REJET du pourvoi formé par :
- l'Union fédérale des consommateurs (UFC), partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 7° chambre, du 27 mai 1991, qui, sur renvoi après cassation dans la procédure suivie contre Robert X... et Guy Y... pour délit de loterie prohibée, l'a, après relaxe des prévenus, déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 2 de la loi du 21 mai 1836, 410 du Code pénal, R 150-4 du Code des assurances, 593 et 584 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que, l'arrêt attaqué a débouté une organisation de consommateurs (l'Union fédérale des consommateurs, l'organisation demanderesse) de sa demande en réparation du préjudice porté à l'intérêt des consommateurs, constitué par l'offre d'un contrat de capitalisation avec tirage au sort permettant le paiement anticipé du capital porté au contrat ;
" aux motifs que la partie civile appelante doit établir comme fondement de son action le caractère illicite du contrat de capitalisation proposé à la clientèle par la compagnie d'assurances La Cité dont les prévenus sont respectivement directeur général et contrôleur général ; que le tirage au sort d'un titre " Karat " permet au souscripteur le versement anticipé du capital payable au bout de 19 ans ; que la prohibition des loteries comporte des exceptions ; qu'il n'y a pas délit si le contrat incriminé entre dans ceux qui sont autorisés par la loi ; que les articles R. 150-1 et suivants du Code des assurances autorisent les assureurs habilités à proposer des contrats de capitalisation avec tirage au sort, ces tirages étant réglementés par les articles R. 150-4 et suivants du même Code, prévoyant " qu'en cas de tirage, les sommes remboursées doivent être soit égales, soit croissants avec les tirages successifs, sans pouvoir dépasser le capital remboursable à l'échéance " ; qu'il n'appartient pas à la Cour de se prononcer sur la régularité du décret dont est résultée la rédaction de cette partie réglementaire du Code des assurances invoqué par les défenseurs ; qu'il en ressort que le mot remboursement doit s'entendre dans son sens large de paiement de sommes égales ou croissantes à condition qu'elles ne dépassent pas le capital payable à l'échéance ; que tel est le cas du contrat proposé par La Cité, le tirage au sort n'intervenant que pour déterminer la date de paiement d'un titre déjà acquis ; que le contrat n'est donc pas délictueux ;
" alors, qu'il y a loterie prohibée dès lors qu'une opération est offerte au public pour permettre l'espérance d'un gain acquis par la voie du sort ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le tirage au sort permet le versement anticipé du capital payable au bout de 19 ans ; que ces constatations caractérisent à elles seules une loterie prohibée ; que la cour d'appel, qui n'a pas tiré cette conséquence nécessaire de ses propres constatations, a violé les textes visés ci-dessus ;
" alors, en tout cas, que dans ses conclusions l'organisation demanderesse soulignait la longue durée de ces contrats à exécution successive et le caractère très aléatoire du paiement anticipé par tirage au sort ; qu'elle faisait valoir que ce tirage au sort était un élément essentiel pour déterminer les épargnants à souscrire de tels contrats, désavantageux à tous égards, notamment quant aux possibilités de leur rachat, démontrant l'espérance d'acquisition d'un gain constitué par le capital porté au contrat, élément d'autant plus important que le tirage au sort intervient tôt dans la vie du contrat, dès lors que se trouve acquis le capital et éteinte l'obligation du paiement des primes prévues au contrat ; que, faute d'avoir répondu à ce chef déterminant des conclusions de l'organisation demanderesse, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" et alors que l'article R. 150-4 du Code des assurances n'autorise que le remboursement anticipé d'un gain déjà acquis lors de son échéance et non le paiement du capital porté au contrat, exigible à l'échéance finale de celui-ci ; que ces dispositions, conformes à l'article 2 de la loi du 21 mai 1836 portant interdiction des loteries, s'opposent à ce que le tirage d'un titre entraîne pour le souscripteur de ce titre l'acquisition d'un gain et ont été faussement interprétées en l'espèce ;
" alors, au demeurant, qu'en se refusant à apprécier la légalité de ces dispositions, le juge pénal, qui a plénitude de juridiction sur tous les points dont dépend l'application ou la non-application des peines, a, en toute hypothèse, méconnu son office " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la compagnie La Cité, dont Robert X...et Guy Y... étaient respectivement président-directeur général et contrôleur général de la branche capitalisation, proposait au public la souscription de contrats de capitalisation dénommés " Combinaison à revalorisation automatique " (Carat) comportant la possibilité pour le souscripteur d'obtenir, par voie de tirage au sort, le paiement anticipé du capital souscrit ; qu'estimant que ces contrats étaient contraires à la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries et causaient un préjudice à l'intérêt collectif des consommateurs, l'UFC a cité directement Robert X..., Guy Y... et la compagnie La Cité, cette dernière en qualité de civilement responsable, devant la juridiction correctionnelle pour infraction à la loi précitée, et leur a réclamé des dommages-intérêts ; que les prévenus ont été relaxés par une décision devenue définitive ; que par l'arrêt attaqué la cour d'appel, statuant sur intérêts civils, a dit que le délit n'était pas constitué et a débouté la partie civile ;
Attendu que pour statuer ainsi les juges d'appel, par motifs propres ou adoptés, retiennent que les contrats proposés par la compagnie La Cité sont conformes aux dispositions de l'article R. 150-4 du Code des assurances, texte dans lequel l'expression " capital remboursable à l'échéance " doit s'entendre du montant nominal du titre de souscription et non du montant des primes payées par le souscripteur jusqu'au moment du tirage au sort ; qu'ils ajoutent que cette opération, qui n'intervient que pour fixer la date de versement du capital et non le montant de celui-ci, n'est pas contraire aux dispositions de la loi du 21 mai 1836 ;
Attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux conclusions inopérantes visées à la deuxième branche du moyen, a, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la quatrième branche, justifié sa décision ; qu'en effet, la loi du 21 mai 1836 n'interdit que les opérations où la voie du sort est la condition de l'acquisition d'un gain et non celles où, le gain étant déjà contractuellement déterminé, le sort n'intervient que pour fixer la date de son règlement ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.