AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Ghyslaine X..., demeurant ..., Baccarat, 54120 Ménil-Flin, en cassation d'un arrêt rendu le 19 décembre 1995 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), au profit de M. Gérard Y..., pris en sa qualité de syndic à la liquidation des biens de la société Rustyl XVI, domicilié ..., défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 19 mai 1998, où étaient présents : M. Nicot, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mme Mouillard, conseiller référendaire rapporteur, MM. Vigneron, Leclercq, Dumas, Poullain, Métivet, Mmes Garnier, Tric, conseillers, MM. Huglo, Ponsot, conseillers référendaires, Mme Piniot, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Mouillard, conseiller référendaire, les observations de Me Choucroy, avocat de Mme X..., de Me Brouchot, avocat de M. Y..., ès qualités, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 1975, Mme X... a vendu à la société Rustyl XVI un fonds de commerce de bar, restaurant, disco-club, pour le prix de 225 000 francs et lui a loué les murs où il était exploité;
que la société Rustyl XVI ne s'acquittant pas des loyers, elle a obtenu, le 4 août 1976, la résiliation judiciaire du bail et l'expulsion de la société;
que, procédant à une saisie-exécution, elle a, suivant procès-verbal du 11 septembre 1976, fait vendre le matériel et les marchandises dépendant du fonds;
que, parallèlement, elle a poursuivi la résolution judiciaire de la vente du fonds de commerce pour défaut de paiement intégral du prix, ce qui lui fut accordé par un jugement du tribunal de commerce du 26 octobre 1976;
que, par un arrêt du 12 mars 1984, elle a été condamnée à restituer à M. Y..., syndic à la liquidation des biens de la société Rustyl XVI, la somme de 125 000 francs qui lui avait été versée en acompte sur le prix de vente;
que M. Y..., ès qualités, lui ayant délivré commandement de payer cette somme, elle a fait opposition, prétendant obtenir la compensation avec une indemnité de 225 000 francs qu'elle estime lui être due pour la perte du fonds de commerce qui lui a été restitué vidé de toute substance ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1184 du Code civil ;
Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X..., la cour d'appel retient que le fonds de commerce est devenu inexploitable en raison du démembrement dont il a fait l'objet par suite de la vente sur saisie-exécution diligentée sur sa requête et de la résiliation judiciaire du bail qu'elle a obtenue;
que les juges ajoutent qu'ainsi, bien avant l'ouverture de la procédure de liquidation des biens, Mme X... avait pu rentrer en possession des éléments corporels du fonds, qui ont été vendus à son profit, et des locaux, sans avoir à subir les contraintes de la procédure collective ;
que la perte de la clientèle est la conséquence de la vente du matériel et des marchandises ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que la vente sur saisie-exécution des marchandises et du matériel ne pouvait être reprochée à Mme X... dès lors qu'elle était la conséquence du défaut de paiement des loyers imputable à la société Rustyl XVI, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le même moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1184 du Code civil ;
Attendu que, pour statuer comme elle a fait, la cour d'appel relève aussi que, faute pour Mme X... de rapporter la preuve qu'elle ait eu l'intention de revendre le fonds ou de l'exploiter pour son propre compte, il n'est pas établi qu'elle ait subi un quelconque préjudice du fait de la résolution de la vente et de la perte de valeur du fonds restitué ;
Attendu qu'en se prononçant ainsi, alors que la disparition du fonds constitue un préjudice, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté comme non fondée la demande de dommages-intérêts de Mme X..., l'arrêt rendu le 19 décembre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne M. Y..., ès qualités, aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller doyen faisant fonctions de président en son audience publique du trente juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.