AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société anonyme Bruntell, de droit panaméen, dont le siège est Calle Manuel Maria Icaza n 12, Panama,
en cassation d'un jugement rendu le 4 février 1997 par le tribunal de grande instance de Nice, au profit du Directeur général des Impôts, dont le siège est ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, ...,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 23 mars 1999, où étaient présents : M. Nicot, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Poullain, conseiller rapporteur, MM. Leclercq, Léonnet, Métivet, conseillers, Mme Mouillard, M. Boinot, Mme Champalaune, M. de Monteynard, Mme Gueguen, conseillers référendaires, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Poullain, conseiller, les observations de la SCP Ryziger et Bouzidi, avocat de la société Bruntell, de Me Thouin-Palat, avocat du Directeur général des Impôt, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches et sur le second moyen réunis :
Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Nice, 4 février 1997 n° 96/4925), que la société de droit panaméen Bruntell, propriétaire d'un immeuble en France au 1er janvier des années 1985 et 1986 et mise en demeure de produire les déclarations relatives à la taxe de 3 % prévue par l'article 990 D du Code général des impôts, les a déposées, avec les sommes correspondantes, au cours de l'année 1988 ; qu'après l'émission d'un avis de mise en recouvrement du 16 mars 1990, elle a également versé les intérêts de retard y afférents ; qu'elle a présenté une réclamation au directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes pour être remboursée de ces sommes et que celle-ci étant restée sans réponse durant plus de deux mois, elle l'a assigné pour être déchargée des droits et intérêts de retard ;
Attendu que le société Bruntell reproche à l'arrêt d'avoir déclaré ses demandes irrecevables sur le fondement de l'article L. 196-1 du Livre des procédures fiscales, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales, dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de redressement de la part de l'administration des Impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'Administration pour présenter sa propre réclamation ; que le droit de reprise est la faculté offerte à l'Administration de réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette ou le recouvrement des impôts, taxes ou redevances dus en vertu des lois fiscales, ainsi que les erreurs susceptibles d'entacher leur détermination ; qu'il permet de réparer, dans les délais légaux de prescription, non seulement les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d'imposition mais également les omissions totales ou partielles dues en particulier au contribuable ; que la mise en demeure adressée à un contribuable aux fins d'obtenir la réparation d'une omission constatée par l'Administration constitue bien l'exercice par elle de son droit de reprise ; qu'en lui refusant, après qu'elle avait été mise en demeure, par deux lettres recommandées avec avis de réception, adressées tant à son représentant fiscal en France qu'à elle-même à Lugano en Suisse de régulariser sa situation, le bénéfice du délai spécial de l'article R. 196-3 la décision attaquée a violé les article L. 168 et R. 196-3 du Livre des procédures fiscales, alors, d'autre part, qu'il en est d'autant plus ainsi que la déclaration qui doit être effectuée en vue de l'établissement de l'assiette de la taxe de 3 % instituée par l'article 990 D du Code général des impôts doit, en vertu de l'article 990 F du Code général des impôts, être accompagné du paiement de l'impôt ; que la mise en demeure d'avoir à adresser la déclaration dite 2746 constitue dès lors non pas une mise en demeure de fournir des renseignements adressée sous forme coercitive mais une mise en demeure d'avoir à réparer une omission de déclaration et de paiement, et donc une procédure constitutive de l'exercice du droit de reprise ; que la décision attaquée, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 990 D et 990 F du Code général des impôts, ensemble les articles L. 163 et R. 196-3 du Livre des procédures fiscales ; alors, en outre, qu'il résulte des propres constatations de la décision attaquée que l'Administration avait procédé par voie d'avis de mise en recouvrement pour obtenir le paiement d'intérêts de retard pour dépôt tardif des déclarations ; que l'avis de mise en recouvrement étant rendu exécutoire par l'autorité administrative, constitue une mesure de coercition tendant à obtenir le paiement de la somme réclamée ; que l'envoi d'un tel avis constitue nécessairement une procédure de reprise au sens de l'article R. 196-3 ;
que le point de savoir si des intérêts de retard faisant l'objet d'un avis de mise en recouvrement étaient dus ou non était obligatoirement lié au problème principal de savoir si l'impôt dont le paiement était réclamé par une mise en demeure était dû ou non ; que l'émission de l'avis de recouvrement a, dès lors, eu pour effet de lui ouvrir le délai de l'article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales, sans que le fait que l'Administration ait ultérieurement prononcé le dégrèvement des intérêts ait pu la priver du délai de l'article R. 196-3 qui avait été ouvert à son bénéfice ; et alors, enfin, que le délai institué par l'article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales a pour objet de mettre le contribuable et l'Administration sur un pied d'égalité dès lors que le contribuable est, du fait de l'Administration, obligé de se défendre ; que la référence par l'Administration, fut-elle faite par erreur, à une notification de redressement, met le contribuable dans l'obligation de se défendre ; que l'erreur de l'Administration lui est opposable, et que le contribuable, auquel a été notifiée l'existence d'une procédure de redressement, bénéficie, dès lors du délai institué par l'article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales ; que c'est donc par violation de l'article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales que la décision attaquée, qui constate que l'avis de mise en recouvrement relatif aux intérêts de retard vise une notification de redressement, ne fait produire aucun effet à ce visa sous prétexte qu'il s'agirait d'une erreur ;
Mais attendu, en premier lieu, que la mise en demeure de produire une déclaration servant à l'établissement d'un impôt ne constitue pas, en elle-même, l'exercice du droit de reprise mais n'en est qu'un préalable éventuel ;
Attendu, en second lieu, que les intérêts de retard ne constituent pas des pénalités mais une dette née du seul fait du retard pris pour le dépôt des déclarations et versements correspondants et que leur montant, tout comme le principal de l'imposition lorsqu'il n'est pas contesté, résulte des déclarations mêmes du contribuable ; que l'émission d'un avis de mise en recouvrement pour leur perception, qui dans ces conditions ne peut être assimilé à l'exercice d'un droit de reprise opéré sans respecter les formes d'un redressement ou d'une taxation d'office, est une simple mesure de recouvrement de l'impôt et n'ouvre pas au contribuable le délai spécial de contestation de l'impôt de l'article R. 196-3 de Livre des procédures fiscales ;
Attendu, en dernier lieu, que pour ouvrir le délai spécial de réclamation de l'article R. 196-3 du Livre des procédures fiscales, un redressement doit être régulier, de sorte qu'il interrompe le délai de prescription du droit de reprise ; qu'il doit donc, comme l'a exactement relevé le Tribunal, exister effectivement ;
D'où il suit que le pourvoi, mal fondé dans les quatre branches de ses deux moyens, ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bruntell aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller doyen faisant fonctions de président en son audience publique du dix-huit mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.