Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai 1995), que la Société générale a déposé un projet d'offre publique d'achat simplifiée de la totalité des actions de la Société générale alsacienne de banque (la société Sogenal), en précisant que, si elle détenait au moins 95 % du capital à l'issue de l'opération, elle déposerait, immédiatement, un projet d'offre publique de retrait suivi d'un retrait obligatoire ; que la Société générale a demandé à un cabinet d'experts, désigné avec l'accord du Conseil des bourses de valeurs (le CBV), de donner son appréciation sur l'évaluation des actions de Sogenal et que les experts ont estimé équitable un prix de 185 francs ; que le CBV a déclaré recevable le projet d'offre publique simplifiée d'achat en indiquant que, sous réserve de l'intervention d'éléments nouveaux, le prix fixé constituerait une référence acceptable pour l'examen de l'offre publique de retrait suivie du retrait obligatoire de ces titres ; qu'à l'issue de l'offre publique d'achat, la Société générale détenait 98,5 % des actions de la société Sogenal ; que, le 17 janvier 1995, le CBV a déclaré recevable et ouverte, du 24 janvier au 6 février 1995, l'offre publique de retrait obligatoire suivie d'un retrait obligatoire des actions de la société Sogenal par la Société générale ; que l'Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM) et neuf actionnaires de la société Sogenal ont saisi la cour d'appel de Paris d'un recours en annulation de cettedécision ;
Sur le premier moyen :
Attendu que l'association ADAM, MM. Y..., Vautier, Brûlé, la Société civile parisienne d'enseignement, MM. X..., de Haynin, Delobel et Simon reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leur demande, alors, selon le pourvoi, que le lien d'interdépendance qui existe entre l'offre publique de retrait créée par la loi du 2 août 1989 et le retrait obligatoire créé par la loi du 31 décembre 1993 ne saurait effacer la différence totale de nature juridique entre les deux opérations, la première étant fondamentalement une opération de bourse portant sur un titre négociable et impliquant par conséquent la conclusion volontaire d'un contrat de cession de titre sur une offre de prix qui doit être " acceptable " par les destinataires de cette offre, tandis que la seconde est une opération d'expropriation autorisée par la loi mais qui demeure un transfert forcé de propriété moyennant fixation d'une indemnité par les autorités compétentes ; que l'article 6 bis de la loi du 22 janvier 1988, dans sa rédaction issue des deux lois susvisées, n'impose au CBV aucun critère de fixation du prix des titres lors de l'offre publique de retrait qui demeure une opération contrôlée du marché libre, mais que ce texte législatif, auquel la norme réglementaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de déroger, exige, en pleine conformité avec le principe de juste indemnisation posé par l'article 545 du Code civil pour tout cas d'expropriation forcée, que le CBV procède spécialement à la fixation de l'indemnité de retrait obligatoire en tenant compte de plusieurs critères mais en tout cas selon des méthodes objectives pratiquées en cas de cession d'actif, et il prévoit en outre, parce que les critères à retenir ne sont pas les mêmes pour le prix de retrait offert et pour l'indemnité de retrait obligatoire, que si l'évaluation de la seconde est inférieure au premier, le porteur évincé devra recevoir une indemnité égale au prix de retrait ; qu'il résulte de ce texte, violé par l'arrêt attaqué qui n'en a fait qu'une lecture tronquée, que la décision du CBV déférée à la cour d'appel de Paris est entachée de nullité pour avoir procédé à une estimation unique de la valeur des titres Sogenal, tant pour l'offre publique de retrait que pour l'opération suivante de retrait obligatoire, et ce, par application des méthodes multicritères prévues par son règlement en matière de contrôle du prix de retrait offert, au lieu de procéder à l'évaluation distincte et à la fixation conforme à la loi de l'indemnité de retrait obligatoire, quitte ensuite à faire application du prix offert dans la seule hypothèse où il aurait été supérieur à l'indemnité évaluée conformément aux dispositions légales qui régissent cette évaluation ;
Mais attendu qu'ayant énoncé que les actionnaires minoritaires dont les titres font l'objet d'un retrait doivent recevoir une indemnité équitable, évaluée selon les modalités fixées par les textes en vigueur, et qu'aux termes de l'article 6 bis-4, de la loi du 22 janvier 1988, modifiée, applicable en la cause : " l'évaluation des titres, effectuée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d'actif, tient compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l'existence des filiales et des perspectives d'avenir. Cette indemnité est égale au montant le plus élevé entre le prix proposé lors de l'offre ou la demande de retrait et l'évaluation précitée ", l'arrêt retient qu'en l'absence d'élément nouveau entre l'offre de retrait et le retrait obligatoire, une même valeur, déterminée par application de la méthode multicritères, a pu être retenue, pour le prix offert dans la première procédure et l'indemnité fixée dans la seconde ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait une exacte application du texte susvisé ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que l'association ADAM, MM. Y..., Vautier, Brûlé, la Société civile parisienne d'enseignement, MM. X..., de Haynin, Delobel et Simon reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leur demande, alors, selon le pourvoi, que le retrait obligatoire ne présente pas pour l'actionnaire minoritaire à qui il est imposé le caractère d'une cession d'un titre négociable, mais constitue un processus d'exclusion du pacte social, qui se trouve rompu afin de réunir les titres d'une même société cible entre les mêmes mains, que l'indemnité compensatrice de cette rupture du pacte social ne peut donc se mesurer à l'aune de la valeur boursière des titres retirés, même avec application de paramètres multicritères, puisque l'article 6 bis de la loi du 22 janvier 1988 exige que l'indemnité soit évaluée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d'actif " afin d'assurer l'égalité des actionnaires " ; que cette disposition légale, que l'arrêt refuse d'appliquer pour favoriser l'application par le CBV d'autres méthodes d'évaluation aboutissant à retenir une estimation sensiblement inférieure à celle déterminée par l'expert comme correspondant à la valeur d'actif net par action, marque la volonté du législateur d'assurer aux porteurs exclus la plénitude de leurs droits résultant notamment de l'article 1832 du Code civil face à l'initiateur du retrait qui, devenu unique actionnaire, pourra, sans frais fiscaux, procéder à une fusion-absorption simplifiée (article 378-1 de la loi du 24 juillet 1966) et recevoir dans son patrimoine la totalité de l'actif net dont les actionnaires minoritaires se trouvent évincés en violation de l'article 6 bis susvisé de la loi du 22 janvier 1988 ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé que le texte visé au pourvoi impose, non pas que l'indemnité due aux minoritaires évincés par un retrait obligatoire soit égale à la valeur d'actif net de la société par action, mais que cette indemnité soit évaluée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d'actif et en tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l'existence de filiales et des perspectives d'activité, l'arrêt retient la pertinence des éléments pris en compte et de l'importance respective qui leur a été donnée au regard des particularités de l'espèce ; qu'en statuant, après s'être livrée à ce contrôle, la cour d'appel a fait une exacte application du texte susvisé ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que l'association ADAM, MM. Y..., Vautier, Brûlé, la Société civile parisienne d'enseignement, MM. X..., de Haynin, Delobel et Simon reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leur demande, alors, selon le pourvoi, que l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'autorité est supérieure à celle de la loi interne, pose la règle générale que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens, que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans des conditions conformes à la loi et aux principes généraux du droit international, enfin, ajoute que les Etats possèdent le droit de mettre en vigueur les lois nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts et des amendes ; que ces dernières dispositions, qui n'autorisent que des limitations du droit de propriété, sont inapplicables en l'espèce visée par le premier alinéa du texte puisque la loi autorise une expropriation pour cause d'utilité privée ; que si l'utilité publique prévue par la Convention ne coïncide pas nécessairement avec le concept de droit interne d'expropriation pour cause d'utilité publique, le CBV et la cour d'appel se devaient néanmoins de constater en l'espèce, au regard des critères dégagés par la jurisprudence de la Commission et de la Cour européenne des droits de l'homme, l'existence d'une cause d'utilité publique qui n'est nullement caractérisée dans le cas de retrait obligatoire prévu par l'article 6 bis de la loi du 22 janvier 1988, c'est-à-dire dans le cas où les actionnaires majoritaires détenant déjà plus de 95 % des actions et des droits de vote et disposant de pouvoirs de direction, de contrôle et de décision sur la société suffisamment complets, se voient accorder un droit discrétionnaire d'introduire une procédure d'expropriation à leur profit des actionnaires minoritaires ;
Mais attendu que l'arrêt relève que l'obligation faite aux actionnaires minoritaires de céder leurs actions au groupe majoritaire découle d'un article de la loi sur les marchésfinanciers réglant les rapports entre actionnaires de sociétés dont les titres sont cotés sur un marché réglementé et en déduit que le transfert de propriété, opéré moyennant un prix en rapport avec la valeur du bien, dans un cadre légitime d'ordre social et économique, répond à l'utilité publique quand bien même la collectivité dans son ensemble ne se servirait ou ne profiterait pas par elle-même du bien transféré ; qu'ayant constaté que le transfert de propriété avait lieu dans les conditions définies par la loi, pour satisfaire à des fins d'intérêt général qu'il lui appartient d'apprécier, et qui assurent l'indemnisation effective des actionnaires obligés de céder leurs titres, la cour d'appel a décidé, à bon droit, que ce retrait obligatoire n'était pas contraire aux obligations découlant de la Convention susvisée ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.