CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
1°) la Fédération des familles de France, la Confédération nationale des associations familiales catholiques, l'union départementale des associations familiales du Val-de-Marne ;
2°) l'union départementale des associations familiales des Yvelines, l'union départementale des associations familiales de Paris, parties civiles, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 12 juillet 1989, qui, dans la procédure suivie contre Michel X..., Louis Y..., Jean-Claude Z... et Franck A..., du chef d'outrage aux bonnes moeurs, a relaxé les prévenus et débouté les parties civiles de leurs demandes.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'en raison de la présence, sur le réseau Minitel, de programmes ou " pseudonymes " pornographiques et d'annonces outrageantes pour les bonnes moeurs, Michel X..., Louis Y..., Jean-Claude Z... et Franck A..., tous quatre fournisseurs de services télématiques, ont été poursuivis pour infractions à l'article 284, alinéa 2, du Code pénal, réprimant le fait d'attirer publiquement l'attention sur une occasion de débauche ou de publier une annonce ou une correspondance de ce genre, quels qu'en soient les termes ; que des poursuites ont été également engagées contre Louis Y... en sa qualité de responsable d'un centre serveur utilisé par le service télématique de Franck A... ;
En cet état ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé pour la Fédération des familles de France et pour les unions départementales des associations familiales du Val-de-Marne, des Yvelines et de Paris et commun à la Confédération nationale des associations familiales catholiques et pris de la violation de l'article 284, alinéa 2, du Code pénal, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Y... des fins de la poursuite du chef de publicité d'annonces attirant l'attention du public sur des occasions de débauche et a débouté les parties civiles de leurs demandes ;
" aux motifs qu'en tant que responsable du centre serveur, Y... ne peut être retenu dans les liens de la prévention ; qu'il n'est pas possible ni apparemment souhaitable qu'un responsable de centre serveur qui héberge souvent des dizaines de services puisse prendre l'initiative d'assumer une responsabilité quelconque dans le motif des messages ; que le principe de la neutralité du centre serveur doit être considéré comme un acquis, sauf preuve contraire d'un manquement à cette obligation de neutralité, preuve qui n'est pas faite en l'espèce ;
" alors qu'en statuant par des motifs généraux, sans s'expliquer sur le fonctionnement des centres serveurs dirigés par le prévenu, l'arrêt n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Attendu que statuant sur les poursuites dirigées contre Louis Y... en sa qualité de responsable d'un centre serveur, la juridiction d'appel retient que celui-ci est un " outil... entre les mains du fournisseur de services qui, seul, doit assumer la responsabilité des décisions à prendre quant à la validation ou à la non-validation des messages " ; qu'elle ajoute qu'il n'est pas possible d'envisager que le directeur d'un tel centre-lequel " héberge " souvent des dizaines de services-assure une responsabilité quelconque quant au contenu des messages ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dont elle a fait application à Louis Y..., la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation proposé pour la Fédération des familles de France, pour l'union départementale des associations familiales du Val-de-Marne, l'union départementale des associations familiales des Yvelines et l'union des associations familiales de Paris et commun à la Confédération nationale des associations familiales catholiques et pris de la violation des articles 59, 60, 284, alinéa 2, du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus du chef de complicité de publication d'annonces attirant l'attention sur des occasions de débauche et a débouté les parties civiles de leurs demandes ;
" aux motifs que pour les quatre prévenus ayant agi comme fournisseurs de services, à admettre même qu'ils aient été matériellement complices, par fourniture de moyens, des créateurs de messages outrageants bien qu'il se soit agi d'une série de délits ponctuels, répétés à chacun desdits messages, c'est à juste titre que le jugement a retenu, pour l'appréciation de la bonne foi dont ils excipent, le soin qu'ils ont eu de prendre, pour l'avenir, des mesures qui s'imposaient en vue d'éviter le renouvellement des infractions ;
" alors qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'élément intentionnel de la complicité est caractérisé par la connaissance que le prévenu a que le moyen mis à la disposition de l'utilisateur ne peut servir qu'à la commission de l'infraction, et qu'en déclarant que cet élément n'était pas démontré en se référant exclusivement à l'attitude de repentir des prévenus postérieurement aux faits poursuivis, l'arrêt n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que pour relaxer les prévenus du chef de complicité du délit prévu par l'article 284, alinéa 2, du Code pénal, par fourniture de moyens, la cour d'appel-après avoir relevé que certains " pseudonymes " ou annonces pouvaient attirer l'attention sur des occasions de débauche, que l'élément matériel du délit était ainsi établi et que les auteurs principaux ne pouvaient en être que les créateurs de messages-énonce que, s'agissant des fournisseurs de service, le jugement a retenu, à juste titre, pour apprécier leur bonne foi " le soin qu'il ont eu de prendre pour l'avenir des mesures qui s'imposaient en vue d'éviter le renouvellement des infractions " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'élément intentionnel de la complicité doit être apprécié au moment où les faits ont été commis et qu'il résulte de ses propres constatations que les messageries incriminées avaient pour objet de préparer ou faciliter l'outrage aux bonnes moeurs, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens proposés :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 12 juillet 1989, mais en ses seules dispositions civiles relatives aux poursuites exercées contre les prévenus, en leur qualité de fournisseurs de services, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens.