CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par :
- X... Manuel,
- Y... José,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, 3e chambre, en date du 12 juin 1997, qui, pour contrebande de marchandises fortement taxées, les a condamnés à des peines d'emprisonnement et à diverses amendes et pénalités douanières.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de leur connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur les faits :
Attendu qu'à la suite de la découverte, en France, d'un stock de cigarettes d'une valeur de 41 32 800 francs, dans un camion venant d'Andorre à destination de l'Espagne, conduit par José Y..., et ultérieurement d'un autre chargement d'une valeur de 2 082 500 francs convoyé par Patrick Z..., Eric A... et José X..., et de la mise en cause de Manuel X..., entrepreneur de transports, José Y... et Manuel X..., d'une part, et Patrick Z..., Eric A..., José et Manuel X..., d'autre part, ont été mis en examen puis renvoyés, sur le fondement des articles 414 et 418 du Code des douanes, chacun pour les faits et les quantités le concernant exclusivement, du chef d'importation en contrebande de marchandises fortement taxées ;
Que, statuant sur les appels de José Y..., de Manuel X..., du ministère public contre ces derniers, et de l'administration des Douanes contre l'ensemble des 4 prévenus, la cour d'appel, après avoir reconnu les prévenus coupables des faits visés à la prévention, les a condamnés : Manuel X..., à 3 ans d'emprisonnement dont 18 mois assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant 2 ans, avec l'obligation de ne pas se rendre en Andorre, José Y..., à 18 mois d'emprisonnement dont 12 mois assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant 2 ans, avec l'obligation de ne pas se rendre en Andorre, et, tous 2, solidairement avec les autres prévenus, au paiement d'une amende douanière de 6 215 300 francs, leur solidarité étant respectivement cantonnée à 2 082 500 francs pour José X..., Patrick Z... et Eric A..., et à 4 132 800 francs pour José Y..., à la confiscation de la marchandise, des moyens de transport, le produit de la vente de ces derniers étant affecté au paiement de ladite amende ;
En cet état,
Sur le premier moyen de cassation, présenté par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié au nom de Manuel X..., et pris de la violation des articles 59 du Code des douanes et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel a refusé de faire bénéficier Manuel X... de l'excuse absolutoire prévue par l'article 59 du Code des douanes ;
" aux motifs que les accusations réitérées de corruption portées par Manuel X... à l'encontre d'un fonctionnaire de police de l'air et des frontières, de deux douaniers du Pas-de-la-Case ne pouvaient être confirmées par les investigations longues, précises et minutieuses diligentées par le magistrat instructeur et que Manuel X... ne peut bénéficier des dispositions de l'article 59 du Code des douanes, dans la mesure où les actes de corruption par lui dénoncés n'ont pas été établis et dès lors que les fonctionnaires visés ont bénéficié d'une ordonnance de non-lieu ;
" alors que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'aux termes de l'article 59 du Code des douanes, " il est interdit aux agents des douanes, sous les peines prévues par le Code pénal, contre les fonctionnaires publics qui se laissent corrompre, de recevoir directement ou indirectement tel que gratification, récompense ou présent. Le coupable qui dénonce la corruption est absous des peines, amendes et confiscation " et que la cour d'appel qui, pour entrer en voie de condamnation du chef d'infraction douanière à l'encontre de José Y... constatait expressément " que ce dernier a reconnu avoir pris un dîner avec son employeur et 1 ou 2 douaniers au cours duquel, selon Manuel X..., avait été évoquées des modalités de franchissement de la frontière et de la rémunération des fonctionnaires ", ne pouvait, sans se contredire ou mieux s'expliquer, refuser à Manuel X... le bénéfice du texte susvisé " ;
Attendu que, pour écarter les conclusions de Manuel X... qui sollicitait le bénéfice des dispositions de l'article 59, alinéa 2, du Code des douanes pour avoir dénoncé la corruption des douaniers ayant permis la sortie de la marchandise de la principauté d'Andorre, la cour d'appel énonce que, en l'absence de corruption établie, les personnes mises en cause ayant bénéficié d'une ordonnance de non-lieu, l'intéressé ne peut être absous des peines, amendes et confiscation qu'il encourt ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs et dès lors que le demandeur ne saurait se faire un grief des motifs par lesquels les juges ont retenu la culpabilité de son coprévenu et que seul ce dernier est admis à critiquer, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, présenté par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié au nom de Manuel X..., et pris de la violation des articles 132-19 et 132-24 du Code pénal, 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Manuel X... à la peine de 3 ans d'emprisonnement dont 18 mois assortis du sursis avec mise à l'épreuve pendant 2 ans ;
" aux motifs que les peines d'emprisonnement ferme prononcées contre Manuel X... et José Carlos Y... sont justifiées par la gravité des faits par eux commis et destinées à les dissuader de renouveler de tels délits ;
" alors qu'en matière correctionnelle, selon les dispositions combinées des articles 132-19 et 132-24 du Code pénal, le choix d'une peine d'emprisonnement sans sursis doit être spécialement motivé en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ; que ce principe fait partie intégrante du droit au procès équitable au sens de l'article 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'en ne visant que la gravité des faits sans se référer à la personnalité du demandeur pour prononcer une peine d'emprisonnement ferme à son encontre, l'arrêt attaqué a méconnu le principe susvisé " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que, pour condamner les prévenus à une peine en partie non assortie du sursis, les juges ont, conformément aux prescriptions de l'article 132-19 du Code pénal, justifié spécialement le choix de cette peine ;
Que le moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
Mais sur le troisième moyen de cassation, présenté par la société Piwnica et Molinié au nom de Manuel X..., et pris de la violation du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, des articles 111-3, 113-1, 113-2, 131-10 et 132-45 du Code pénal, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2 du quatrième protocole annexé à ladite Convention, 1er et 3 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale :
" en ce que la cour d'appel a prononcé à l'encontre de Manuel X... l'interdiction de se rendre en Andorre ;
" alors qu'en vertu du principe de territorialité de la loi pénale, les juges ne peuvent prononcer à l'encontre d'un prévenu une mesure d'interdiction de paraître visant un Etat étranger de sorte qu'en infligeant au prévenu la peine d'interdiction de se rendre en Andorre, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Et sur le même moyen de cassation, relevé d'office en faveur de José Y... : Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 132-45 du Code pénal ;
Attendu que, si le juge répressif peut, en application de ce texte, assortir une peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, de l'obligation de s'abstenir de paraître dans tout lieu qu'il désigne, il ne saurait, sans méconnaître le principe de territorialité de la loi pénale, viser des lieux situés hors du territoire de la République ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Manuel X... et José Y... se sont vu infliger une peine d'emprisonnement en partie assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant 2 ans, comportant l'obligation de ne pas se rendre à Andorre ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la Principauté d'Andorre se trouve hors du territoire de la République, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés ;
Et sur le premier moyen de cassation, présenté par la société civile professionnelle Waquet, Farge et Hazan au nom de José Y..., pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 343, 369 et 414 du Code des douanes, 388 et 593 du Code de procédure pénale, 112-2 du Code pénal, ensemble les principes de légalité, de personnalité, de proportionnalité et de nécessité des peines :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré José Y... coupable d'avoir, dans le rayon des douanes, le 17 octobre 1991, détenu et importé en contrebande des marchandises prohibées et fortement taxées (775 cartons de cigarettes d'une valeur de 4 132 800 francs) et l'a condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement dont 12 mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant 2 ans et, in solidum avec Manuel X..., Patrick Z..., José X..., Eric A..., à payer à la direction régionale des Douanes la somme de 6 215 300 francs à titre d'amende, en limitant la solidarité de José Y... à 4 132 800 francs ;
" alors, d'une part, qu'il résulte de l'article 414 du Code des douanes que, tout fait de contrebande sur des marchandises prohibées ou fortement taxées donne lieu à une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l'objet de fraude ; que José Y... a été poursuivi et reconnu coupable d'avoir, le 17 octobre 1991, détenu et importé en contrebande des marchandises prohibées et fortement taxées d'une valeur de 4 132 800 francs ; qu'en le condamnant néanmoins in solidum à une amende de 6 215 300 francs égale à la valeur des marchandises, objet de l'infraction qui lui était reprochée, augmentée de celle des marchandises qui ont fait l'objet d'une autre infraction entièrement distincte et pour laquelle il n'était pas poursuivi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" alors, d'autre part, que, aux termes de l'article 369 du Code des douanes, le tribunal peut réduire le montant des amendes fiscales jusqu'au tiers de leur montant minimal ; que, en décidant que l'amende devait être fixée au montant de la valeur des marchandises litigieuses, la cour d'appel a méconnu le pouvoir qu'elle tenait tant de la loi que du principe supérieur de proportionnalité des peines, de moduler la sanction en fonction des circonstances propres au prévenu, et qu'elle avait le devoir d'exercer en vertu des mêmes principes, et violé ainsi les textes susvisés " ;
Et sur le même moyen de cassation, relevé d'office en faveur de Manuel X... :
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 406 du Code des douanes ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que les condamnations aux amendes et pénalités douanières contre plusieurs personnes ne sont solidaires que pour autant que ces personnes sont poursuivies pour un même fait de fraude ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Manuel X... et José Y... ont été poursuivis pour l'importation en contrebande d'une cargaison de cigarettes d'une valeur de 4 132 800 francs, tandis que Manuel X..., José X..., Patrick Z... et Eric A... ont été poursuivis pour une importation distincte portant sur 2 082 500 francs de marchandises ;
Que, statuant sur les pénalités douanières, la cour d'appel a condamné l'ensemble des prévenus au paiement in solidum d'une amende douanière unique de 6 215 300 francs, égale à la valeur totale des 2 cargaisons, en limitant la solidarité de José Y... à 4 132 800 francs, celle de Patrick Z... à 2 082 500 francs, celle d'Eric A... à 2 082 500 francs et celle de José X... à 2 082 500 francs ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que chaque infraction doit donner lieu à l'application d'une amende fiscale distincte dont seuls leurs auteurs respectifs ont à répondre vis-à-vis de l'Administration, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est derechef encourue ;
Et attendu qu'il est d'une bonne administration de la justice d'étendre la cassation, sur ce point, commun aux 4 prévenus en cause d'appel, à ceux, parmi ces derniers, qui ne se sont pas pourvus ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen proposé par José Y...,
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, en date du 12 juin 1997,
1° En ce qu'il a interdit à José Y... et Manuel X... de paraître en Andorre, toutes autres dispositions relatives à la déclaration de culpabilité et aux peines d'emprisonnement étant expressément maintenues,
2° En toutes ses dispositions relatives aux pénalités douanières ;
DIT qu'en application de l'article 612-1 du Code de procédure pénale, la cassation aura effet à l'égard de Patrick Z..., Eric A... et José X...,
Et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier.