AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-sept janvier mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire VERDUN, les observations de Me CHOUCROY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général PERFETTI ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Jean-Marc, contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 7ème chambre, en date du 12 janvier 1995, qui, dans les poursuites exercées contre José Z..., Kamel X... et Jean-Marc Y... pour vol avec violences, violences volontaires, outrage à agent de la force publique et rébellion, a, après condamnation définitive des prévenus, prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 2, 3, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à verser à la victime la somme de 8 000 francs à titre de préjudice découlant de la perturbation de la vie quotidienne, 35 000 francs à titre d'indemnisation du déficit physiologique, 30 000 francs à titre de pretium doloris, 5 000 francs de préjudice d'agrément ;
"aux motifs qu'à la suite de l'agression dont il a été victime, M. A..., même s'il a continué à percevoir son traitement, a pendant plus de trois mois, période de son incapacité totale de travail, limité ses activités et connu une gêne certaine dans les actes de la vie courante ;
qu'il en a été de même durant la période suivante d'incapacité partielle à 20 % de 16 jours ;
"que la somme de 8 000 francs qui lui a été accordée en réparation de ce chef de préjudice est justifiée et sera maintenue ;
"que la somme de 35 000 francs correspond exactement à l'indemnisation du déficit physiologique fonctionnel résultant des séquelles des blessures qui lui ont été infligées ;
"que celle de 30 000 francs est adéquate à un pretium doloris de 4/7, particulièrement caractérisé par l'expert, qui souligne que la victime a souffert de fractures au niveau du rachis lombaire et des côtes entraînant des soins douloureux ;
"que l'indemnisation de préjudice d'agrément est justifiée, Michel Porta produisant un document établissant qu'il n'a pu entretenir normalement la parcelle de terrain qui lui est accordée par l'association des Jardins Familiaux de Meyzieu, et qu'elle sera confirmée ;
"alors que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice né de l'infraction, il ne saurait en résulter pour la victime ni perte ni profit ; que, par suite, la cour d'appel ne pouvait allouer à la victime des sommes à titre de perturbations de la vie quotidienne et à titre de préjudice d'agrément, sans indemniser deux fois le même préjudice ;
que, par suite, la cour d'appel a méconnu les textes ci-dessus rappelés"
;
Attendu qu'en accordant à la victime la réparation d'un préjudice d'agrément distinct du retentissement purement physiologique de ses lésions, en ce comprise la gêne rencontrée dans les actes de la vie courante, la cour d'appel n'a fait qu'user, sans insuffisance ni contradiction, de son pouvoir souverain d'apprécier, dans la limite des conclusions des parties, les indemnités propres à réparer, en ses divers aspects, le dommage né de l'infraction ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 111-4 du Code pénal, 2, 3, 593 du Code de procédure pénale, 1153, 1382 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a fixé le point de départ des intérêts de l'Etat français au jour de sa réclamation en justice ;
"aux motifs que si l'indemnisation de la victime s'apprécie au jour où la décision est rendue, il n'en est pas de même du remboursement des débours de l'organisme social, qui est en droit de réclamer des intérêts sur les sommes qu'il a effectivement versées ;
"qu'à juste titre le tribunal a accédé à la demande de l'Etat français qui est en droit de solliciter la fixation du point de départ des intérêts au jour de sa réclamation en justice, largement postérieure à la date de versement des prestations, salaires et charges ;
"alors que le droit pénal est d'interprétation stricte ;
que l'Etat poursuivant le recouvrement des sommes versées à la victime, sa créance ne peut produire d'intérêts qu'au jour où la décision est rendue en l'absence de texte permettant de fixer le point de départ des intérêts au jour de la demande ;
qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé le principe ci-dessus rappelé" ;
Attendu qu'en fixant au jour de la demande en justice le point de départ des intérêts moratoires de la créance de l'Etat, laquelle comprenait, notamment, les charges patronales afférentes aux traitements maintenus à la victime pendant la période d'interruption du service, la cour d'appel a fait l'exacte application des dispositions de l'article 1153 du Code civil ;
Qu'en effet, la créance d'une somme d'argent, née et déterminée dans son montant antérieurement à toute décision du juge qui se borne à la constater, porte intérêts à compter de la sommation de payer ;
qu'il en est ainsi des charges patronales dont il poursuit le recouvrement en application de l'article 32 de la loi du 7 juillet 1985 ;
Que le moyen n'est, dès lors, pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, Mme Verdun conseiller rapporteur, MM. Aldebert, Grapinet conseillers de la chambre, Mme Ferrari conseiller référendaire appelé à compléter la chambre, M. Perfetti avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;