AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-sept janvier mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller GRAPINET, les observations de Me CHOUCROY et de Me VINCENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général PERFETTI ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Jean-Paul, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 4ème chambre, du 9 février 1995, qui l'a débouté de ses demandes après avoir relaxé Philippe A... des chefs de faux ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 441-1, 441-2 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Philippe A... au bénéfice du doute ;
"aux motifs que Jean-Paul Y... affirme n'avoir jamais signé l'abandon de portefeuilles en date du 16 avril 1991 ;
qu'il estime que ce document est un faux entièrement fabriqué par Philippe A... dans le but de le dessaisir de ses intérêts dans l'agence ECS ;
que différents éléments du dossier viennent à l'appui des affirmations du demandeur ;
que le document litigieux a été dactylographié à Bapaume et non au siège d'ECS à Arras ;
que Philippe A... indique avoir demandé à son épouse, Mme E..., de dactylographier ce document, alors que celle-ci soutient qu'elle n'a jamais tapé ce texte ; que Melle Z..., secrétaire de Philippe A..., affirme que celui-ci lui a demandé d'ajouter au texte la mention "à M. Philippe A...", mention qui ne figurait pas initialement dans la déclaration ;
que M. Erik D..., alors stagiaire, fait savoir qu'il a reçu, à la fin du mois d'avril, un appel téléphonique de Jean-Paul Y... lui faisant connaître son étonnement d'avoir reçu un formulaire de déclaration de cessation d'activité ;
que M. X..., enfin, atteste avoir compris que le transfert du bail ne devait devenir effectif qu'en cas de disparition du demandeur ;
que, toutefois, ces éléments n'apportent pas la preuve déterminante que Phlippe A... ait fabriqué un faux en imitant ou en faisant imiter la signature du demandeur ;
que, notamment, Jean-Paul Y... a pu signer un texte dactylographié à Bapaume ;
que les époux B... sont en instance de divorce, ce qui est susceptible de faire douter des déclarations de l'épouse ;
que le document incriminé fait apparaître qu'effectivement un point a été effacé devant les mots "à M. Philippe A..." ;
que, toutefois, ce membre de phrase est parfaitement aligné et a donc pu être dactylographié dès l'origine du texte, l'effacement du point n'étant dû qu'à une faute de frappe ;
qu'ainsi, le document ne confirme pas les déclarations de Mlle Z... ; qu'enfin, l'esprit dans lequel a été signée la cession de bail ne prouve pas que la déclaration d'abandon de portefeuilles ait été un faux ;
qu'au contraire, on trouve une certaine logique dans la signature de ces deux documents le même jour ;
"que, selon la Cour, le seul point véritablement en litige porte sur les circonstances dans lesquelles l'ajout est intervenu, le prévenu prétendant que c'est au plus tard au moment de la signature et avec l'accord de la partie civile, celle-ci soutenant quant à elle que cela s'est passé après et sans son accord ;
que la Cour ne peut que constater que l'enquête minutieuse qui a été effectuée et la mesure d'expertise qui a été ordonnée ne permettent pas de les départager et qu'aucun complément d'information n'est à même d'être envisagé, toutes les vérifications utiles ayant été opérées ;
"alors que, d'une part, constitue un faux la fabrication de convention, disposition, obligation ou décharge ainsi que tout document susceptible de constituer un mode de preuve, dès lors qu'intentionnellement commise, elle est de nature à porter préjudice à un tiers ;
qu'en l'espèce, les premiers juges, auxquels se réfère expressément la Cour, ont constaté que le document litigieux a été dactylographié à Bapaume et non au siège d'ECS à Arras ;
que Philippe A... affirme avoir demandé à son épouse de dactylographier le document litigieux ;
que Mlle Z..., secrétaire de Philippe A..., affirme que celui-ci a demandé d'ajouter au texte la mention "à M.
A...", mention qui ne figurait pas initialement dans la déclaration ;
qu'Eric D..., alors stagiaire, avait reçu, à la fin du mois d'avril, un appel téléphonique de Jean-Paul Y... lui faisant connaître son étonnement d'avoir reçu un formulaire de déclaration de cessation d'activité ;
qu'enfin, M. X... atteste avoir compris que le transfert de bail ne devait devenir effectif qu'en cas de disparition du demandeur ;
que, pareilles circonstances sont propres à établir le délit de faux et usage ;
que les juges du fond ne pouvaient, pour relaxer le prévenu au bénéfice du doute, se fonder sur des motifs purement hypothétiques tirés, notamment, de ce que Jean-Paul Y... a pu signer un texte dactylographié à Bapaume ;
que les époux B... sont en instance de divorce, ce qui est susceptible de faire douter des déclarations de l'épouse ;
qu'ainsi, la relaxe au bénéfice du doute n'est pas légalement justifiée ;
"alors, d'autre part, que le demandeur faisait valoir dans un chef péremptoire de ses conclusions d'appel, auxquelles la Cour a omis de répondre, que l'écrit du 16 avril 1991 a été complété ;
que cette affirmation est établie par les déclarations formelles de deux témoins, le premier contestant être l'auteur matériel de l'écrit, le second attestant que l'écrit du 16 avril 1991 a ultérieurement été complété par l'indication du bénéficiaire ;
qu'ainsi, Philippe A... est l'auteur matériel de l'écrit litigieux qu'il a, sur ordre, fait compléter ultérieurement par Mlle Z..." ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a exposé, sans insuffisance ni contradiction, les motifs dont elle a déduit que les délits de faux en écriture et usage de faux reprochés à Philippe A..., n'étaient pas établis et a ainsi justifié sa décision de débouté de la partie civile ;
D'où il suit que le moyen, qui remet en discussion, au prétexte de motifs hypothétiques et d'un prétendu défaut de réponse à conclusions, l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Grapinet conseiller rapporteur, MM. Jean F..., Blin, Carlioz, Aldebert conseillers de la chambre, Mmes C..., Verdun conseillers référendaires, M. Perfetti avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;