REJET des pourvois formés par :
- X...,
- Y...,
- la société Z..., civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 21 novembre 1990, qui, dans la procédure suivie contre eux, du chef de diffamation raciale, a déclaré recevable en son action de partie civile l'association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), annulé le jugement, évoqué et renvoyé l'affaire à une audience ultérieure.
LA COUR,
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 10 janvier 1991, prescrivant, en application de l'article 570 du Code de procédure pénale, l'examen immédiat des pourvois ;
Vu le renvoi prononcé à l'audience de cette Cour du 26 février 1991 ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 (modifiée par la loi du 1er juillet 1972) et de l'article 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable l'action civile exercée par l'association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne dite AGRIF ;
" aux motifs qu'il ressort des statuts de ladite association qu'elle " manifeste formellement son intention de lutter contre le racisme, en spécifiant que la lutte s'inscrit dans le cadre des " valeurs menacées de notre civilisation " et plus précisément contre " le racisme antifrançais et antichrétien" ; que, dès lors, le " racisme antifrançais et antichrétien " constitue une forme de racisme punissable entrant dans le champ d'application de l'article 48-1, peu important que l'association ne se donne pour but de poursuivre qu'une seule forme de racisme ni que ce ne soit pas son seul but ;
" alors, d'une part, qu'une association dont le but principal est la création " de comités d'action politique et sociale pour défendre les valeurs menacées de notre civilisation, combattre les idées subversives, proposer des solutions de renouveau ", la lutte contre le racisme n'étant qu'un moyen d'y parvenir " dans ce cadre ", racisme qui n'est d'ailleurs que celui " contraire aux idéaux précédemment énoncés " c'est-à-dire " racisme antifrançais et antichrétien ", n'a pas pour objet de combattre le racisme au sens de l'article 48-1 de la loi de 1881 ; qu'en déclarant recevable sur le fondement de ce texte la constitution de partie civile de l'AGRIF, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
" alors, d'autre part et en toute hypothèse, que, pour déterminer si une association a pour objet de lutter contre le racisme, les juges du fond doivent examiner non seulement le texte formel de ses statuts, mais la façon dont elle se comporte vis-à-vis des phénomènes de racisme et d'intolérance ; que la cour d'appel ne pouvait donc déclarer l'AGRIF recevable en son action sur le fondement de l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sans rechercher si les prises de position de cette association, ses liens avec un parti politique nationaliste connu et le choix particulier de ses interventions n'étaient pas révélateurs d'une attitude en totale contradiction avec ses prétendus objectifs avoués, et si l'adjonction à ses statuts de la référence à " la lutte contre le racisme " n'avait pas pour seul objectif de lui permettre d'exercer des droits réservés par la loi à certaines associations " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que dans le journal hebdomadaire Z..., daté des 23 au 29 novembre 1989, a été publié un article annoncé en page de couverture par le titre " Ce qu'il faut jeter d'ici à l'an 2 000 ", et intitulé, en page 80, " A vos poubelles " ; que, parmi les propos de diverses personnalités interrogées, l'article cite Y..., en ces termes : " En priorité, je jette le cartel de Medellin, et le carmel d'Auschwitz. A moins que ce ne soit le contraire : le cartel d'Auschwitz et le carmel de Medellin ! Souvenons-nous, Barbie était en Colombie, il s'est occupé de la drogue, alors que Touvier, son adjoint, était planqué dans un couvent ! " ;
Attendu qu'à raison de cette publication, l'association Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (AGRIF), agissant en application de l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881, a, par exploit du 22 décembre 1989, fait citer directement devant le tribunal correctionnel X..., directeur de la publication, et Y..., sous la prévention de diffamation raciale et complicité, en visant l'article 32, alinéa 2, de la loi précitée ;
Attendu que, pour recevoir l'action de l'association, partie civile, la cour d'appel relève que celle-ci, créée en 1974, a déclaré, le 30 octobre 1984, l'adoption d'une nouvelle dénomination, comportant un objectif de lutte contre le racisme, ainsi que l'adjonction de cet objectif aux dispositions des statuts relatives à son objet ; qu'elle en déduit que la condition d'ancienneté requise par l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 était remplie à la date des faits ; qu'elle ajoute que l'association manifeste formellement, aux termes de l'article 2 de ses statuts, son intention de lutter contre le racisme, en spécifiant que sa lutte s'inscrit dans le cadre de la défense des " valeurs menacées de notre civilisation ", et plus précisément contre le " racisme antifrançais et antichrétien ", lequel constitue une forme de racisme punissable ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen ;
Qu'en effet, d'une part, le racisme visé par l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881, en sa rédaction issue de la loi du 1er juillet 1972, complétée par celle du 13 juillet 1990, applicable aux instances en cours, s'entend de toute discrimination fondée sur l'origine ou l'appartenance ou la non-appartenance soit à une race, soit à une ethnie, soit à une nation, soit à une religion, sans restriction ni exclusion ;
Que, d'autre part, toute association régulièrement déclarée depuis au moins 5 ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre le racisme, a le droit d'agir, en application de l'article 48-1 précité, sans autre condition que celles prévues par ce texte, lequel n'exige pas, notamment, l'unicité d'objet ;
D'où il suit que le moyen, qui, en sa seconde branche, est mélangé de fait et de droit, et comme tel irrecevable, ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.