CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
1° la Caisse des dépôts et consignations, partie intervenante ;
2° X... Lhoussaine, prévenu, la MACIF, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, du 7 juillet 1992, qui, dans les poursuites exercées contre Lhoussaine X..., condamné définitivement pour blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par la Caisse des dépôts et consignations et pris de la violation des articles 1382 et 1383 du Code civil, 14, 29 à 31 de la loi du 5 juillet 1985, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel a exclu du préjudice subi par la victime le montant de la rente versée à cette dernière par la Caisse des dépôts et consignations consécutivement à l'accident et a dit que la Caisse des dépôts et consignations était déchue de son droit à réclamer l'indemnisation de ses débours au responsable ;
" aux motifs adoptés que la victime qui justifie d'un salaire mensuel de 4 222, 41 francs au moment de son licenciement, perçoit depuis cette date une rente d'invalidité versée mensuellement par la ville de Laval (remboursée par la CNRACL) d'un montant de 2 194 francs sans constitution de capital et revalorisée aux 1er janvier et 1er juillet de chaque année ;
" que la perte de revenu mensuelle de Mme Y... peut donc être chiffrée à 2 028, 41 francs 2 194 francs, soit sur une année 24 340, 92 francs (2 028, 41 francs x 12) ;
" que la référence au franc de rente temporaire pour un âge limite de paiement de 60 ans tel que fixé par le décret du 8 août 1986 et s'agissant d'une femme âgée de 48 ans, le préjudice économique de la victime peut s'établir comme suit : 2 028, 41 francs 8 937 12 = 217 534, 80 francs ;
" et aux motifs propres qu'aux termes des pièces versées aux débats, il est établi que la MACIF a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 novembre 1990, interrogé la Caisse des dépôts et consignations sur le montant de sa créance et qu'il lui a été répondu par cet organisme qu'il n'avait pas de créance ;
" qu'en dépit de remboursements effectués à compter du 10 juin 1991, la Caisse des dépôts et consignations n'a jamais fait connaître à la MACIF l'existence d'une créance ;
" que, représentée par son conseil à l'audience du tribunal correctionnel de Laval du 15 janvier 1992, la Caisse des dépôts et consignations a demandé qu'il lui soit décerné acte qu'elle n'avait aucune créance à faire valoir ;
" que, par lettre du 31 mars 1992, elle a fait connaître à la MACIF l'existence d'une créance en sa faveur ;
" qu'aux termes de l'article 14 de la loi du 5 juillet 1985, il appartenait à la Caisse des dépôts et consignations de produire sa créance à l'égard de la MACIF à compter de la demande qui lui avait été faite le 23 décembre 1990 ;
" que la Caisse des dépôts et consignations ayant négligé de le faire, il y a lieu de dire, en dépit des paiements effectivement effectués par cet organisme, qu'il est aujourd'hui déchu de ses droits à l'encontre de la MACIF ;
" que, contrairement à ce que soutient la Caisse des dépôts et consignations, la rente servie à Mme Y... résulte tant de la décision de la commission de réforme que des expertises judiciaires puisque les experts ont relevé que la victime était désormais inapte au travail ;
" 1° alors que la réparation du préjudice doit être intégrale ;
" qu'en déduisant du préjudice subi par la victime, du fait de la privation de ses revenus, le montant des prestations versées par la CNRACL, organisme géré par la Caisse des dépôts et consignations, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
" 2° alors que les juges du fond ne peuvent rejeter le recours d'un organisme social contre le tiers responsable sans rechercher si le montant des prestations dont cet organisme poursuit le remboursement correspondait ou non à l'élément du préjudice de la victime qui n'avait pas été compris dans son indemnisation ;
" qu'en déclarant la demanderesse déchue de son recours sans procéder à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
" 3° alors, en toute hypothèse, que, dans ses conclusions d'appel, la Caisse des dépôts et consignations faisait valoir que ses versements et remboursements de prestations étaient postérieurs à la demande de la MACIF relative aux prestations qui auraient été versées à la victime et à la réponse, alors négative, de la Caisse des dépôts et consignations ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a privé sa décision de motif " ;
Et sur le moyen unique de cassation proposé par Lhoussaine X... et par la MACIF et pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné in solidum X... et la MACIF à payer à Mme Y... la somme de 600 000 francs, déduction faite de la seule créance de la ville de Laval, en réparation de son préjudice soumis à recours ;
