AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la compagnie Air Afrique, société africaine mutinationale dont le siège est ..., BP 3927, en cassation d'un arrêt rendu le 4 avril 1990 par la cour d'appel de Paris (1re chambre, section A), au profit :
1 / de M. Christian Y..., demeurant ... (Essonne),
2 / de M. Bernard X..., demeurant ... (Oise), défendeurs à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 octobre 1993, où étaient présents : M. Kuhnmunch, président, Mme Beraudo, conseiller référendaire rapporteur, MM. Saintoyant, Lecante, Bèque, Carmet, Boubli, Le Roux-Cocheril, conseillers, Mmes Pams-Tatu, Bignon, Girard-Thuilier, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire Beraudo, les observations de la SCP Célice et Blancpain, avocat de la compagnie Air Afrique, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de MM. Y... et X..., les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 avril 1990), rendu sur renvoi après cassation, que la compagnie Air Afrique a licencié M. X... et M. Y..., qui exerçaient respectivement les fonctions de commandant de bord et de copilote à son service, à la suite d'une grève survenue en octobre 1984 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la compagnie Air Afrique fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer aux intéressés diverses sommes et notamment des dommages-intérêts à la suite de la rupture du contrat de travail, alors, selon le moyen, que la cour d'appel a déclaré applicable l'article 41 du Code du travail ivoirien à l'effet de vérifier si les ruptures des contrats de travail de MM. X... et Y... constituaient des licenciements sans motif légitime et que ce texte dispose, non seulement que "toute rupture abusive du contrat donne lieu à des dommages-intérêts", mais que "la juridiction compétente constate l'abus par une enquête sur les causes et les circonstances de la rupture du contrat", de sorte qu'ayant statué sans avoir ordonné la moindre enquête, l'arrêt attaqué a dénaturé les termes clairs et précis du texte susmentionné, considéré comme effectivement mis en oeuvre en l'espèce, en violation de l'article 1134 du Code civil ; que, de surcroît, faute d'avoir ordonné la moindre enquête sur les causes et les circonstances de la rupture, l'arrêt attaqué se trouve manquer de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil et du principe locus regit actum ;
Mais attendu que la mesure d'instruction prévue par l'article 41 du Code du travail ivoirien constituait une règle de procédure qui ne s'imposait pas au juge français ;
Que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la compagnie Air Afrique reproche également à l'arrêt d'avoir prononcé ces condamnations au profit de M. Y..., alors, selon le moyen, que, par télex confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 octobre 1984, la compagnie Air Afrique avait pris acte de la rupture du contrat de travail de M. Y... de son fait, au motif qu'il avait délibérément abandonné son poste en refusant d'assurer, le 19 octobre 1984, le vol RK 051 pour lequel il avait été désigné dans le cadre du planning de rotation normalement arrêté et notifié ; que, pour justifier un soi-disant défaut de cause réelle et sérieuse de la rupture, M. Y... alléguait, dans ses conclusions d'appel, que la compagnie Air Afrique aurait pris l'initiative de cette rupture par télex du 20 septembre 1984, parce qu'il n'aurait pas accepté sa mise en place sur un vol RK 39.03, alors qu'il se trouvait en congés du 15 septembre au 30 septembre 1984 ; qu'il s'ensuit que méconnaît les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt attaqué qui, relevant que la compagnie Air Afrique avait procédé au licenciement immédiat de M. Y..., au motif qu'il avait refusé son service sur le vol RK 051 du 19 octobre 1984, retient d'office le moyen selon lequel il n'est pas possible -hors les affirmations de la compagnie- de dire si le défaut du salarié était le fait de sa volonté délibérée de cesser le travail dans des conditions de nature à caractériser une faute lourde ou le résultat d'un empêchement lié au mouvement de grève alors largement suivi parmi le personnel navigant ; que, de plus, ayant soulevé ce moyen d'office, sans appeler au préalable les parties à faire valoir leurs observations, l'arrêt attaqué a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; qu'enfin, ainsi motivé, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié au regard de l'article 1134 du Code civil français et des articles 177 à 188 et 6 D 15 à 6 D 21 du Code du travail ivoirien ;
Mais attendu que M. Y... ayant contesté, dans ses conclusions, avoir commis un quelconque manquement à ses obligations, la cour d'appel, prenant en considération l'ensemble des faits qui étaient dans le débat, a statué dans les limites du litige, sans relever un moyen d'office, en estimant que sa participation au mouvement de grève n'était pas établie ; qu'elle a ainsi justifié sa décision ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu qu'il est enfin reproché à la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait au profit de M. X..., alors, selon le moyen, que, par télex du 17 octobre 1984, confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 octobre 1984, la compagnie Air Afrique avait pris acte de la rupture du contrat de travail de M. X... de son fait, au motif qu'il avait délibérément abandonné son poste en refusant d'effectuer le vol RK 47 du 12 octobre 1984 pour lequel il avait été désigné dans le cadre du planning de rotation normalement arrêté et notifié ; que, pour justifier le soi-disant défaut de cause réelle et sérieuse de la rupture, M. X... alléguait, dans ses conclusions d'appel, que le vol RK 47 n'avait pas été programmé pour le 12 octobre, mais pour le 15 octobre ;
qu'il s'ensuit que méconnaît les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt attaqué qui, sans trancher le débat résultant des positions des parties, retient d'office le moyen selon lequel il n'est pas possible -hors les affirmations de la compagnie- de dire si le défaut du salarié était le fait de sa volonté délibérée de cesser le travail dans des conditions de nature à caractériser une faute lourde ou le résultat d'un empêchement lié au mouvement de grève alors largement suivi parmi le personnel navigant ; que, de plus, ayant soulevé ce moyen d'office, sans appeler au préalable les parties à faire valoir leurs observations, l'arrêt attaqué a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; qu'enfin, ainsi motivé, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié au regard de l'article 1134 du Code civil français et des articles 177 à 188 et 6 D 15 à 6 D 21 du Code du travail ivoirien ;
Mais attendu que, comme celles de M. Y..., les conclusions de M. X... tendaient à établir qu'il n'avait pas participé au mouvement de grève ; qu'il faisait valoir notamment qu'au moment des faits, la plupart des vols étaient suspendus, voire annulés ;
qu'ainsi, en décidant qu'il n'était pas prouvé que l'intéressé ait participé à la grève, la cour d'appel a, sans se fonder sur un moyen relevé d'office et hors toute dénaturation des termes du litige, justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la compagnie Air Afrique, envers MM. Y... et X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du seize novembre mil neuf cent quatre-vingt-treize.