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16/12/1997 | FRANCE | N°95-21555

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 décembre 1997, 95-21555


Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Rouen, 5 octobre 1995), que le 4 février 1986, les époux Y... ont pris en location-gérance un fonds de commerce d'alimentation, de type supermarché, sis à Cany-Barville, jusqu'alors exploité sous couvert d'un contrat de franchisage par la société Suca, à l'enseigne " Banco " ; que cette location-gérance faisait suite à la décision de la société Suca d'entreprendre, également sous couvert d'un contrat de franchisage, l'exploitation d'un autre supermarché, de plus grande taille, à l'enseigne " Champion " ; que le jou

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Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Rouen, 5 octobre 1995), que le 4 février 1986, les époux Y... ont pris en location-gérance un fonds de commerce d'alimentation, de type supermarché, sis à Cany-Barville, jusqu'alors exploité sous couvert d'un contrat de franchisage par la société Suca, à l'enseigne " Banco " ; que cette location-gérance faisait suite à la décision de la société Suca d'entreprendre, également sous couvert d'un contrat de franchisage, l'exploitation d'un autre supermarché, de plus grande taille, à l'enseigne " Champion " ; que le jour même, les époux Y... ont conclu avec la société Promodes, animatrice des réseaux " Banco Champion ", un contrat de franchisage emportant notamment autorisation d'utiliser la première enseigne qui devait être remplacée en cours d'exécution du contrat par celle de " Shopi " ; que dans le courant de l'année 1988, la société Promodes a, par suite d'un traité d'apport partiel d'actif, transféré à sa filiale, la société Prodim, son secteur d'activités dans le cadre duquel le contrat avait été conclu ; qu'à la fin de l'année 1992, des difficultés se sont élevées entre les parties, liées à la constatation par les époux Y... d'une baisse de leur chiffre d'affaires et de la rentabilité de leur exploitation, qu'ils ont imputée à la politique commerciale du " groupe Promodes " ; que les époux Y... ont dénoncé cette situation à l'occasion de nombreuses lettres ; que ces relations devenues conflictuelles ont abouti à la cessation des relations commerciales ayant existé entre les parties ; que la société Prodim a alors assigné les époux Y... devant le tribunal de commerce, aux fins de condamnation au paiement d'une provision de 401 600 francs à valoir sur le prix des marchandises impayées, les époux Y... ayant demandé de leur côté reconventionnellement le remboursement des redevances excédant le montant des redevances dues au franchiseur et qu'ils s'étaient trouvés contraints de payer ;

Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que la société Prodim fait grief à l'arrêt infirmatif d'avoir annulé l'acceptation tacite par les époux Y... de pratiques suivies par le franchiseur, en raison de l'abus de dépendance économique dont ils avaient été victimes, et de l'avoir condamnée, en conséquence, à rembourser aux époux Y... une somme de 1 110 819 francs au titre des redevances de franchise " trop perçues ", alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'existence d'un état de dépendance économique s'apprécie en tenant compte non seulement de la notoriété de la marque du fournisseur, mais également de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents ; qu'il en résulte donc que l'absence de solution alternative ne constitue que l'un des critères exigés cumulativement pour caractériser la dépendance économique ; que, dès lors, en statuant de la sorte, sans examiner l'importance de la part de la société Promodes puis de la sienne dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires réalisé par le franchisé avec elles, la cour d'appel n'a pas caractérisé la prétendue dépendance économique de M. et Mme Y... à l'égard de la société Promodes puis à son égard, violant ainsi les articles 8 et 9 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, d'autre part, qu'il incombe au juge de se prononcer sur les documents régulièrement versés aux débats et soumis à son examen ; qu'en l'espèce, la société Prodim avait fait valoir dans ses conclusions d'appel que M. et Mme Y... s'étaient approvisionnés auprès d'elle dans les conditions suivantes : 66,48 % en 1989, 63,35 % en 1990, 66,48 % en 1991, 65,74 % en 1992 ; qu'au soutien de son argumentation, elle avait produit, ainsi qu'il résulte du bordereau de communication de pièces, l'attestation de Mme Isabelle X..., contrôleur de gestion, en date du 18 octobre 1994, établissant la réalité de ces chiffres ainsi qu'à titre d'exemple, une facture du 22 décembre 1992 de la société Disco, fournisseur concurrent, adressée à M. et Mme Y... ; que, dès lors, en s'abstenant de se prononcer sur ces documents régulièrement versés aux débats et soumis à son examen qui établissaient formellement que M. et Mme Y... avaient usé de la possibilité et de la liberté de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs, la cour d'appel a violé les articles 5 du nouveau Code de procédure civile et 1353 du Code civil ; alors, en outre, que le Tribunal avait relevé que M. et Mme Y... avaient eux-mêmes reconnu dans leur lettre du 8 janvier 1993 qu'ils avaient usé de la possibilité et de la liberté de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs ; qu'en ne s'expliquant pas sur les motifs dudit jugement que la société Prodim était réputée s'être appropriés en demandant la confirmation de celui-ci, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de surcroît, qu'elle avait fait valoir dans ses conclusions d'appel qu'à partir du 1er mars 1992, si les redevances des cotisations de franchise qu'elle avait adressées à M. et Mme Y... mentionnaient un taux de 2,13 %, elles étaient cependant accompagnées d'un avoir d'un montant de 2 236,70 francs correspondant précisément aux travaux administratifs supprimés ;

qu'il en résultait donc que le taux réellement pratiqué n'était pas de 2,13 % mais de 1,87 % ; qu'en énonçant cependant que la redevance de franchise contractuellement fixée à 0,40 % sur le chiffre d'affaires avait atteint en dernier lieu le taux global de 2,13 %, sans répondre à ces conclusions d'appel qui étaient de nature à influer sur la décision entreprise si elles avaient été prises en considération, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que M. et Mme Y... n'ayant sollicité le remboursement des redevances de franchise perçues au-delà de 0,40 % qu'au seul motif que le contrat prévoyait ce taux, l'arrêt attaqué, qui s'est fondé sur l'abus de dépendance économique, a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que pour caractériser l'état de dépendance économique, au sens de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, des époux Y... à l'égard des sociétés Promodes et Prodim, la cour d'appel n'avait pas, en l'espèce, à se prononcer sur l'importance du chiffre d'affaires existant entre eux et ces sociétés, puisque celles-ci, reconnaissant elles-mêmes dans leurs écritures que de 1989 à 1992 les commandes effectuées par les époux Y..., correspondant à l'acquisition de produits de grande distribution, représentaient les deux tiers du montant du chiffre d'affaires réalisé par les époux Y..., les autres produits étant acquis auprès de différents fournisseurs ; que la cour d'appel s'est uniquement fondée sur les pratiques " déployées " par les sociétés Promodes et Prodim après que les contrats de location-gérance et de franchisage aient été conclus le 4 février 1986 ; qu'elle a, en effet, relevé que ces sociétés ont demandé aux époux Y... d'assurer les services administratif et comptable de leur magasin et ont modifié " le dispositif initialement convenu, même si de façon surprenante, aucun écrit (n'était) le plus souvent, intervenu pour formaliser l'accord des parties " ; qu'en contrepartie de ces services, la société Prodim s'est fait octroyer une redevance de 2,13 % sur le montant du chiffre d'affaires au lieu de celle de 0,40 % initialement fixée par le contrat ; que la cour d'appel a alors constaté que, par la gestion informatisée mise au point par les sociétés Promodes et Prodim pour livrer les commandes destinées aux époux Y..., " ces derniers se sont rapidement trouvés enfermés dans un système les conduisant à passer les commandes à l'aide d'un dispositif télématique... sans connaître à l'avance les prix d'achat " ; que l'arrêt relève encore qu'à partir du début de l'année 1992 les sociétés litigieuses " se sont employées à obtenir des époux Y... non seulement qu'ils leur transfèrent l'essentiel de la tenue de la comptabilité mais encore qu'ils consentent à une délégation de pouvoirs et de signature bancaire ", un salarié de la société Promodes ayant attesté que les factures autres que celles de cette société n'étaient pas honorées de suite et que " dans le but de dissuader les franchisés de l'approvisionner ailleurs... Prodim, qui avait la délégation de signature sur la plupart des comptes des franchisés... laissait systématiquement une, deux ou trois factures impayées " ; que l'arrêt relève enfin que le contrat de franchisage ayant été conclu sans indication de durée, les époux Y... ne pouvaient se soustraire à la volonté du franchiseur puisque la dénonciation de ce contrat avait " pour inévitable conséquence d'entraîner la dénonciation du contrat de location-gérance ", cette circonstance les privant de trouver des solutions alternatives pour obtenir d'autres sources d'approvisionnement ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les termes du litige et n'avait pas à répondre à tous les arguments contenus dans les conclusions des parties qui étaient sans influence sur la solution à lui apporter, n'encourt