" aux motifs adoptés que le préjudice de Mme Y... soumis à recours sera évalué à 1 566 180, 99 francs ; qu'après déduction de la créance de la ville de Laval (966 180, 99 francs) il reviendra à Mme Y... la somme de 600 000 francs en réparation de son préjudice soumis à recours ;
" aux motifs propres que la Caisse des dépôts et consignations indique que le montant de ses débours s'élève à la somme de 470 363, 62 francs au titre d'une rente versée à Mme Y..., qu'aux termes de l'article 14 de la loi du 5 juillet 1985, il appartenait à la Caisse des dépôts et consignations de produire sa créance à l'égard de la MACIF à compter de la demande qui lui avait été faite le 23 décembre 1990 ; que la Caisse des dépôts et consignations ayant négligé de le faire, il y a lieu de dire, en dépit des paiements effectivement effectués par cet organisme, qu'il est aujourd'hui déchu de ses droits à l'encontre de la MACIF ; que la Cour confirmera le jugement entrepris sur les sommes allouées à la mairie de Laval, sur les demandes présentées par Mme Y... concernant son incapacité permanente partielle et son préjudice personnel qui ont été bien appréciés par le premier juge ;
" alors que, nonobstant le fait que la Caisse des dépôts et consignations soit déchue de ses droits à l'encontre de la MACIF, les indemnités versées par cet organisme social à la victime devaient venir en déduction des sommes allouées au titre du préjudice soumis à recours, sous peine d'une double indemnisation du dommage ; qu'en condamnant in solidum X... et la MACIF à payer à Mme Y... la somme de 600 000 francs en réparation de son préjudice soumis à recours, sans déduire également de cette somme les indemnités versées à la victime par la Caisse des dépôts et consignations, la Cour a violé les textes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles ci-dessus visés, ensemble l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;
Attendu, d'une part, qu'il résulte des dispositions combinées des articles 1, 5 et 7 de ce dernier texte, et de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985, que l'agent d'une collectivité locale, victime d'un accident imputable à un tiers, ne peut poursuivre contre ce dernier la réparation du préjudice résultant de l'atteinte à son intégrité physique que dans la mesure où cette réparation n'est pas assurée par les prestations mentionnées à l'article 29. 2 de la loi susvisée du 5 juillet 1985 et versées notamment par la Caisse des dépôts et consignations agissant comme gérant de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) ;
Attendu, d'autre part, que la déchéance prévue par l'article 14 de la loi du 5 juillet 1985, devenu l'article L. 211-11 du Code des assurances, n'est opposable au tiers payeur que dans le cadre de la procédure d'indemnisation organisée par les articles L. 211-9 et suivants dudit Code ;
Attendu que, statuant sur la réparation des conséquences dommageables de l'accident dont Annick Y... a été victime et dont Lhoussaine X..., assuré à la MACIF, a été déclaré responsable, la cour d'appel était saisie par la Caisse des dépôts et consignations de conclusions tendant au remboursement du capital représentatif de la rente d'invalidité servie à la victime et dont, en sa qualité de gérant de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, elle avait pris la charge initialement assurée par la ville de Laval, employeur de la victime ;
Attendu que, pour rejeter cette demande et fixer l'indemnité complémentaire revenant à la partie civile, après avoir déduit, du préjudice économique global de cette dernière, les seules prestations versées par la ville de Laval et dont celle-ci demandait le remboursement, les juges du second degré relèvent que, invitée dès le 23 novembre 1990, par l'assureur du prévenu, à produire sa créance, la Caisse des dépôts et consignations avait fait connaître qu'elle n'en avait pas à faire valoir, puis, devant les juges du premier degré, avait conclu à ce qu'il lui en soit donné acte ; qu'ils en déduisent que cet organisme était déchu de ses droits à l'encontre de l'assureur et de l'auteur du dommage, en vertu des dispositions de l'article 14 de la loi du 5 juillet 1985 ;
Mais attendu qu'en cet état, et alors qu'aucune transaction n'était intervenue entre la victime et l'assureur de la personne tenue à réparation, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes visés aux moyens et les principes ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers, du 7 juillet 1992, mais seulement en celles de ses dispositions relatives à l'indemnisation du préjudice de la partie civile soumis au recours des tiers payeurs, toutes autres dispositions étant expressément maintenues :
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans la limite de la cassation prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans.