Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 février 1996), que, suivant un connaissement émis à Paris le 28 mars 1990 et indiquant comme lieu de livraison " Jeddah CY ", un conteneur renfermant des cartons d'articles de parfumerie a été chargé au Havre à bord du navire " London Express " en vue de son transport par voie maritime jusqu'au port de Djedda (Arabie saoudite) par la société Nippon Yusen Kaisha Line (le transporteur maritime) ; que, débarqué le 10 avril 1990, le conteneur a été placé sur le parc à conteneurs où la société Hussein Gazzaz and Sons, destinataire, a constaté, le 15 suivant, des cartons manquants ; que huit compagnies d'assurances, dont le Groupe des assurances nationales était l'apériteur (les assureurs), ont indemnisé la société destinataire et, ainsi subrogées dans ses droits, ont assigné le transporteur maritime en réparation de leur préjudice ;
Attendu que le transporteur maritime reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la convention de Bruxelles ne s'applique qu'à la responsabilité encourue par le transporteur maritime pendant le temps écoulé depuis le chargement des marchandises à bord du navire jusqu'à leur déchargement ; qu'en l'absence de toute stipulation en ce sens, la cour d'appel ne pouvait donc identifier le champ d'application de la convention de Bruxelles à l'étendue de la mission du transporteur, sans méconnaître le principe susvisé, d'où une violation des article 1er, e) , 3-1, 3-6 et 4 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement et de l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que le juge doit inviter les parties à présenter leurs observations lorsqu'il modifie le fondement juridique que celles-ci avaient assigné à leurs prétentions, sauf à méconnaître le principe de la contradiction ; que pour accueillir la demande formée par les assureurs, fondée sur l'application de la convention de Bruxelles, la cour d'appel ne pouvait donc, sans inviter les parties à présenter leurs observations, se déterminer sur la seule base de stipulations contractuelles que les parties n'avaient pas spécialement invoquées, en déduisant de la mention " Jeddah CY " que le transporteur demeurait responsable des dommages causés aux marchandises jusqu'à livraison au destinataire, assignant ainsi comme fondement à la demande non plus la convention de Bruxelles, mais le principe de la force obligatoire des conventions, d'où une violation des articles 12 et 16 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que l'expression " Container Yard " désigne le terre-plein portuaire où sont entreposés les conteneurs sous palan après leur déchargement à proximité du quai, d'où il résulte que sa mention sur un connaissement au titre du lieu de délivrance marque la fin de la mission du transporteur sous palan ; qu'en estimant que la mention " Container Yard " avait pour signification " Terminal portuaire " et avait donc pour effet d'indiquer que le transport maritime prenait fin lorsque le destinataire ou son agent venait prendre livraison au terminal portuaire où se trouvait le conteneur, la cour d'appel a dénaturé les termes du connaissement, d'où une violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que dans les termes " Jeddah CY ", portés sur le connaissement, l'abréviation CY, mise pour " Container Yard ", indique seulement que le lieu de livraison des conteneurs est situé sur la zone portuaire réservée à leur entreposage après débarquement des navires ; qu'elle ne signifie pas que le dépôt des conteneurs en ce lieu constitue, par lui-même, une délivrance appropriée, laquelle ne se réalise que si le transporteur maritime a avisé, au préalable, le destinataire, ou son agent, de ce dépôt en l'invitant à prendre immédiatement livraison du conteneur ; que, dès lors, le moyen n'est pas fondé en ce qu'il prétend que la mention " CY " marquerait, dans tous les cas, la fin de la mission du transporteur par le dépôt du conteneur sur la zone réservée ;
Attendu, en second lieu, qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le transport maritime litigieux a été effectué au départ d'un port français et que le contrat de transport correspondant a été conclu avant le 1er avril 1991, date de l'entrée en vigueur de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ; qu'en conséquence, par application des dispositions de l'article 16 de la loi n° 66-420 du 18 juin 1966 sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes, alors en vigueur, la responsabilité du transporteur maritime en raison des pertes ou dommages survenus avant livraison mais postérieurement au déchargement, soit hors du champ d'application de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement, devait s'apprécier sur le fondement de la loi française précitée ; qu'aux termes de l'article 27 de celle-ci, le transporteur est responsable des pertes subies par la marchandise jusqu'à la livraison, à moins qu'il ne prouve que cette perte provient d'un des cas exceptés de responsabilité énoncés par ce texte, ce qu'il n'alléguait pas en l'espèce, dès lors qu'il se bornait à soutenir que la loi saoudienne, qui n'avait pas vocation à régir le litige, l'exonérait de toute responsabilité ; que par ce motif de pur droit substitué à celui critiqué, l'arrêt se trouve légalement justifié ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.