Attendu, selon le jugement déféré (tribunal de grande instance de Nanterre, 18 janvier 1994), que, par réclamation du 20 octobre 1992, la société Lilly France a sollicité la restitution des droits d'enregistrement de 1,20 % acquittés le 28 janvier 1985 lors de la fusion-absorption des sociétés Eli, Lilly France et Elisabeth X... en application de l'article 816-I.2° du Code général des impôts, alors en vigueur ; qu'après le rejet de sa réclamation, la société Lilly France a assigné le directeur des services fiscaux des Hauts-de-Seine devant le tribunal de grande instance ;
Sur le pourvoi principal :
Sur le premier moyen :
Attendu que le Directeur général des Impôts fait grief au jugement d'avoir ordonné la restitution de partie des droits d'enregistrement acquittés, alors, selon le pourvoi, que l'Administration faisait observer dans ses conclusions en défense que la réclamation de la société présentée le 20 octobre 1992 et visant des impositions acquittées le 28 janvier 1985 était tardive, et partant irrecevable, comme présentée hors du délai prévu à l'article R. 196-1, alinéa 1 b) du Livre des procédures fiscales applicable en la cause ; qu'en laissant ainsi sans réponse ces conclusions le Tribunal n'a pas donné de motifs à sa décision ;
Mais attendu que, par arrêt du 25 juillet 1991 (Emmott), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le droit communautaire s'oppose à ce que les autorités compétentes d'un Etat membre invoquent les règles de procédure nationales relatives aux délais de recours dans le cadre d'une action engagée à leur encontre par un particulier devant les juridictions nationales, en vue de la protection des droits directement conférés par une directive, aussi longtemps que cet Etat membre n'a pas transposé correctement les dispositions de cette directive dans son ordre juridique interne ; que les dispositions de la directive 73-80, du 9 avril 1973, disposant que les droits d'apport applicables aux opérations de fusion sont fixés par les Etats membres de 0 à 0,50 % à partir du 1er janvier 1976 dispositions précises et inconditionnelles, n'ont été introduites en droit français que par la loi n° 93-1352 du 30 décembre 1993 ; que c'est donc à compter de l'entrée en vigueur de cette loi que court le délai de réclamation de l'article R. 196-1 du Livre des procédures fiscales ; que, par ce moyen de pur droit, le jugement se trouve justifié ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que le Directeur général des Impôts fait encore grief au jugement d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, que, d'une part, le droit visé à l'article 816-I.2° du Code général des impôts est un substitut d'impôt de distribution perçu selon les techniques des droits d'enregistrement ; que, comme l'Administration l'a soutenu devant les juges du fond, il n'est pas visé par les directives européennes susvisées qui ne concernent que le droit d'apport ordinaire perçu sur les apports effectués à titre pur et simple ; qu'en énonçant le contraire, le Tribunal a violé l'article 816-I.2° précité ainsi que l'article 7-1 de la directive 69-335/CEE du 17 juillet 1969, modifiée (directive 85-030/CEE du 10 juin 1985) ; et alors que, d'autre part, subsidiairement, à supposer que ce droit entre dans le champ d'application de la directive précitée, l'article 9 de la directive prévoit que " certaines catégories d'opérations ou de sociétés de capitaux peuvent faire l'objet d'exonérations, de réductions ou de majorations de taux pour des motifs d'équité fiscale ou d'ordre social ou pour mettre un Etat membre en mesure de faire face à des situations particulières " ; qu'en application de cet article, la France s'est vue reconnaître le droit d'appliquer une majoration de taux qu'il prévoit ; qu'ainsi, le Tribunal a violé l'article 9 de la directive 69-335/CEE du 17 juillet 1969, modifiée ;
Mais attendu, d'une part, que, par arrêt du 13 février 1996 (société Bautiaa), la Cour de justice européenne a dit pour droit que l'article 7, § 1, de la directive 69-335 du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux, tel qu'il a été modifié par la directive 73-80 du Conseil, du 9 avril 1973, concernant la fixation des taux communs du droit d'apport, applicable au 1er janvier 1976, puis par la directive 85-303 du Conseil, du 10 juin 1985, application au 1er janvier 1986, s'oppose à l'application d'une législation sur les apports mobiliers effectués dans le cadre d'une fusion ; que c'est donc, à bon droit, que le Tribunal a jugé que l'article 816-I.2° du Code général des impôts, alors en vigueur était incompatible avec les directives 73-80 et 85-303 ;
Attendu, d'autre part, que, dans l'arrêt précité, la Cour de justice des Communautés européennes a relevé que la dérogation dont se prévaut le Gouvernement français ne porte pas sur le taux du droit frappant les opérations visées à l'article 4, § 1, sous c), et à l'article 7, § 1, sous b), de la directive qui comprennent les opérations de fusion ; que, par ce motif de pur droit, le jugement se trouve justifié ;
Que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, ne peut être accueilli en sa seconde ;
Sur le pourvoi incident :
Attendu que la société Lilly France fait grief au jugement d'avoir limité la restitution à l'excédent des droits d'apport par rapport au taux de 0,50 %, alors, selon le pourvoi, qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, la loi fixe les règles concernant notamment le taux des impositions de toute nature ; que, selon l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, c'est aux citoyens ou à leurs représentants qu'il appartient de déterminer la quotité des impositions ; qu'il résulte enfin des dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 et spécialement de son article 4, que les impôts ne peuvent être perçus que dans les conditions fixées par la loi et selon l'autorisation annuelle donnée par la loi de finances ; qu'en conséquence, s'il appartient au juge de donner décharge d'une imposition illégalement établie ou perçue, il ne peut lui substituer une imposition différente, ou réduire le taux initialement appliqué, que pour autant que l'imposition ou le taux ainsi substitué ont été institués ou prévus par la loi et que les conditions auxquelles celle-ci subordonne l'imposition sont réunies ; qu'en l'espèce, la loi française ne prévoit nullement la perception au taux de 0,5 % d'un droit appliqué aux actes constatant une fusion de sociétés ; qu'après avoir constaté l'incompatibilité avec les directives du Conseil des Communautés européennes, du droit de 1,20 % institué à l'article 816-I.2° du Code général des impôts, le Tribunal ne pouvait donc refuser de décharger entièrement la requérante de l'imposition perçue à tort et laisser à sa charge un droit au taux de 0,5 % qui n'est prévu par aucune disposition législative ; que les directives du Conseil des Communautés européennes ne sauraient conférer une base légale à l'imposition résiduelle maintenue par le Tribunal, car, ces directives, destinées à encadrer l'exercice par les Etats membres de leurs compétences en matière de certains droits d'apport ou d'enregistrement, n'ont ni pour objet ni pour effet d'instituer des impositions ou d'en autoriser la perception ; qu'en maintenant à la charge de la société Lilly France, qui avait demandé à titre principal à être totalement déchargée, un droit au taux de 0,5 % le tribunal de grande instance de Nanterre a violé les dispositions susvisées de l'article 34 de la Constitution, de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ;
Mais attendu que c'est à bon droit qu'ayant retenu que l'article 816-I.2° du Code général des impôts était, jusqu'au 1er janvier 1986, partiellement incompatible en ce qu'il instituait un taux de 1,20 % tandis que l'article 2 de la directive 73-80 disposait que le taux maximal autorisé pour les opérations de fusion était de 0,50 %, le Tribunal en a déduit que la répétition des droits d'enregistrement indûment versés ne pouvait porter que sur la part de ces droits dont il constatait l'incompatibilité, l'article 816-I.2° demeurant en partie applicable ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE tant le pourvoi principal que le pourvoi incident.