compte tenu des éléments du dossier, et, dans l'affirmative de procéder à l'identification de ce dernier (la plainte des parties civiles étant en effet dirigée contre X) ; que ce n'est qu'à la suite de ces vérifications qu'il est apparu que les faits dénoncés par les parties civiles étaient susceptibles d'entraîner la mise en cause de X..., maire de Fresnes, en sa qualité de président de la commission technique de sécurité ; que le magistrat instructeur a alors communiqué le dossier au Parquet, en s'abstenant d'effectuer tout acte d'instruction s'appliquant directement et personnellement à X..., aux fins de saisir la chambre criminelle de la Cour de Cassation ; que cette haute juridiction, après examen du dossier, a désigné la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris et n'a pas estimé devoir annuler la procédure antérieure, ce qu'il lui était loisible de faire d'office ; qu'en conséquence, la procédure étant régulière, les conclusions du mémoire de X... seront rejetées " ;
" 1° alors que lorsqu'il y a lieu à application de l'article 681 du Code de procédure pénale, le plaignant doit renouveler auprès de la chambre d'accusation chargée de l'information, la plainte avec constitution de partie civile précédemment portée auprès du juge d'instruction ; que faute de l'avoir fait, la chambre d'accusation n'est pas régulièrement saisie, et tous les actes d'instruction qui seraient accomplis par la suite sont nuls et non avenus ; qu'en l'espèce, les époux Y... n'ont pas renouvelé leur plainte avec constitution de partie civile devant la chambre d'accusation ; d'où il suit qu'en déclarant la procédure régulière, la chambre d'accusation a méconnu les textes susvisés ;
" 2° alors qu'en matière correctionnelle, la prescription de l'action publique est de trois ans ; qu'en l'espèce, la prescription qui a commencé à courir le 5 octobre 1983, date du décès de Jean-Philippe Y... a été interrompue le 4 décembre 1984 par le mémoire déposé par la partie civile, entre les mains du juge d'instruction ; qu'aucun autre acte de procédure n'est intervenu entre cette dernière date et la date du 31 mai 1988 à laquelle la requête en désignation de juridiction a été présentée par le procureur près le tribunal de grande instance à la Cour de Cassation ; que la prescription est dès lors acquise ; qu'en décidant le contraire, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés " ;
Sur le second moyen de cassation pris de violation des articles 7 et 8, 593, 679 et 681 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation de la procédure, et ordonné la continuation de l'information, en désignant M. Moatty, président, pour accomplir tous actes d'instructions utiles ;
" aux motifs " qu'aucune atteinte aux droits de la défense ne peut être alléguée, le juge d'instruction se devant de vérifier si le maire était susceptible d'être inculpé, compte tenu des éléments du dossier, et, dans l'affirmative de procéder à l'identification de ce dernier (la plainte des parties civiles étant en effet dirigée contre X...) ; que ce n'est qu'à la suite de ces vérifications qu'il est apparu que les faits dénoncés par les parties civiles étaient susceptibles d'entraîner la mise en cause de X..., maire de Fresnes, en sa qualité de président de la commission technique de sécurité ; que le magistrat instructeur a alors communiqué le dossier au Parquet, en s'abstenant d'effectuer tout acte d'instruction s'appliquant directement et personnellement à X..., aux fins de saisir la chambre criminelle de la Cour de Cassation ; que cette haute juridiction, après examen du dossier, a désigné la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris et n'a pas estimé devoir annuler la procédure antérieure, ce qu'il lui était loisible de faire d'office ; qu'en conséquence, la procédure étant régulière, les conclusions du mémoire de X... seront rejetées " ;
" 1° alors que lorsqu'un maire ou un élu municipal est susceptible d'être inculpé d'un crime ou d'un délit commis dans l'exercice de ses fonctions, la seule juridiction pouvant être chargée de l'instruction est en application de l'article 681 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation désignée à cet effet par la chambre criminelle de la Cour de Cassation et que l'inobservation de ces prescriptions entraîne la nullité absolue de la procédure ; qu'en l'espèce, il était constant, ainsi que la chambre criminelle l'avait relevé dans sa décision du 8 juin 1988, que bien que la plainte ait été dirigée contre personne non dénommée, elle mettait en cause André X... qui était au moment des faits maire de Fresnes ; que dès lors, tous les actes de procédure accomplis postérieurement à la plainte du 23 novembre 1983, ou subsidiairement postérieurement au dépôt du rapport d'expertise technique devant être annulés comme accomplis par une juridiction radicalement incompétente, la décision de la chambre d'accusation encourt la cassation pour violation des textes précités ;
2° " alors que l'annulation de tous les actes de procédure à compter du 23 novembre 1983, date du dépôt de la plainte, ou au plus tard, du 5 décembre 1983, date de la réception du rapport d'expertise technique, entraîne nécessairement constatation de l'acquisition de la prescription à partir des dates précitées ; qu'en statuant dès lors comme elle l'a fait, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés " ;
Ces moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 5 octobre 1983, Jean-Philippe Y... est décédé par électrocution en prenant appui sur un lampadaire situé sur une voie communale de Fresnes ; qu'au mois de novembre suivant, la mère de la victime a déposé une plainte avec constitution de partie civile contre X... du chef d'homicide involontaire ; qu'aucune personne n'a été mise en cause dans cette plainte ; qu'à la suite du réquisitoire introductif en date du 12 janvier 1984, une information a été ouverte contre X... du chef précité ; qu'au cours d'une précédente information ouverte aux fins de rechercher les causes de la mort de Jean-Philippe Y..., un rapport d'expertise a été déposé le 26 décembre 1983 et a conclu notamment à une " carence de la commission de sécurité de la mairie de Fresnes ", celle-ci ayant l'obligation de faire vérifier périodiquement la résistance des prises de terre des lampadaires ; qu'après jonction de ces deux informations, le juge d'instruction a délivré plusieurs commissions rogatoires, l'une en 1985 pour saisir divers documents détenus par les services techniques de la mairie de Fresnes, l'autre en 1986 aux fins notamment d'entendre les responsables des sociétés ayant installé et entretenu le candélabre litigieux et la dernière le 16 février 1988 pour déterminer l'identité du maire de Fresnes au moment de l'accident ; qu'à la suite de ce dernier acte, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a été saisie d'une requête en désignation ; que la chambre d'accusation de la cour d'appel désignée pour connaître des faits d'homicide involontaire susceptibles d'être imputés à André X..., maire de Fresnes au moment desdits faits, a inculpé celuici ; que le 24 avril 1989, la procédure a été communiquée au ministère public pour règlement ;
Attendu qu'en rejetant l'exception tirée de la nullité de la procédure, l'arrêt attaqué n'encourt pas les griefs allégués aux moyens ; que d'une part, la requête précitée a été présentée par le procureur de la République sans délai au sens de l'article 681 du Code de procédure pénale, lorsque la personne susceptible d'être inculpée a été identifiée ; que d'autre part, la partie civile n'était pas tenue de renouveler, auprès de la chambre d'accusation, sa plainte avec constitution de partie civile, dès lors que l'action publique avait été régulièrement mise en mouvement à la suite du réquisitoire introductif du 12 janvier 1984 ; qu'enfin, la prescription de ladite action publique n'était pas acquise, dès lors qu'elle a été interrompue entre 1984 et 1988 par les actes de procédure susvisés ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Pelletier conseiller rapporteur, MM. Diémer, Guilloux, Massé, Carlioz conseillers de la chambre, M. Robert avocat général, Mme Patin greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.