LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE,
a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Monsieur Jean A..., demeurant à Paris (8e), ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 29 mai 1986 par la cour d'appel de Paris (21e chambre sociale C), au profit de la société anonyme EMMISA, dont le siège social est à Paris (8e), ...,
défenderesse à la cassation ; La société anonyme Emmisa a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ; LA COUR, en l'audience publique du 24 janvier 1990, où étaient présents :
M. Caillet, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, MM. Benhamou, Lecante, Waquet, Renard-Payen, Boittiaux, conseillers, MM. Y..., Bonnet, Mme X..., M. Z..., Mme Marie, conseillers référendaires, M. Franck, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Caillet, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. A..., les conclusions de M. Franck, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le premier moyen du pourvoi principal de M. A... :
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, que M. A... était directeur général salarié et président-directeur général de la société Emmisa, lorsque l'assemblée générale ordinaire n'ayant pas renouvelé son mandat d'administrateur, il a, le 14 juin 1982, été démis de son mandat de président ; que prétendant que la société avait, par lettre du 23 juillet 1982, rompu son contrat de travail, il l'a fait citer devant la juridiction prud'homale ; qu'il fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande en paiement d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts, alors, d'une part, que la démission du salarié ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque l'intention de mettre fin au contrat de travail ; que pour considérer M. A... démissionnaire, la cour d'appel relève qu'il ne pouvait se croire licencié du seul fait qu'il avait été mis fin à ses fonctions d'administrateur ; qu'il avait fait connaitre à cinq salariés son intention de quitter la société Emmisa ; que le fait pour M. A... d'entreprendre un voyage à l'étranger prévu depuis plusieurs jours était révélateur de sa volonté de ne plus exercer de fonctions salariales au sein de l'entreprise ; qu'en l'état de ces seules constatations, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'actes manifestant sans équivoque l'intention de M. A... de rompre son contrat, la prétendue
démission du salarié ne pouvant résulter d'une erreur sur la portée de la décision de l'assemblée des actionnaires ou de la simple allégation de certains salariés dépourvue de toute précision, encore moins d'un voyage prévu que l'employeur n'ignorait pas ; qu'ainsi la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 122-14-3 du Code du travail ; alors, d'autre part, que la modification substantielle du contenu du contrat par l'employeur rend imputable à celui-ci la rupture du contrat ; que la cour d'appel a constaté expressément que M. A... occupait jusqu'au 14 juin 1982 des fonctions salariales très importantes de direction au sein de l'entreprise ; qu'elle a également relevé qu'il avait été rétrogradé à des fonctions de simple directeur et qu'il n'avait pas
accepté de poursuivre son contrat de travail à des conditions compatibles sinon avec le très haut niveau de responsabilité qui était le sien alors qu'il cumulait les fonctions de président et de directeur général, du moins avec celles d'ingénieur qui étaient originairement les siennes au sein de l'entreprise ; qu'il résulte de ces constatations que l'employeur avait substantiellement modifié le contrat de travail de M. A... ; qu'en refusant de déduire les conséquences de ses propres constatations la cour d'appel a violé l'article L. 122-4 du Code du travail ; Mais attendu que la cour d'appel a relevé que M. A..., informé dès le 14 juin 1982, à midi, que le conseil d'administration avait nommé un nouveau président et un nouveau directeur-général mais néanmoins décidé qu'il resterait attaché à l'entreprise, avait, le jour même, sans attendre que lui soient notifiées et définies ses nouvelles fonctions, quitté le siège de la société pour entreprendre un voyage à l'étranger qui, bien que prévu plusieurs jours à l'avance, n'en prenait pas moins, du fait des circonstances, un caractère insolite et inopportun, et qu'il avait, dans le même temps, préparé sa nomination de président-directeur général d'une autre société ; qu'elle a encore relevé qu'informé par lettre du 22 juin 1982, que son contrat de travail était maintenu, de même que sa rémunération et la charge des missions importantes attachées à des fonctions de "simple" directeur, M. A... avait persisté à soutenir qu'il avait été mis fin à son contrat par l'effet d'une manoeuvre ; Attendu qu'ayant ainsi fait ressortir qu'en réalité le contrat de travail de M. A... n'avait subi aucune modification substantielle, les juges du fond ont pu décider que la rupture en était imputable au refus réitéré de l'intéressé, le 14 juin au soir puis le 29 juin, de reprendre, au sein de l'entreprise, la place naturellement attachée à l'exercice normal dudit contrat, ses démarches ultérieures n'ayant eu d'autre but que de tenter de rejeter artificiellement la responsabilité de la rupture sur son ancien employeur ; D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. A... fait encore grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande en paiement de complément de congés payés alors, d'une part, que les
conventions conclues entre la société et un dirigeant sont seulement annulables, lorsqu'elles ont des conséquences dommageables pour la société ; qu'en estimant que la société Emmisa ne pouvait valablement s'obliger envers M. A... qu'après approbation du conseil d'administration et de l'assemblée générale, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 105 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors, d'autre part, qu'il résulte des termes clairs et précis de la lettre du 25 juin 1982 adressée à la société Emmisa par la société Penarroya "qu'il était proposé d'effectuer les régularisations suivantes à fin juin 1982... indemnité compensatrice de soixante deux jours ouvrés de congés" ; qu'en estimant que cette lettre était une simple proposition, alors que, selon ses propres termes, il s'agissait de "régulariser" une situation préexistante, la cour d'appel a dénaturé ce document et violé l'article 1134 du Code civil ; Mais attendu que la cour d'appel, par une interprétation que l'ambiguïté de la lettre du 25 juin 1982 rendait nécessaire, a estimé que cette lettre était une simple proposition émanant de la société Penarroya, ancien actionnaire majoritaire de la société Emmisa et non un engagement unilatéral de cette dernière ; qu'elle a décidé à bon droit, nonobstant le motif surabondant visant l'approbation non demandée au conseil d'administration et à l'assemblée générale des actionnaires, que la société Emmisa ne s'était pas obligée à cet égard envers M. A... ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ; Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles 1134 du Code civil et 28 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 ; Attendu que, selon ce dernier texte relatif à la clause de non-concurrence, l'interdiction de concurrence, qui doit faire l'objet d'une clause dans la lettre d'engagement ou d'un accord écrit entre les parties et qui ne peut excéder une durée d'un an renouvelable une fois, a comme contrepartie pendant la durée de non-concurrence, une indemnité mensuelle égale à cinq dixièmes de la moyenne mensuelle des appointements ainsi que des avantages et gratifications contractuels dont l'ingénieur ou cadre a bénéficié au cours de ses douze derniers mois de présence dans l'établissement, que cette indemnité, qui est la
contrepartie du respect de la clause de non-concurrence, cesse d'être due en cas de violation par l'intéressé, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent lui être réclamés ;
Attendu que l'arrêt attaqué a débouté M. A... de sa demande d'indemnité en application de la clause de non-concurrence contenue dans sa lettre d'engagement du 23 février 1948, aux motifs que l'intéressé n'avait subi ni contrainte ni préjudice du fait de cette clause qui n'avait eu aucun effet négatif à cet égard, et qu'il avait omis devant les premiers juges de formuler quelque demande que ce soit à ce sujet, ce qui indiquait qu'il avait lui-même fait abstraction de cette clause après la rupture de ses relations de travail avec l'entreprise ; Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que, selon la convention collective, l'indemnité compensatrice de l'obligation de non-concurrence est fixée forfaitairement par référence à la rémunération du salarié sans que celui-ci ait à faire la preuve d'un préjudice particulier, la cour d'appel, qui n'a relevé aucun acte manifestant sans équivoque la volonté du salarié de renoncer au bénéfice de cette indemnité, a violé le dernier des textes susvisés ; Sur le moyen unique du pourvoi incident de la société Emmisa :
Vu les articles L. 122-5, L. 122-8 du Code du travail et l'article 27 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 ; Attendu qu'aux termes de ce dernier texte relatif au préavis réciproque, "dans le cas d'inobservation du préavis par l'une ou l'autre des parties et sauf accord entre elles, celle qui ne respecte pas ce préavis doit à l'autre une indemnité égale aux appointements et à la valeur des avantages dont l'intéressé aurait bénéficié s'il avait travaillé jusqu'à l'expiration du délai-congé" ; Attendu que l'arrêt attaqué a refusé d'allouer à la société Emmisa l'indemnité demandée à la suite du départ de M. A... qui, démissionnaire, n'avait pas effectué de préavis, au motif que la non-reconduction probable des fonctions
d'administrateur de M. A... n'ayant pas surpris la société, celle-ci ne pouvait prétendre avoir subi un quelconque préjudice du fait de la brusque rupture du contrat de travail par l'intéressé ; Qu'en statuant ainsi, alors que M. A..., qui n'avait pas effectué le préavis, était tenu, aux termes de la convention collective susvisée, de verser à l'employeur une indemnité égale aux appointements et à la valeur des avantages qu'il aurait gagnés s'il avait travaillé jusqu'à la fin de cette période, la cour d'appel a violé le dernier des textes susvisés ; PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. A... de sa demande d'indemnité compensatrice de l'obligation de non-concurrence et la société Emmisa de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis, l'arrêt rendu le 29 mai 1986, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ; Condamne la société anonyme Emmisa, envers M. A... aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ; Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la courd'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du sept mars mil neuf cent quatre vingt dix.