pas les griefs du moyen ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société Prodim fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'aux termes de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, tout producteur, prestataire de service, grossiste ou importateur est tenu de communiquer à tout acheteur de produit ou demandeur de prestation de services pour une activité professionnelle, qui en fait la demande, son barème de prix et ses conditions de vente ; qu'en l'espèce, le Tribunal avait relevé, par des motifs qu'elle était réputée s'être appropriés en demandant la confirmation du jugement, que M. et Mme Y... ne rapportaient pas la preuve qu'ils lui avaient demandé, au cours de l'exécution normale du contrat, de leur communiquer son barème de prix ; qu'en ne s'expliquant pas sur ces motifs péremptoires, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que l'obligation souscrite par le franchisé d'utiliser les tarifs de base du franchiseur n'est pas illicite dès lors qu'il s'agit de tarifs maxima que le franchiseur peut définir afin d'assurer l'homogénéité du réseau de franchise ; qu'en l'espèce, le Tribunal avait relevé par des motifs qu'elle était réputée s'être appropriés en demandant la confirmation du jugement, qu'elle avait produit au débat un procès-verbal de constat établi par M. Z..., huissier de justice, constatant la possibilité pour les utilisateurs, comme M. et Mme Y..., du système télématique MSI d'enregistrer une modification du prix d'un produit ; qu'il était en effet clairement indiqué à la page 37 du manuel d'utilisation du MSI : " je compose le code du produit dont je voudrais voir le prix baisser " ; que, dès lors, en se bornant à énoncer que M. et Mme Y... établissaient le bien-fondé de leurs griefs portant notamment sur les limites du système informatique auquel ils se sont trouvés assujettis, qu'il s'agisse, nonobstant d'une option purement formelle qui était offerte, de la possibilité de modifier l'étiquetage, sans s'expliquer sur les motifs du jugement sus-rappelés, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, en outre, qu'il incombe au juge de se prononcer sur les documents régulièrement versés au débat et soumis à son examen ; que, dès lors, en se bornant à énoncer qu'elle préférait procéder par affirmations générales et renvoi à des décisions de justice dont il n'était nullement établi qu'elles soient transposables à l'espèce sans même analyser, ne fût-ce que succinctement, lesdites décisions, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que l'abus d'un rapport d'exclusivité ou d'une situation analogue commis par la partie qui fixe les prix lors de l'exécution du contrat relève des règles de la responsabilité contractuelle ; qu'ainsi, à supposer même qu'il y ait eu abus de sa part dans la fixation du prix, un tel abus n'affectait pas la validité du contrat et ne pouvait donner lieu qu'à résiliation ou indemnisation ; qu'en annulant, cependant, les pratiques litigieuses en raison d'un abus de dépendance économique sur la prétendue fixation unilatérale des prix par le franchiseur postérieurement audit contrat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1135 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que les époux Y... n'ont pas fait grief aux sociétés Promodes et Prodim d'avoir été victimes de pratiques discriminatoires de prix, l'arrêt ayant au demeurant exclu cette éventualité, mais d'avoir été obligés d'utiliser un système télématique ne révélant pas les éventuels changements de prix ayant pu avoir lieu et leur imposant, pour le cas où ils auraient voulu modifier " leur marge globale " de prix, de se livrer a posteriori à de " fastidieuses tâches " de mise au point ; que l'arrêt n'encourt pas, dès lors, les griefs des deux premières branches du moyen ;

