AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Ducros, dont le siège social est ... (Vaucluse), en cassation d'un arrêt rendu le 21 mai 1991 par la cour d'appel de Nîmes (chambre sociale), au profit de M. Jean-Marc X..., demeurant ... (Vaucluse), défendeur à la cassation ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 14 mars 1995, où étaient présents : M. Waquet, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Merlin, conseiller rapporteur, M. Monboisse, conseiller, Mlle Sant, MM. Frouin, Boinot, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Merlin, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Ducros, les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu que M. X..., engagé le 26 octobre 1987, par la société Ducros, en qualité de manutentionnaire pour le chargement de camions, a été déclaré, suite à un arrêt de travail, apte à son emploi sous réserve de ne pas soulever de poids supérieurs à 3O kgs de façon répétitive ;
que par lettre du 13 mars 1989, l'employeur l'a licencié pour inaptitude à son poste de travail exigeant de façon permanente le port de lourdes charges ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Nîmes, 21 mai 1991), de l'avoir condamné au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que lorsque le médecin du travail, en déclarant le salarié inapte à reprendre son emploi, n'a proposé aucune des mesures individuelles prévues par l'article L. 241-10-1 du Code du travail, l'employeur n'est pas tenu d'envisager le reclassement de l'intéressé ;
qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 241-10-1 précité du Code du travail ;
alors, encore, qu'un motif d'affirmation générale équivaut à un défaut de motifs ;
qu'en reprochant à l'employeur de ne s'être pas préoccupée du caractère temporaire ou définitif de l'inaptitude du salarié, sans préciser en quoi l'avis du médecin du travail imposait à l'employeur une telle préoccupation, ni en quoi le caractère abusif de la rupture était ainsi caractérisé, la cour d'appel a statué par un motif d'affirmation générale équivalant à un défaut de motifs, en méconnaissance de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, en outre, que l'employeur n'a pas d'obligation de solliciter du médecin du travail les examens complémentaires prévus par l'article R. 241-51-1 du Code du travail ;
qu'en énonçant que l'employeur avait agi avec une précipitation excessive aux motifs que les examens complémentaires n'avaient pas eu lieu, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article R. 241-51-1 précité du Code du travail ;
alors, enfin, que l'article 29 de la convention collective des produits exotiques prévoit que, dans le cas où une incapacité médicalement constatée aurait empêché le malade de reprendre son travail dans les délais de garantie conventionnels, il bénéficierait pendant une durée de six mois, à compter de la fin de son indisponibilité, d'un droit de priorité pour occuper dans l'établissement un autre emploi à la mesure de ses capacités ;
qu'il en résulte que le droit de priorité précité ne s'applique qu'à la suite d'une absence pour maladie, dépassant les délais de garantie conventionnels, et non dans le cas d'une inaptitude à un poste de travail constatée par le médecin du travail ;
qu'en se fondant cependant sur les dispositions précitées pour reprocher à l'employeur de n'avoir pas recherché un autre emploi pour le salarié, alors qu'elle a, par ailleurs, constaté l'inaptitude de celui-ci à son poste de travail, et non une quelconque absence pour maladie ayant empêché l'intéressé de reprendre son travail dans les délais de garantie conventionnels, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les dispositions précitées de l'article 29 de la convention collective des produits exotiques ;
Mais attendu que l'employeur doit, au besoin en les sollicitant, prendre en considération les propositions du médecin du travail en vue du reclassement du salarié devenu inapte à son emploi ;
que la cour d'appel, après avoir constaté que l'employeur avait engagé la procédure de licenciement dès le lendemain de la visite médicale de reprise du travail, avec une précipitation excessive et une légèreté blamable, sans solliciter les propositions du médecin du travail ni rechercher la possibilité d'un éventuel reclassement du salarié, a décidé, à bon droit, que l'employeur n'avait pas satisfait aux dispositions de l'article L. 241-10-1 du Code du travail et a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Ducros, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du neuf mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze.