AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société New Co, société anonyme, venant aux droits de la société Servilease, société anonyme, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 24 mai 1995 par la cour d'appel de Grenoble (chambre commerciale), au profit de la société Etablissement L. Roudaut et compagnie, société anonyme, dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 3 juin 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, Mme Mouillard, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneron, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Mouillard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Vincent et Ohl, avocat de la société New Co, de la SCP Boré et Xavier, avocat de la société Etablissement Roudaut et compagnie, les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Grenoble, 24 mai 1995), que la société Abam France (société Abam), exploitant une entreprise de mobilier urbain publicitaire, a conclu, le 9 septembre 1989, avec la société Roudaut, exploitant d'un centre Leclerc, un contrat de "mise à disposition" d'abris pour chariots "moyennant le droit exclusif pour la société Abam d'apporter sur les abris-chariots toutes publicités" ; que ces abris-chariots étaient l'objet d'un contrat de location financière consenti à la société Abam par la société Servilease ; que le contrat entre les sociétés Abam et Roudaut comportait une annexe prévoyant qu'en cas de résiliation du contrat de location entre la société Abam et la société Servilease, la société Roudaut devrait les échéances des loyers jusqu'à leur terme ou procéder à un rachat anticipé des équipements ; que, le 7 décembre 1990, la société Servilease a informé la société Roudaut que la société Abam ne parvenant plus à respecter ses engagements, elle résiliait le contrat la liant à cette société et demandait à la société Roudaut d'"assurer la reprise du contrat" soit en poursuivant le contrat de location, soit en rachetant les équipements ; que la société Servilease a assigné la société Roudaut en paiement de diverses sommes ;
Attendu que la société New Co, venant aux droits de la société Servilease, fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le juge ne peut fonder sa décision par le seul visa des documents de la cause et la seule référence aux débats n'ayant fait l'objet d'aucune analyse ; qu'en l'espèce, pour estimer que le contrat de crédit-bail conclu entre elle et la société Abam n'avait pas été communiqué à la société Roudaut à l'occasion de la signature par celle-ci de l'annexe au contrat de mise à disposition, la cour d'appel s'est bornée à faire référence "aux pièces produites et (aux) explications fournies lors des débats" ; qu'en ne désignant pas exactement les documents soumis au débat contradictoire et la nature des explications fournies lors des débats, sur lesquels elle s'est appuyée, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en appel, ces prétentions ainsi que les moyens sur lesquels elles sont fondées, sont formulés dans les conclusions ; qu'en l'espèce, il résulte des conclusions d'appel prises par la société Roudaut qu'elle n'a jamais soutenu ne pas avoir eu connaissance du contrat signé entre elle et la société Abam, se contentant de faire valoir qu'elle ne pouvait, en raison du principe de l'effet relatif des conventions, exciper du contrat conclu entre les sociétés Roudaut et Abam ; que la cour d'appel a cependant considéré, en contradiction avec les écritures des parties, qu'il aurait résulté des débats que la société Roudaut n'aurait pas eu connaissance du contrat signé entre elle et la société Abam ; qu'en se déterminant par une référence à des débats oraux à l'encontre des écritures des parties, la cour d'appel a violé les articles 4 et 954 du nouveau Code de procédure civile ; alors, au surplus, que pour s'exonérer de son obligation, nul n'est recevable à alléguer l'ignorance de son propre fait ou de quelque chose dont il lui aurait été facile de s'informer ; qu'en l'espèce, l'annexe du contrat de mise à disposition conclu entre les sociétés Abam et Roudaut, qui exploite un important Centre Leclerc, disposait expressément qu'"en cas de résiliation contractuelle du contrat de location entre la société Abam et la société Servilease, la société Roudaut Centre Leclerc s'engage soit à poursuivre le règlement des échéances de loyers jusqu'à leur terme (...), soit à procéder au rachat anticipé" ; que la société Roudaut, professionnelle avisée et qui ne s'est pas heurtée à une réticence dolosive, s'est abstenue de se renseigner sur le contenu de cet accord ; qu'en considérant que, le contrat de location financière n'ayant pas été communiqué à la société Roudaut, celle-ci était dans l'ignorance de la clause résolutoire en cas de non-paiement d'un terme de loyer et qu'il ne lui était donc pas opposable, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si, eu égard à ses capacités professionnelles, cette société n'avait pas commis une erreur inexcusable en ne réclamant pas communication du contrat litigieux, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ; et alors, enfin et subsidiairement, que, même à supposer que la clause litigieuse contenue à l'annexe au contrat de mise à disposition, soit applicable "en cas de résiliation par accord des parties" du contrat de crédit-bail passé entre elle et la société Abam, il incombait à
la cour d'appel de rechercher si, en l'espèce, ces deux sociétés avaient ou non contractuellement résilié la convention de crédit bail ; qu'en ne procédant pas à cette recherche, la cour d'appel n'a pas donné se base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant souverainement constaté qu'il n'était pas établi que la société Roudaut avait eu connaissance de la clause selon laquelle le contrat liant la société Abam à la société Servilease serait résolu de plein droit en cas de non-paiement d'un seul terme du loyer et ayant relevé que la mise en oeuvre de cette clause, de façon unilatérale, par la société Servilease et dans des conditions contraires à l'article 1186 du Code civil prévoyant la résiliation judiciaire, avait pour effet de placer ipso facto la société Roudaut en position de débiteur de la société Servilease, alors que le contrat de "mise à disposition de chariots-abris" qu'elle avait conclu avec la société Abam était un contrat à titre gratuit, la cour d'appel a retenu, justifiant par là-même sa décision sans être tenue de procéder à la recherche inopérante visée par le moyen et sans méconnaître l'objet du litige, que cette clause était inopposable à la société Roudaut et qu'en conséquence, la société Servilease ne pouvait obliger cette dernière à poursuivre le règlement des loyers jusqu'au terme du contrat de location ou à racheter le matériel loué à la société Abam ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société New Co aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes présentées par les sociétés New Co et Etablissement L. Roudaut et compagnie ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.