CASSATION sur le pourvoi commun formé par :
- X... Joseph,
- Y... Rosalie, épouse X...,
- Z... Bernard, en sa qualité de liquidateur de la SARL X...- Y...,
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, chambre correctionnelle, en date du 18 juin 1993, qui, dans la procédure engagée contre André A... du chef d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, a déclaré leur constitution de partie civile irrecevable.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 10 du Code de procédure pénale, des articles 2, 8 et 20 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'Ordre des experts-comptables et comptables agréés et réglementant le titre de la profession d'expert-comptable et de comptable agréé, de l'article 433-17 du nouveau Code pénal, ensemble violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe général selon lequel, sauf dispositions expresses en sens contraire, toute victime d'une infraction a droit de se constituer partie civile, et ce tant pour déclencher ou s'associer à l'action publique, que pour obtenir réparation des dommages résultant de l'infraction commise, violation de l'article 1382 du Code civil :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile des consorts X..., ensemble de Me Bernard Z... agissant ès qualités de liquidateur de la société X...- Y... et a jugé sans intérêt de rechercher si l'action publique était ou non prescrite, celle-ci n'étant plus concernée par la procédure devant la Cour, faute d'appel du ministère public ;
" aux motifs que le ministère public n'ayant pas interjeté appel du jugement, seule l'action publique est concernée par les débats devant la Cour ; qu'aux termes de l'article 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, réglementant les titres et professions d'expert-comptable et de comptable agréé, les conseils de l'Ordre peuvent saisir le Tribunal par voie de citation directe des délits d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable sans préjudice, pour le Conseil supérieur de l'Ordre, de se porter s'il y a lieu, partie civile dans toute poursuite de ces délits intentée par le ministère public ; que l'infraction d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ne porte atteinte qu'à l'intérêt général et à celui de la profession d'expert-comptable que la loi a voulu protéger ; qu'elle n'est pas susceptible, en elle-même, de constituer la cause génératrice d'un préjudice direct pour les tiers ; que seul le ministère public ou les conseils de l'Ordre peuvent mettre en mouvement l'action publique pour ces infractions ; que l'exercice de l'action civile se trouve ainsi strictement cantonnée et réservée à l'Ordre des experts-comptables ; que, dès lors, les époux X... et Me Bernard Z... pris en sa qualité de liquidateur de la SARL X...- Y... sont sans qualité pour exercer l'action civile et sont donc irrecevables à agir devant la juridiction pénale ;
" et aux motifs encore qu'il est sans intérêt de rechercher si l'action publique est prescrite, celle-ci n'étant plus concernée par la procédure devant la Cour, faute d'appel du ministère public ;
" alors que, d'une part, s'il est vrai que les articles 20, alinéa 4, 31. 3° et 37 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 telle que modifiée et interprétée réservent au Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables et comptables agréés le droit de se constituer partie civile devant les tribunaux répressifs dans des poursuites intentées par le ministère public pour des infractions portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession relevant de sa compétence, le conseil de l'Ordre pouvant saisir le Tribunal par voie de citation directe, l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable peut aussi causer à des particuliers un préjudice direct et personnel de nature à servir de base à une action civile devant la juridiction répressive ; qu'en jugeant le contraire sur le fondement d'un motif de droit erroné, la Cour méconnaît les règles et principes cités au moyen ;
" alors que, d'autre part, et en toute hypothèse la Cour se devait de rechercher si en fait les consorts X... et Me Bernard Z... agissant ès qualités n'avaient pas subi un préjudice direct et personnel se rattachant directement aux faits imputés au prévenu d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ; qu'en ne procédant pas à une telle recherche et en statuant par un motif de droit en lui-même erroné et insuffisant, la Cour méconnaît derechef les textes et principes cités au moyen ;
" et alors, de troisième part, que seule une disposition expresse de la loi est de nature à interdire la constitution de partie civile d'une personne physique ou / et d'une personne juridique faisant état d'un préjudice direct résultant de l'infraction poursuivie ; qu'en jugeant nécessairement le contraire, la Cour méconnaît derechef les textes et principes cités au moyen " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, si le délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, prévu et réprimé par les articles 2 et 20 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, porte atteinte à l'intérêt général, il peut également causer à des particuliers un préjudice personnel de nature à servir de fondement à une action civile devant la juridiction répressive ;
Attendu que, sur plainte avec constitution de partie civile de Joseph X..., gérant de la SARL X...- Y..., qui soutenait que cette société avait été victime des agissements de la société Promodes en raison des conditions irrégulières dans lesquelles celle-ci avait assuré la comptabilité de la SARL X...- Y..., le juge d'instruction a ordonné le renvoi d'André A..., gérant de la société Promodes, devant le tribunal correctionnel du chef d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ;
Attendu que, pour déclarer la constitution de partie civile de la SARL X...- Y... irrecevable, la juridiction du second degré, saisie de la seule action civile à l'encontre des héritiers d'André A... décédé, retient que le délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable ne peut porter atteinte qu'à l'intérêt général et à celui de cette profession et que la SARL X...- Y... est sans qualité pour exercer l'action civile, seul l'Ordre des experts-comptables étant habilité à le faire ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 18 juin 1993, en toutes ses dispositions et, pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Angers.