AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE,
a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Télé-Europe, société anonyme, dont le siège est sis ... des Petits-Champs à Paris (1er), agissant poursuites et diligences de son président-directeur général en exercice et de ses autres représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
en cassation d'un arrêt rendu le 13 novembre 1987 par la cour d'appel de Paris (21ème chambre, section B), au profit :
1°/ de M. Mustapha X..., demeurant ... (15ème),
2°/ de l'Association Adri, dont le siège est sis ... (15ème), prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège,
défendeurs à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 21 novembre 1990, où étaient présents : M. Cochard, président, M. Renard-Payen, conseiller rapporteur, MM. Saintoyant, Benhamou, Lecante, Boittiaux, Bèque, conseillers, Mme Béraudo, MM. Laurent-Atthalin, Charruault, conseillers référendaires, M. Graziani, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Renard-Payen, les observations de Me Baraduc-Bénabent, avocat de la société Télé-Europe, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. X... et de Me Hennuyer, avocat de l'Association Adri, les conclusions de M. Graziani, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 novembre 1987), que l'Association de développement des relations interculturelles (ADRI) produisait une émission de télévision intitulée "Mosaïque", diffusée sur FR3 ; qu'après avoir assuré elle-même la réalisation de cette émission, elle en a confié la responsabilité à partir de 1980 à la société Télé-Europe ; que celle-ci, non seulement fournissait les locaux et le matériel mais assurait la gestion du personnel ; que l'émission une fois achevée était achetée par l'ADRI ; que, ne disposant plus des ressources nécessaires, l'ADRI a cessé de commander les émissions à partir de juin 1982 et que la société Télé-Europe a elle-même interrompu la rémunération du personnel affecté à la réalisation sans la moindre explication ; que, sur protestation des intéressés, la société leur répondait qu'ils étaient liés par des contrats à durée déterminée dont le dernier avait pris fin le 30 juin 1982 ; qu'ils introduisaient alors une demande en paiement de préavis et de dommages-intérêts pour rupture abusive dirigée contre l'ADRI et la société Télé-Europe ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que cette dernière était le seul employeur des salariés de l'émission alors que, selon le moyen, lorsqu'un salarié est soumis à pluralité de subordinations, son contrat de travail le rattache à tous ceux à l'égard desquels il est subordonné dans l'exercice de son activité ; qu'en considérant que l'ADRI n'avait aucun pouvoir de contrôle direct sur le personnel engagé par la société Télé-Europe sans répondre aux conclusions de celle-ci qui faisait valoir
que l'ADRI recrutait et constituait l'équipe technique participant à la réalisation de l'émission, qu'elle avait notifié directement aux salariés qu'il était impossible de reconduire leur engagement pour le dernier trimestre 1982, et que M. X... reconnaissait avoir été recruté directement par l'ADRI, la cour a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que, relevant que si l'ADRI avait conservé la conception intellectuelle de l'émission et un droit de regard sur le personnel qui y était affecté, la conduite et le contrôle effectif de celui-ci revenaient à la société Télé-Europe, seule titulaire du pouvoir hiérarchique, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, pour décider que M. X... était lié à la société Télé-Europe par un contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a énoncé que les usages en matière audiovisuelle qui autorisaient les parties à s'engager dans des contrats à durée déterminée, même non écrits, ne pouvaient être invoqués en l'espèce, l'intéressé ayant régulièrement signé des contrats à durée déterminée ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, quels étaient les usages de la profession et sans vérifier si le salarié n'avait pas été engagé pour l'exécution d'une tâche déterminée et temporaire, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen :
Vu l'article L. 761-2 du Code du travail ;
Attendu que pour décider que M. X... avait la qualité de journaliste professionnel, l'arrêt attaqué a relevé que l'intéressé avait été engagé en qualité de journaliste par l'Association ICEI devenue ADRI et avait exercé les mêmes fonctions auprès de la société Télé-Europe, que son travail consistait à réaliser des reportages et à assurer leur montage ;
Qu'en se déterminant par ces seuls motifs alors que cette qualité était formellement contestée par la société Télé-Europe, sans rechercher si l'intéressé avait pour occupation principale, régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs agences de presse et en tirait l'essentiel de ses ressources, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement dans les limites des deuxième et troisième moyens, l'arrêt rendu le 13 novembre 1987, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. X... et l'Association ADRI, envers la société Télé-Europe, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de
l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix neuf décembre mil neuf cent quatre vingt dix.