AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze juin mil neuf cent quatre vingt quatorze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller GUERDER, les observations de la société civile professionnelle BORE et XAVIER et de Me VUITTON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DINTILHAC ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Michel, contre l'arrêt n° 124/94 de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'AIX-en-PROVENCE, en date du 3 février 1994, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, a rejeté sa requête en nullité, et ordonné le retour de la procédure au juge d'instruction ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 13 avril 1994, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 29, 31 et 50 de la loi du 29 juillet 1881, des articles 85, 86 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité de la plainte de M. Y... ;
"aux motifs que l'examen de la plainte montre que celle-ci, qui articule et qualifie les diffamations à raison desquelles la poursuite est intenté et indique les textes dont l'application est demandée, répond aux prescriptions de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'une plainte initiale peut être complétée par les plaignants au cours de leur audition par le juge d'instruction avant que le magistrat n'ait communiqué ladite plainte au procureur de la République (arrêt attaqué p. 4, alinéas 3 et 4) ;
"alors qu'en matière de diffamation, le plaignant doit qualifier de manière précise les faits dénoncés et viser les textes de loi applicables, à peine de nullité de la plainte ;que deux plaintes concomitantes visant les mêmes faits sous deux qualifications différentes encourent la nullité ; qu'en l'espèce, M. Y... a déposé le même jour deux plaintes contre M. X... visant les mêmes termes de l'article paru dans le journal Z... du 1er mars 1993 mais sous la qualification pour l'une de diffamation envers un particulier et pour l'autre de diffamation envers un citoyen chargé d'un mandat public ; qu'en énonçant que la première plainte était régulière, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le journal quotidien régional "Z..." a publié, dans son numéro daté du 1er mars 1993, un article annoncé en première page par le titre "scandale du golf de Nice, Christian Y... et son épouse cités dans le nouveau développement judiciaire de la plainte du conseil général" ; qu'en page intérieure, l'article, non signé, était titré :
"la justice devra déterminer, au vu des éléments déposés vendredi auprès du doyen des juges d'instruction, les responsabilités du député et de sa femme dans le détournement d'une subvention de 750 000 francs" ; que l'article rendait compte de l'évolution d'une information suivie sur la plainte du conseil des Alpes Maritimes, des chefs d'escroquerie, abus de confiance et soustraction de deniers publics, en énonçant notamment ;
"Me Wagner, avocat de la partie civile, a déposé, vendredi dernier entre les mains du doyen des juges d'instruction de Nice, M. Jean-Pierre Renard, des documents comptables et statutaires mettant en cause le député des Alpes-Maritimes, Christian Y..., candidat aux élections législatives dans la seconde circonscription et son épouse Dominique, née A..." ;
Qu'après avoir rappelé la "faillite" d'une "société de Sponsoring ", dont Christian Y... était associé, l'article imputait à ce dernier, devenu député et conseiller général des Alpes-Maritimes, d'être intervenu en février 1989 pour obtenir du bureau du conseil général le vote d'une subvention demandée par l'association "golf de Nice" et perçue par une société à responsabilité du même nom, dont Mme Dominique Y... était titulaire de parts ;
Attendu qu'à raison de ces faits, commis pendant la campagne pour les élections législatives, Christian Y... a porté plainte avec constitution de partie civile, le 28 mai 1993, contre Michel X..., directeur de la publication du journal Z... ; que ladite plainte, enregistrée sous le numéro 49.623/93 du Parquet et 52/93 de l'instruction, tout en incriminant la totalité de l'article, a articulé les propos mettant en cause Christian Y... et les a qualifiés de diffamation publique envers "M. Y..., candidat à la députation", en visant les articles 29 alinéa 1, 31, 42 et 44 de la loi du 29 juillet 1881 ; que cette plainte a été suivie d'un réquisitoire introductif en date du 13 juillet 1993, articulant les faits, les qualifiant de diffamation et visant les articles 29 alinéa 1, 31, 42 et 44 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que Michel X... a présenté à la chambre d'accusation, le 23 novembre 1993, une requête en annulation, sur le fondement de l'article 173 du Code de procédure pénale, en excipant de la nullité de la plainte, et de la procédure subséquente, en raison d'une erreur de qualification, l'article 31 de la loi précitée ne pouvant être appliqué, selon lui, à des faits visant Christian Y... en tant que conseiller général et non comme député ;
Attendu que pour rejeter la requête, la chambre d'accusation énonce que l'examen de la plainte montre que celle-ci, qui articule et qualifie les diffamations à raison desquelles la poursuite est intentée et indique les textes dont l'application est demandée, répond aux prescriptions de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 ; que l'arrêt ajoute qu'il appartiendra à la juridiction de jugement d'apprécier si les allégations ou imputations de l'article incriminé ont porté atteinte à l'honneur ou à la considération "du citoyen Y..., membre d'une Chambre et chargé d'un mandat public, à raison de sa fonction ou de sa qualité" ;
Attendu qu'en cet état, l'arrêt n'encourt pas le grief allégué ;
que le moyen de nullité pris de la concomitance de deux plaintes incriminant les mêmes faits sous les qualifications différentes de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public et de diffamation publique envers un particulier n'a pas été soumis à la chambre d'accusation ; qu'en application des dispositions de l'article 174 alinéa 1 du Code de procédure pénale, le requérant, qui connaissait cette circonstance, et qui n'a pas excipé de l'incertitude qu'elle aurait pu créer dans son esprit, n'est plus recevable à en faire état, notamment devant la Cour de Cassation ;
D'où il suit que le moyen est irrecevable ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Guerder conseiller rapporteur, MM. Dumont, Fontaine, Milleville, Pinsseau, Joly, Martin conseillers de la chambre, Mmes Batut, Fossaert-Sabatier, Fayet, M. de Larosière de Champfeu conseillers référendaires, M. Dintilhac avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;