Attendu, en second lieu, que le litige ne portant pas sur une indétermination du prix mais un abus de dépendance économique au sens de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les articles 1134 et 1135 du Code civil n'avaient pas à s'appliquer en l'espèce, mais l'article 9 de l'ordonnance précitée qui dispose qu'est " nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles 7 et 8 " ; que la cour d'appel, qui s'est référée à ce texte pour annuler le contrat de franchisage conclu entre les époux Y... et la société Prodim, sans pour autant se prononcer par affirmations générales mais en se référant aux documents versés aux débats, n'encourt pas les griefs des deux dernières branches du moyen ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 95-21555
Date de la décision : 16/12/1997
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Analyses

1° CONCURRENCE (ordonnance du 1er décembre 1986) - Pratique anticoncurrentielle - Exploitation abusive de la dépendance économique d'autrui - Conditions - Dépendance économique - Dépendance à l'égard du franchiseur - Critères.

1° Pour caractériser l'état de dépendance économique, au sens de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, une cour d'appel n'a pas à se prononcer sur l'importance du chiffre d'affaires existant entre les deux parties, dès lors que celles-ci reconnaissent que les commandes effectuées par l'une auprès de l'autre représentaient les deux tiers du montant de son chiffre d'affaires. Justifie sa décision d'annuler un contrat de franchise pour abus de dépendance économique, la cour d'appel qui retient qu'après la conclusion des contrats de location-gérance et de franchisage, le franchiseur avait obtenu du franchisé qu'il lui abandonne les services administratifs et comptables de son magasin, en contrepartie d'une redevance majorée, qu'il avait mis en place un système de commande informatisée ne permettant pas au franchisé de connaître à l'avance le prix d'achat des marchandises, qu'il avait aussi obtenu de celui-ci une délégation de pouvoirs et de signature bancaire, à la faveur de laquelle il laissait systématiquement impayées quelques factures auprès d'autres fournisseurs, afin de l'amener à ne contracter qu'avec lui, et que le franchisé ne pouvait se soustraire à sa volonté, la dénonciation du contrat de franchise devant avoir pour inévitable conséquence la dénonciation du contrat de location-gérance, cette circonstance le privant de trouver des solutions alternatives pour obtenir d'autres sources d'approvisionnement.

2° CONCURRENCE (ordonnance du 1er décembre 1986) - Pratique anticoncurrentielle - Sanctions des ententes et des abus de position - Abus de dépendance - Articles 1134 et 1135 du Code civil - Application (non).

2° Dès lors que le litige porte sur un abus de dépendance économique, au sens de l'article 8-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les articles 1134 et 1135 du Code civil n'ont pas à s'appliquer, mais l'article 9 de l'ordonnance précitée.


Références :

2° :
2° :
Code civil 1134, 1135
ordonnance 86-1243 du 01 décembre 1986 art. 8-2

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, 05 octobre 1995

A RAPPROCHER : (1°). Chambre commerciale, 1993-10-12, Bulletin 1993, IV, n° 337 (1), p. 243 (cassation partielle) ; Chambre commerciale, 1996-12-10, Bulletin 1996, IV, n° 309 (1), p. 262 (cassation) ; Chambre commerciale, 1996-12-10, Bulletin 1996, IV, n° 310 (3), p. 263 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 16 déc. 1997, pourvoi n°95-21555, Bull. civ. 1997 IV N° 337 p. 291
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1997 IV N° 337 p. 291

Composition du Tribunal
Président : Président : M. Bézard .
Avocat général : Avocat général : Mme Piniot.
Rapporteur ?: Rapporteur : M. Léonnet.
Avocat(s) : Avocats : M. Odent, la SCP Delaporte et Briard.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1997:95.21555
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