AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Guy X..., demeurant Pont du Travo, 20240 Ghisonaccia, en cassation d'un arrêt rendu le 2 février 1995 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile), au profit :
1°/ de Mme Anne-Marie Y..., demeurant l'Olivaie, bâtiment E, chemin des Rascas, 06700 Saint-Laurent-du-Var,
2°/ M. Z... de Moro Giafferi, demeurant ..., pris en sa qualité de syndic de la liquidation des biens de M. Jacques Y...,
3°/ de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) de la Corse, dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 25 novembre 1997, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Tricot, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Tricot, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. X..., de Me Choucroy, avocat de M. de Moro Giafferi, ès qualités, de la SCP Ryziger et Bouzidi, avocat de la Caisse régionale de Crédit agricole (CRCAM) de la Corse, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt déféré (Bastia, 2 février 1995), qu'après la mise en liquidation des biens de M. Y..., la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Corse (la banque), agissant en qualité de créancier hypothécaire, a fait procéder à la saisie et à la vente d'un immeuble donné à bail à M. X... ; qu'après l'adjudication de l'immeuble à ce dernier, le syndic de la liquidation des biens, M. de Moro Giafferi, a obtenu l'annulation de la procédure qui s'était déroulée en son absence ;
que la banque ayant régularisé la procédure de saisie à l'égard du syndic, l'immeuble a, de nouveau, été adjugé à M. X... ; que le syndic ayant demandé que M. X... soit condamné à lui payer les loyers non réglés jusqu'au jour de la seconde adjudication, le Tribunal a jugé que les loyers échus depuis la première adjudication jusqu'à son annulation n'étaient pas dus et que les loyers échus postérieurement devaient être compensés avec le montant des travaux effectués de bonne foi par le locataire ; que le syndic a fait appel ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... reproche à l'arrêt, qui a réformé le jugement, de l'avoir condamné à payer au syndic l'intégralité des loyers impayés, outre diverses sommes alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte des motifs de l'arrêt que c'est en se référant à des décisions antérieures qui avaient dans leurs motifs seulement jugé que la maison en cause appartenait à M. Y... que la cour d'appel a jugé que le syndic pouvait agir à l'encontre de M. X... en paiement des loyers ; qu'en conséquence, en conférant l'autorité de la chose jugée à de simples motifs de décisions antérieures, la cour d'appel a violé l'article 480 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, que dans les décisions antérieures auxquelles la cour d'appel reconnaît autorité de la chose jugée, il avait été expressément constaté, ce qui n'était d'ailleurs pas contesté par le syndic qui l'admettait lui-même dans ses écritures d'appel, que la parcelle de terre sur laquelle avait été édifiée la maison litigieuse appartenait à Mme Y... en propre ; qu'en conséquence, en application des articles 546 et 552 du Code civil, Mme Y..., épouse séparée de biens de M. Y..., était devenue seule propriétaire à la fois de la parcelle de terre et de la maison par la voie de l'accession immobilière ; qu'au demeurant, elle ne s'y était pas trompée puisque c'était elle qui avait donné la maison à bail à M. X... ; d'où il suit qu'en jugeant le syndic recevable à agir en paiement des loyers dus par M. X... pour la location d'un immeuble appartenant en propre à l'épouse séparée de biens de ce dernier, la cour d'appel a violé l'article 30 du nouveau Code de procédure civile et les articles 546 et 552 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que le Tribunal a énoncé, dans le dispositif du jugement entrepris, que M. Y... a donné à bail l'immeuble qui était sa propriété ;
Attendu, d'autre part, que ni le syndic, appelant, ni M. X..., intimé, n'ont demandé à la cour d'appel de réformer cette partie du dispositif du jugement ; que, dès lors, M. X... soutient devant la Cour de Cassation un moyen incompatible avec la position qu'il a adoptée devant la cour d'appel ;
D'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa seconde branche, manque en fait pour le surplus ;
Et sur le second moyen :
Attendu que M. X... reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation dirigée contre le syndic alors, selon le pourvoi, que, dès le 8 novembre 1983, le syndic était informé de la vente aux enchères et qu'il n'a pourtant rien fait pour la stopper ; que le Tribunal avait vu dans cette attitude du syndic, ajoutée d'ailleurs à celle de la banque, une faute justifiant que les loyers échus entre la première adjudication, le 6 octobre 1983, et son annulation, le 18 septembre 1987, soient supportés par moitié par ces deux fautifs ; que la faute du syndic avait été expressément invoquée par M. X... dans ses écritures d'appel dans lesquelles il demandait confirmation du jugement qui avait condamné le syndic à l'indemniser ; d'où il suit qu'en déboutant M. X... de sa demande, sans d'ailleurs s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que M. X... ayant demandé la confirmation du jugement qui avait décidé que les loyers échus d'octobre 1983 à septembre 1987 avaient été exposés par la faute du syndic et de la banque au motif qu'ils avaient provoqué ou laissé effectuer une vente au profit d'un adjudicataire de bonne foi dont le préjudice était égal au montant des loyers réclamés, la cour d'appel, après avoir énoncé que M. X... était tenu de payer les loyers échus entre les mains du syndic représentant du débiteur et de la masse de ses créanciers, a retenu, d'un côté, qu'indépendamment de toute faute, les travaux effectués par M. X... durant cette période ayant été nécessaires à la sauvegarde du bâtiment et à la conservation de sa valeur vénale, leur coût constituait une créance de M. X... compensée pour partie avec le prix d'adjudication, et d'un autre côté, que les autres travaux, dont certains incombaient au preneur à bail, n'avaient pas eu d'influence sur la valeur vénale du bien ou le prix d'adjudication, de sorte que M. X... ne démontrait pas que le coût qu'il avait ainsi supporté lui avait causé préjudice ; que par ces motifs, non critiqués par le pourvoi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le condamne à payer à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Corse la somme de 10 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.