Statuant tant sur le pourvoi principal qu'incident ;
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, que la société Claude Bachet et fils (société Bachet) est titulaire de la marque Papillon, constituée par le mot papillon et le logo d'un papillon, déposée le 22 juillet 1968, enregistrée en renouvellement sous le numéro 1.465.173, pour désigner les produits dans les classes 32 et 33 ; que la licence pour l'exploitation de la marque, concédée gratuitement le 8 janvier 1985 à la société Les Fils de Henri X... (société X...) a été enregistrée sous le numéro 012.994 ; que la Société d'élevage et de diffusion des grands vins (société SEDGV) a déposé, le 8 décembre 1977, trois marques, Papillon, Pavillon de la reine et Papillon de la reine, qu'elle a cédées à la société Bacardi par contrats des 11 janvier et 5 mars 1984, enregistrés le 14 septembre 1984 ; que la société Bacardi a déposé, le 13 mars 1986, la marque Papillon pour désigner la totalité des produits dans la classe 33 ; qu'elle a renouvelé les enregistrements des marques qui lui avaient été concédées le 7 décembre 1987 ; que la société Bachet a fait procéder à plusieurs saisies-contrefaçons qui ont fait apparaître que la société Bacardi commercialisait aux Etats-Unis sous les marques des vins qui lui étaient fournis par les sociétés Cusenier, filiale du Groupe Pernod-Ricard, et par la Société des vins de France (société SVF), les emballages portant les mentions Papillon et Papillon de la reine étant produits par la société Socar et les bouchons portant la mention Papillon par la société Bouchons Gultig (société Gultig) ; que les sociétés Bachet et X... ont assigné pour contrefaçon et concurrence déloyale les sociétés Bacardi, SEDGV, Gultig, Socar, SVF, Cusenier et Pernod-Ricard ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal :
Attendu que les sociétés X... et Bachet font grief à l'arrêt de les avoir déboutées de leurs actions en concurrence à l'encontre des sociétés Bacardi, SVF, Gultig et Socar, alors, selon le pourvoi, que, dans des conclusions délaissées, les sociétés Bachet et X... avaient fait valoir qu'elles exportaient depuis 1977 des sirops de marque Le Papillon en direction des Etats-Unis, et que les agissements de la société Bacardi leur avaient porté préjudice en leur fermant, par l'utilisation illicite de leur marque, le marché américain du vin ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen d'où il s'évinçait que, par leurs actes de contrefaçon et d'usage illicite de la marque d'autrui, la société Bacardi avait commis des actes de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient, d'un côté, que la société Bacardi a déposé la marque Le Papillon aux Etats-Unis avec revendication de la date de premier usage du 25 mars 1982, et, d'un autre côté, que l'action en nullité de cet enregistrement introduite par la société Bachet a été rejetée par les autorités américaines ; qu'ainsi, la cour d'appel a répondu, en les rejetant, aux conclusions de la société Bachet qui faisaient valoir qu'elle avait fait usage de la marque aux Etats-Unis dès 1977, ce qui était susceptible de lui conférer le droit à la marque dans ce pays ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches, du pourvoi incident :
Attendu que les sociétés Cusenier et SEDVG font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par des actes de concurrence déloyale, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel ne fait pas état de faits de concurrence déloyale qui seraient distincts de faits de contrefaçon, si bien qu'elle ne met pas à même la Cour de Cassation d'exercer son contrôle au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse, la cour d'appel n'a pu, sans se contredire et donc méconnaître les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, relever, d'un côté, qu'aucun usage de marque contrefaisante ou imitante ne peut être retenu, dès lors que les produits revêtus des marques contrefaisantes n'ont fait l'objet d'aucune commercialisation, d'aucune publicité, sur le territoire français, que lesdites marques n'ont nullement été employées pour désigner, à l'égard du public français, les produits ainsi marqués, ceux-ci étant uniquement mis à la disposition du public aux Etats-Unis ainsi qu'au Canada, et en Extrême-Orient, ensemble qu'en France, il n'y a pas de concurrence des produits et, de ce fait, risque d'un transfert de clientèle, et affirmer, d'un autre côté, qu'en tant qu'unique licencié de la marque Le Papillon en France pour des vins et sirops, la société X... était seule habilitée à pouvoir vendre et livrer des vins embouteillés et emballés en France sous la marque Le Papillon et qu'en privant ladite société de ce marché, en contrefaisant sa marque et en vendant en France des bouteilles de vin où étaient apposées les marques contrefaisantes, des actes de concurrence déloyale ont été commis ; alors, enfin, que, pour qu'il puisse y avoir une concurrence déloyale, il est essentiel qu'existe un marché, ce qui implique des actes de commercialisation des produits incriminés sur ledit marché de la part de celui ou de ceux qui sont recherchés pour des faits de concurrence déloyale, ce qu'admet d'ailleurs la cour d'appel en relevant " que la concurrence déloyale suppose que les sociétés en cause interviennent sur le même marché, s'adressent à la même clientèle " ; or, il appert de constatations souveraines des juges du fond que les produits marqués par les signes contrefaisants ou imitants n'ont jamais été commercialisés en France et n'ont jamais été placés sur le marché français, la simple circonstance que les " ventes avaient lieu en France, les marchandises étant payables et dédouanées en France et voyageant aux risques de l'acheteur ", apparaissant sans emport au regard des éléments constitutifs de la concurrence déloyale ; qu'ainsi, la cour d'appel se prononce à partir de motifs inopérants et, partant, viole, par fausse application, l'article 1382 du Code civil, ensemble les règles et principes qui gouvernent la concurrence déloyale ;
