Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un arrêté du préfet du département de la Vienne du 10 juillet 1989 pris en application de l'article L. 221-17 du Code du travail a interdit la vente au détail des articles du commerce de la chaussure, le dimanche, pendant 24 heures consécutives ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Chaussures André fait grief à l'arrêt, statuant en référé, de l'avoir condamnée à fermer, le dimanche, son magasin de vente de chaussures dénommé " La Halle aux chaussures ", alors, selon le moyen, que, d'une part, toute réglementation commerciale d'un Etat membre, susceptible de faire obstacle, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement au commerce intra-communautaire constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative, et que le fait que ladite mesure affecte indistinctement les produits nationaux et les produits importés ne lui retire pas ce caractère ; que la cour d'appel ne pouvait donc décider que l'interdiction d'ouverture dominicale ne constituait pas une mesure d'effet équivalent en raison de sa généralité et qu'il lui appartenait, comme l'y invitait la société Chaussures André, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la compatibilité de l'article L. 221-17 du Code du travail, avec les articles 30 et 36 du traité de Rome qu'elle a violés, alors que, par arrêt du 23 novembre 1989, postérieur à l'arrêt attaqué, la Cour de justice des Communautés européennes a décidé qu'une réglementation nationale interdisant à des commerces de détail d'ouvrir le dimanche, qui constituait une mesure d'effet équivalent, n'était compatible avec l'article 30 du traité de Rome que si les effets restrictifs sur les échanges communautaires qui peuvent en résulter, ne dépassent pas le cadre des effets propres à une réglementation de ce genre ; qu'il appartenait donc, à tout le moins, à la cour d'appel de rechercher si la mesure, dont s'agit, était proportionnée à l'objectif visé, même ce dernier serait-il justifié au regard du droit communautaire ; que faute de l'avoir fait, elle a privé sa décision de base légale aux regards des articles 30 et 36 du traité de Rome, et alors que, sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'association d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres et qui ont pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, même si de tels accords sont mis en oeuvre par des réglementations étatiques ; que la cour d'appel ne pouvait davantage déclarer l'article L. 221-17 du Code du travail compatible avec l'article 85 du traité de Rome, en raison de l'absence de discrimination à l'égard de tous les commerçants d'une même branche, les accords entérinés par arrêtés préfectoraux, qui ont incontestablement un effet sur les échanges, étant bien susceptibles de fausser la concurrence, puisqu'ils ne sont pas uniformes et permettent d'établir des disparités entre entreprises d'un même département et a fortiori de départements différents ; qu'en refusant encore de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la compatibilité de l'article L. 221-17 avec l'article 85 du traité de Rome, la cour d'appel a violé ce dernier texte, alors que, d'autre part, toute juridiction nationale doit tenir compte de la réponse donnée par la Cour de justice des Communautés européennes à une question préjudicielle sur l'interprétation d'un acte communautaire ; que rien n'empêchait la cour d'appel, statuant en référé, de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle ou de surseoir à statuer jusqu'à
ce qu'elle se soit prononcée sur une question dont elle était d'ores et déjà saisie ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 177 du traité de Rome, alors qu'enfin, le juge des référés ne peut prendre des mesures conservatoires que pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en déduisant le caractère manifestement illicite du trouble de la seule méconnaissance, par la société Chaussures André, de la réglementation française, dont la compatibilité avec le traité de Rome était contestée, sans rechercher si ce trouble était manifestement illicite vis-à-vis de la réglementation communautaire, applicable en raison de sa primauté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel n'est pas tenue de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes ;
Attendu, ensuite, que le 28 février 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a décidé que l'article 30 du Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne doit être interprété en ce sens qu'il ne s'appliquait pas à une réglementation nationale interdisant d'occuper des travailleurs le dimanche (aff. C.312/89) ;
Attendu, enfin, que l'article 85 du Traité interdit tout accord ou pratique de nature à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence dans les échanges entre les Etats membres de la Communauté économique européenne, que l'interdiction faite à la société ne résultant pas d'un accord mais d'un acte administratif, l'article 85 n'est pas applicable ;
D'où il suit que le moyen, pour partie, n'est pas fondé et, pour partie, est inopérant ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article L. 221-17 du Code du travail, la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Attendu que l'accord entre les syndicats d'employeurs et de travailleurs, visé par l'article L. 221-17 du Code du travail, sur la base duquel peut être pris l'arrêté préfectoral prévu par ce même texte doit correspondre à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui, dans le département, exercent la profession intéressée à titre principal ou accessoire et dont l'établissement est susceptible d'être fermé ;
Attendu que, pour condamner la société à fermer le dimanche son magasin de chaussures dénommé " La Halle aux chaussures ", la cour d'appel a énoncé que l'arrêté préfectoral était intervenu sur le vu, ainsi qu'il y était mentionné, d'un accord entre un syndicat d'employeurs, le syndicat des détaillants en chaussures de la Vienne, et des syndicats de travailleurs, et entre dans le cadre des dispositions de l'article L. 221-17, aucune disposition n'exigeant que l'on consulte tous les syndicats ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.