AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FERRARI, les observations de Me CHOUCROY et de Me LUC-THALER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DINTILHAC;
Statuant sur le pourvoi formé par : - X... Robert,
contre l'arrêt n° 643 de la cour d'appel de LYON, 7ème chambre, du 22 novembre 1995, qui, dans les poursuites exercées contre lui pour infraction à la législation relative au service des pompes funèbres, a constaté l'extinction de l'action publique par amnistie et a prononcé sur les intérêts civils;
I Sur l'action publique :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que 8 communes de la région Lyonnaise ont concédé à la société Pompes Funèbres du Sud-Est le service extérieur des pompes funèbres sur leur territoire;
Que, sur le fondement de l'article 28 de la loi du 8 janvier 1993 relative à la législation dans le domaine funéraire, Robert X... est poursuivi pour avoir de janvier à mars 1993 dirigé une entreprise ayant fourni des prestations de pompes funèbres en violation des droits d'exclusivité conférés par les contrats de concession et maintenus pour trois ans au profit de la société Pompes Funèbres du Sud-Est en application des dispositions transitoires de cette loi;
Attendu que, le monopole communal des pompes funèbres ayant été supprimé par la loi précitée et la période de survie des droits d'exclusivité des concessionnaires étant écoulée, les faits incriminés ne sont plus aujourd'hui susceptibles de constituer une infraction;
Que la loi nouvelle qui abroge une incrimination ou qui comporte des dispositions favorables au prévenu s'applique aux faits commis avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés;
Que, dès lors, la décision des juges du fond ayant constaté l'extinction de l'action publique par amnistie, qui n'est pas définitive en raison du pourvoi, est désormais justifiée par la caducité du texte répressif;
Que les juridictions pénales restent cependant compétentes pour statuer sur les intérêts civils lorsqu'elles en ont été régulièrement saisies avant l'abrogation de la loi pénale;
II Sur l'action civile :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 28 de la loi n°93-23 du 8 janvier 1993, de l'article 86 du traité de Rome, 1315 du Code civil, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs, manque de base légale, renversement de la charge de la preuve;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception préjudicielle tirée de l'incompatibilité du monopole de la partie civile sanctionnée par l'article 28 de la loi du 8 janvier 1993;
"aux motifs que la Cour de justice des Communautés européennes a dit que seul l'article 86 du traité de Rome, qui interdit l'exploitation abusive d'une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci, dans la mesure où cette exploitation affecte le commerce entre Etats membres, est applicable au système de concession du service extérieur des pompes funèbres si :
"- les activités du groupe d'entreprises concessionnaires et la situation dont les entreprises en question disposent sur une partie du territoire d'un Etat membre, ont des effets sur l'importation de marchandises en provenance d'autres Etats membres ou sur la possibilité pour les entreprises concurrentes établies dans ces Etats membres, d'assurer des prestations de service dans le premier Etat membre;
"- lorsque le groupe d'entreprises occupe une position dominante caractérisée par une situation de puissance économique, lui fournissant le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective sur le marché des pompes funèbres;
"- et lorsque ce groupe d'entreprises pratique des prix non équitables;
"qu'il appartient au juge national de vérifier si ces conditions sont remplies;
"que sur la première condition le groupe Pompes funèbres générales a commercialisé auprès des familles 184 000 cercueils pour un nombre de décès survenus en France pour l'année 1991 de 526 000, que la part de ce groupe a été de 34,89 % sur le marché national alors qu'elle a été de 8,13 % dans la CEE, que le nombre des contrats de concession exclusive est en constante diminution, qu'il existe en France cinq cents autres entreprises concessionnaires du service extérieur des pompes funèbres et que soixante communes représentant sept millions d'habitants, soit 12,7 % de la population française, gèrent ce service en régie, qu'en conséquence les activités du groupe Pompes funèbres générales ne sont pas de nature à affecter de façon sensible l'importation de marchandises en provenance d'autres Etats membres ou la possibilité pour les entreprises concurrentes établies dans ces Etats d'assurer des prestations de service en France;
"que sur la deuxième condition aucun élément du dossier ne permet de dire que le groupe Pompes funèbres générales dispose du pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective sur le marché des pompes funèbres si une entreprise étrangère envisageait de s'implanter en France, l'absence de sociétés pompes funèbres étrangères ayant des origines culturelles, qu'il est d'ailleurs justifié que le taux annuel d'obsèques organisées par ce groupe est en constante diminution;
"que sur la troisième condition, le prévenu ne fournit aucun élément de nature à établir que les tarifs des prestations pratiquées par la société PFSE seraient inéquitables alors qu'il résulte du rapport interministériel établi en juillet 1989 que les prix pratiqués par le groupe Pompes funèbres générales se situent à un niveau intermédiaire entre les prix proposés par des entreprises indépendantes qui varient fortement;
"qu'ainsi aucune des trois conditions, au surplus cumulatives n'étant remplie, le groupe Pompes funèbres générales et la société Pompes funèbres du Sud-Est ne peuvent se voir reprocher un abus de position dominante;
"alors que, d'une part, en l'état de l'arrêt rendu le 4 mai 1988 par la Cour de justice des Communautés européennes auquel la Cour s'est référée, les juges du fond ont méconnu la portée de cette décision qui s'imposait à eux en vertu du principe de l'autorité supérieure du traité de Rome sur la législation nationale, en se contenant de faire état du pourcentage minoritaire des obsèques organisées par le groupe des Pompes funèbres générales sur toute l'étendue du territoire national et dans la CEE, du prétendu caractère "culturel" de l'absence de toute société étrangère de pompes funèbres en France et du caractère moyen des tarifs pratiqués plusieurs années avant les faits par le groupe des Pompes funèbres générale, afin de décider que les conditions cumulativement prévues par cette décision pour qu'il existe une incompatibilité entre le contrat de concession exclusive et le traité de Rome n'étaient pas réunies alors que ces constatations ne font pas apparaître que les juges du fond aient, comme ils l'auraient dû, pris en considération le monopole dont jouissait le groupe auquel appartient la partie civile sur une partie du territoire national, l'absence de tout concurrent étranger en France ainsi que les tarifs pratiqués par ce groupe à la date des faits poursuivis;
"alors que, d'autre part, les juges du fond qui, dans la partie de leur décision ayant rejeté l'exception de question préjudicielle concernant la légalité du contrat de concession de la ville de Vaulx-en-Velin, ont constaté l'existence d'une décision du conseil de la concurrence rendue quelques mois seulement avant les faits poursuivis et qui a condamné la société partie civile pour ses pratiques constitutives d'un abus de position dominante dans une partie du territoire français, devaient s'expliquer sur le moyen péremptoire de défense du prévenu tiré de cette décision qu'il invoquait à l'appui de son exception fondée sur l'incompatibilité entre les dispositions du traité de Rome et le contrat de concession invoqué par la partie civile pour se prévaloir des dispositions de l'article 28-1 de la loi du 8 janvier 1993 sans se borner à faire valoir de manière radicalement inopérante, qu'il ne serait pas établi que cette même société ait usé de pratiques similaires dans les communes concernées par l'actuel litige, la charge de la preuve de la compatibilité d'un monopole qui s'exerce sur une partie du territoire national avec le droit communautaire incombant à la société concessionnaire du service des pompes funèbres qui se prévaut de sa concession et non au prévenu";
Attendu que le prévenu a excipé devant les juges du fond de l'incompatibilité du texte, base de la poursuite, avec le traité de la Communauté européenne et notamment les articles 86 et 90 prohibant tout abus de position dominante susceptible d'affecter le commerce entre les Etats membres;
Attendu que pour écarter cette exception, les juges se prononcent par les motifs repris au moyen;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu la portée de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 4 mai 1988, a justifié sa décision sans encourir le grief allégué;
Que le moyen, inopérant en sa seconde branche, ne saurait, dès lors, être admis;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 28 de la loi du 8 janvier 1993, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Robert X... et la société L'AO à verser des dommages-intérêts à la commune de Vaulx-en-Velin et à la société Pompes funèbres du Sud-est;
"aux motifs qu'aux termes de l'article 427 du Code de procédure pénale, les infractions en matière de délits peuvent être établies par tout mode de preuve hors les cas où la loi en dispose autrement; que la loi du 8 janvier 1993 ne contient aucune disposition spécifique sur la constatation des infractions visées en son article 28 et que les attestations, rapports d'agents municipaux et autres documents versés aux débats par les partie civiles apparaissent à la Cour suffisants pour constater la réalité des violations commises;
"alors que dans leurs conclusions d'appel Robert X... et la société L'AO soutenaient que les obsèques qu'il leur était reproché d'avoir organisées, en violation de l'article 28-1 de la loi du 8 janvier 1993, constituaient des cas de dérogation à l'interdiction prévue par ces textes en application de son quatrième alinéa; qu'en omettant de répondre à ce moyen péremptoire de défense, les juges du fond ont violé les dispositions de l'article 459 du Code de procédure pénale et exposé leur décision à la censure de la Cour de Cassation";
Attendu que par motifs adoptés des premiers juges, la cour d'appel a écarté l'application en la cause de la dérogation prévue par l'article 28 1, 4ème alinéa, de la loi du 8 janvier 1993;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Blin conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mlle Ferrari conseiller rapporteur, MM. Aldebert, Grapinet, Challe, Mistral conseillers de la chambre, Mme Verdun conseiller référendaire;
Avocat général : M. Dintilhac ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;