AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BATUT, les observations de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN et de Me GUINARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DINTILHAC ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Jean-Claude, contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 18 avril 1995, qui l'a condamné, pour homicide involontaire dans le cadre du travail, à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende avec dispense d'inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire et qui a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, 111-1 à 111-4 du Code pénal ;
"en ce que l'arrêt attaqué a reconnu Jean-Claude Y... coupable d'homicide involontaire par imprudence et l'a condamné, en conséquence, à 4 mois de prison avec sursis et à une amende de 30 000 francs ;
"aux motifs que les articles R. 233-83 et R. 233-85 du Code du travail qui explicitent l'article R. 233-5 relatif à l'obligation de sécurité de certaines machines (et, notamment, les cabines de projection par pulvérisation) n'étaient pas applicables et que les articles 233-93 et 233-96 relatifs aux dispositifs protecteurs et aux commandes de certains appareils avaient été abrogés par le décret du 29 juillet 1992 ; que le fondement juridique de la poursuite contre Jean-Marie X... s'effondrait et que le même raisonnement devait être tenu pour Jean-Claude Y..., les poursuites fondées sur l'inobservation des règlements ne pouvant prospérer pour les mêmes motifs de droit ; que, cependant, l'ordonnance de renvoi a élargi, pour Jean-Claude Y..., les termes de l'article 319 du Code pénal, puisqu'elle a explicitement prévu l'imprudence, caractérisée par le fait d'avoir laissé se mettre en place un procédé de soufflerie artisanale, destiné à pallier les insuffisances du système initial pour l'amélioration duquel aucune disposition n'avait été prise nécessitant une intervention humaine sur une ligne automatisée ne répondant pas aux normes de sécurité, tout en imposant à la victime des objectifs de production peu réalistes, lui faisant ainsi prendre des risques inconsidérés ;
"alors qu'il résulte du principe de légalité que le juge correctionnel ne peut incriminer des faits que sur le fondement de la disposition qui leur est spécialement applicable ; qu'en substituant un texte général à des dispositions spéciales applicables aux faits mais qui ont été abrogées, l'arrêt attaqué a procédé par analogie et a violé les textes susvisés" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, 121-3, alinéa 2, et 221-6 du Code pénal ;
"en ce que l'arrêt attaqué a reconnu Jean-Claude Y... coupable d'homicide involontaire par imprudence et l'a condamné, en conséquence, à 4 mois de prison avec sursis et à une amende de 30 000 francs ;
"aux motifs que "l'accident mortel de Michel Z... est survenu alors qu'il utilisait une soufflette artisanale, montée sur la chaîne par la société Bendix pour ôter les résidus de poudre de peinture qui s'accumulaient sur le plan d'éclairage au niveau de la vision car les aspirateurs, initialement installés, ne s'étaient pas avérés suffisamment puissants. Il a passé le bras en-dessous pour mieux y voir entre le convoyeur et le portique. Un danger réel existait puisque lorsque la soufflerie s'arrêtait, le convoyeur avançait dans les secondes qui suivaient. Cette cabine était l'endroit privilégié des incidents survenus sur cette chaîne (entre 66 et 95 %). Dix-sept incidents en 4 heures, le jour de l'accident l'avaient marqué. Jean-Claude Y... connaissait ce procédé de soufflerie artisanale. Une note technique avait insisté, le 31 mai 1991, pour améliorer le fonctionnement de la chaîne ainsi que la qualité produite, en particulier pour le dépoudrage des plans d'éclairage supérieurs. La chaîne aurait dû produire 10 000 pièces par jour, or elle n'en produisait, en cette période d'essai, que 3 000. En effet, un arrêt supérieur à 2 ou 3 minutes peut occasionner une détérioration des pièces dans la partie préparation. Par ailleurs, Michel Z... mobilisait son énergie et son ardeur au travail, face aux remontrances dont il était l'objet, remarquées par ses collègues, pour résoudre les problèmes techniques de cette chaîne, comme l'a précisé son épouse, au point où son équilibre psychologique venait à être ébranlé, nécessitant la prise de tranquillisants, dont les enzymes ont été mises en évidence lors de l'autopsie. Sa faible alcoolisation (0,64 gramme par litre de sang) a majoré l'effet sédatif de ces enzymes, en ralentissant sa vigilance pouvant aller jusqu'à la somnolence, ont conclu les experts. Ces considérations personnelles doivent toujours être prévues par les responsables pour limiter leurs effets lors des interventions des agents sur les machines dangereuses. Or, en institutionnalisant ce procédé de soufflerie artisanale utilisé à tous moments, eu égard au nombre des incidents, Jean-Claude Y... a exposé ses ouvriers, et singulièrement Michel Z..., à des risques inconsidérés. Il s'agit d'une imprudence répréhensible et réprimée par la loi" ;
"alors, d'une part, qu'à défaut d'indiquer les éléments soumis à un débat contradictoire sur lesquels elle se fonde pour affirmer que "lorsque la soufflerie s'arrêtait, le convoyeur avançait dans les secondes qui suivaient" (p. 15, alinéa 6) et que "l'ensemble des incidents relevés par l'expert aurait pour origine des questions de soufflerie" (p. 15, alinéa 8 et p. 16, alinéa 2), la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité de la décision intervenue ;
"alors, d'autre part, que pour établir la culpabilité d'un prévenu au titre de l'homicide involontaire, il incombe au juge de caractériser une faute ou une imprudence ; qu'en se bornant, pour retenir une imprudence à l'encontre du demandeur, à évoquer les incidents survenus sur la cabine de vision sans préciser le lien entre lesdits incidents et le décès de Michel Z... et sans préciser en quoi l'utilisation d'une soufflerie artisanale serait répréhensible, l'arrêt attaqué manque de base légale au regard des textes susvisés ;
"alors, de troisième part, qu'en affirmant que le demandeur aurait dû prévoir l'absorption par Michel Z... de tranquillisants et d'alcool en raison de ses problèmes psychologiques, sans démontrer que Jean-Claude Y... était au courant desdits problèmes, la décision attaquée manque de base légale au regard des textes susvisés ;
"alors, enfin, que la faute exclusive de la victime exonère le prévenu de sa responsabilité ; qu'il résultait des circonstances de la cause que Michel Z..., parfaitement qualifié pour les tâches qui lui avaient été confiées avait absorbé des "tranquillisants dont les enzymes ont été mises en évidence lors de l'autopsie. Sa faible alcoolisation (0,64 gramme par litre de sang) a majoré l'effet sédatif de ces enzymes, en ralentissant sa vigilance pouvant aller jusqu'à la somnolence", ce qui l'a amené selon les termes du rapport d'expertise à se mettre dans une situation dangereuse et à ne pas respecter la procédure de consignation qu'il imposait lui-même à ses subordonnés (rapport, p. 19, alinéa 3), de sorte qu'en refusant de tirer de ces éléments les conséquences qui s'en évinçaient, la Cour d'Amiens a, une fois encore, privé sa décision de base légale au regard de l'article 319 (devenu 221-6 du Code pénal)" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Michel Z..., salarié de l'usine Bendix, a trouvé la mort alors qu'il travaillait, dans la cabine de vision, sur une ligne automatisée de peinture, acquise quelques mois auparavant et présentant de nombreuses difficultés de mise au point ; que Jean-Claude Y..., dirigeant de l'usine, a été poursuivi pour infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs et homicide involontaire ;
Attendu que, pour le déclarer coupable de ce second chef, après l'avoir relaxé du premier, l'arrêt attaqué énonce que l'accident mortel est survenu alors que Michel Z... utilisait, dans la cabine de vision, une "soufflette artisanale" destinée à ôter les résidus de peinture sur le plan d'éclairage et montée sur la chaîne par la société Bendix pour remédier aux insuffisances des aspirateurs initialement installés ; que ladite cabine était l'endroit privilégié des incidents survenant sur cette chaîne automatisée, dix-sept s'étant produit le jour même des faits ; que le prévenu connaissait le procédé de soufflerie artisanal et qu'un danger réel existait, le convoyeur avançant dans les secondes suivant l'arrêt de la soufflerie ; que les juges en déduisent qu'en institutionnalisant un procédé artisanal et eu égard aux nombreux incidents connus, Jean-Claude Y... a exposé Michel Z... à des risques inconsidérés ;
Qu'en cet état, les juges, appréciant souverainement les éléments de preuve contradictoirement débattus, ont caractérisé la faute d'imprudence du prévenu en relation de causalité avec l'accident ; que, par ailleurs, la faute éventuelle de la victime n'exonère pas le prévenu de sa faute personnelle ;
D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président, Mme Batut conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Simon, Chanet, Anzani conseillers de la chambre, M. Desportes, Mme Karsenty, MM. Soulard, Sassoust conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Dintilhac ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;