Mais attendu que l'arrêt a retenu, d'un côté, que les sociétés Cusenier et SEDVG avaient commis des actes de contrefaçon de la marque protégée, la première en déposant les marques Papillon, le Papillon de la reine et le Pavillon de la reine, la seconde en apposant la marque contrefaite sur un produit, et, d'un autre côté, qu'il n'y avait pas eu usage de la marque contrefaite en France ; que la cour d'appel a pu décider, sans se contredire, que la société SEDVG, en vendant à la société Bacardi USA, en vue de leur commercialisation aux Etats-Unis des bouteilles de vin portant la marque contrefaite, cette vente étant un acte distinct de la contrefaçon, avait commis des actes qualifiés de concurrence déloyale envers la société Bachet, qui, en sa qualité de licenciée de la marque Le Papillon en France pour les vins et les sirops, était seule habilitée pour vendre ces produits portant la marque ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches, du pourvoi incident :
Attendu que les sociétés Pernod-Ricard, Gultig, Socar, SVF, Cusenier et SEDVG font grief à l'arrêt de les avoir condamnées au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la contrefaçon, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel n'a pu, sans se contredire, condamner diverses sociétés pour atteinte portée à un droit de marque tout en constatant que n'a pas été entamé le pouvoir attractif de la marque, pas plus que le pouvoir distinctif de ladite marque qui reste intacte ; qu'en l'état de motifs inconciliables, la cour d'appel méconnaît les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse, la cour d'appel se devait de s'expliquer davantage lorsqu'elle retient l'existence d'un préjudice de principe et condamne néanmoins au paiement de fortes indemnités qui, par définition, sont antinomiques avec ce que l'indemnisation d'un préjudice de principe postule ; qu'ainsi, l'arrêt ne contient pas de motifs, d'où une nouvelle méconnaissance des exigences du texte précité ;
Mais attendu que la cour d'appel a, sans contradiction, retenu que l'atteinte au droit de propriété industrielle constituait un préjudice dont elle a apprécié souverainement l'importance en tenant compte de l'absence de mise sur le marché français de produits portant la marque contrefaite ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi incident :
Attendu que les sociétés Pernod-Ricard, Gultig, Socar, SVF, Cusenier et SEDVG font grief à l'arrêt d'avoir décidé que postérieurement à la signification du jugement la société Cusenier avait porté atteinte à la marque Papillon et commis des actes de concurrence déloyale, alors, selon le pourvoi, qu'il est de principe qu'un même fait ne peut être abordé sous l'angle de la contrefaçon et de la concurrence déloyale ; qu'en ne précisant pas en quoi les agissements postérieurs à la signification du jugement pouvaient d'un côté caractériser les actes de contrefaçon et d'un autre côté des faits distincts de concurrence déloyale, la cour d'appel prive son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt a relevé que la société Cusenier avait, d'un côté, continué à vendre à l'exportation, postérieurement à la signification du jugement portant interdiction, avec exécution provisoire, de faire usage des dénominations Papillon, Le Papillon de la reine et Le Pavillon de la reine, des bouteilles de vin Papillon blanc, rosé et rouge, et, d'un autre côté, utilisé, pendant la même période, des documents mentionnant les vins Papillon ; qu'à partir de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu décider que les faits de vente constituaient une concurrence déloyale distincte de la contrefaçon résultant de l'usage de documents portant la marque contrefaite ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal :
Vu l'article 422-1 du Code pénal, ensemble l'article 4 de la loi du 31 décembre 1964 ;
Attendu que, pour rejeter la demande des sociétés X... et Bachet fondée sur la contrefaçon et décider que la cession par la société SEDVG à la société Bacardi des marques Papillon et Papillon de la reine ne constituait pas un acte de contrefaçon, l'arrêt énonce que la cession et l'acquisition d'une marque dont le caractère contrefaisant n'a pas encore été établi, ne peuvent pas être assimilées, en raison de l'interprétation restrictive des textes sanctionnant la contrefaçon, à des actes d'exploitation d'une marque contrefaisante ;
Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir décidé que les marques cédées contrefaisaient la marque protégée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 422-2 du Code pénal, ensemble l'article 4 de la loi du 31 décembre 1964 ;
Attendu que, pour rejeter la demande des sociétés Bachet et X..., mettre hors de cause la Société des vins de France et décider que les sociétés SVF, Cusenier, SEDVG et Bacardi n'avaient pas fait usage de la marque contrefaisante, l'arrêt énonce que les produits portant les marques contrefaites étaient destinés à la vente dans des pays étrangers et n'avaient pas été mis en vente en France ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les sociétés en cause avaient commis des actes de contrefaçon de la marque protégée et qu'elles avaient conclu en France des contrats de vente des produits portant les marques contrefaites, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes des sociétés Bachet et X... tendant à faire constater que les sociétés Bacardi et SEDVG avaient, en cédant et acquérant des marques contrefaisant la marque Le Papillon, commis une contrefaçon, en ce qu'il a rejeté la demande des sociétés Bachet et X... tendant à faire constater que les sociétés Cusenier, SDEVG, Bacardi et SVF avaient fait usage des marques contrefaites, en ce qu'il a mis hors de cause la société SVF et en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation du préjudice résultant de ces actes de contrefaçon et d'usage de marque contrefaite, l'arrêt rendu le 26 novembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.