AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Yvonne Y..., demeurant anciennement ... et actuellement Le Bourg, Orval, 50660 Quettreville-sur-Sienne, agissant en qualité de légataire universelle de M. Jean D..., décédé,
en cassation d'un arrêt rendu le 21 novembre 1996 par la cour d'appel d'Amiens (4e chambre commerciale), au profit :
1 / de M. Philippe Z...,
2 / de Mme Rebecca A..., épouse Z...,
domiciliés ensemble ...,
3 / de M. B..., domicilié ..., administrateur judiciaire, pris en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire des époux Z..., défendeurs à la cassation ;
M. Philippe Z... et Mme Rebecca A..., épouse Z..., défendeurs au pourvoi principal, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 13 avril 1999, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Rémery, conseiller référendaire rapporteur, M. Grimaldi, conseiller, M. Jobard, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Rémery, conseiller référendaire, les observations de la SCP Defrenois et Levis, avocat de Mme Y..., ès qualités, de la SCP Coutard et Mayer, avocat des époux Z..., de Me Le Prado, avocat de M. B..., ès qualités, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par les époux Z... que sur le pourvoi principal formé par Mme Y... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 21 novembre 1996), que, par acte des 6 et 7 juin 1994, les époux C... de Cougny, aux droits de qui est venue Mme Y..., ont donné en location-gérance aux époux Z... un fonds de commerce de maison de convalescence pour une durée expirant le 15 juillet 1995 et non renouvelable par tacite reconduction ; que, par jugement du 3 août 1995, les époux Z... ont été mis en liquidation judiciaire immédiate, avec une date provisoire de cessation des paiements fixée au 15 mars 1995, le Tribunal constatant en outre la ruine du fonds de commerce ;
Sur les deux moyens, pris en leurs diverses branches, réunis, du pourvoi principal :
Attendu que Mme Y... reproche à l'arrêt d'avoir infirmé le jugement en ce qu'il avait constaté la ruine du fonds alors, selon le pourvoi, d'une part, que les parties doivent se faire connaître mutuellement, en temps utile, les moyens qu'elles invoquent afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ; que le juge ne peut retenir, dans sa décision, des moyens et explications invoqués par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a infirmé le jugement qui avait constaté la ruine du fonds de commerce, en relevant que le mauvais état des lieux et leur inadaptation ne sauraient être reprochés aux époux Z..., la vétusté relevée étant nécessairement antérieure à l'exploitation par ces derniers ;
qu'en retenant ce moyen, qui n'était pas exposé dans les écritures des époux Z..., ce qui n'avait donc pas mis Mme Y... à même d'en débattre contradictoirement, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que le juge ne peut retenir dans sa décision des documents de nature à avoir une incidence dans l'appréciation des intérêts en présence sans que les parties, qui ne les ont pas invoqués, aient été à même d'en débattre contradictoirement ; que, pour infirmer le jugement qui avait constaté la ruine du fonds de commerce, l'arrêt s'est fondé sur un compte-rendu de l'inspection de l'établissement effectué par la DDASS de l'Oise le 12 mai 1992, ainsi que sur le procès-verbal de constat établi les 14 et 15 septembre 1995 par M. X..., huissier de justice à Crépy-en-Valois ; qu'en statuant ainsi, bien qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure, que les documents sur lesquels elle a fondé sa décision aient été l'objet d'un débat contradictoire des parties, la cour d'appel a derechef violé les dispositions de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors, en outre, qu'ainsi qu'il avait été démontré par Mme Y..., sans être contredite par les époux Z..., et comme cela ressortait des pièces soumises à l'examen des juges du fond, et notamment des coupures de journaux et du procès-verbal d'expulsion établi par M. X..., la maison de convalescence avait été occupée par les époux Z... après le terme du contrat de location-gérance, ces derniers s'opposant à la restitution du fonds ; qu'en se prononçant comme elle a fait, la cour d'appel a donc méconnu les termes du litige et, partant, violé les dispositions de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, au surplus, qu'il ressortait du procès-verbal de constat établi les 14 et 15 septembre 1995 par M. X..., huissier de justice, que les éléments corporels constituant le fonds de commerce de maison de convalescence n'avaient pas été entretenus et étaient dans un état de délabrement avancé ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y avait été pourtant expressément invitée, si le délabrement des éléments corporels composant le fonds n'en avait pas interdit son exploitation, entraînant par là-même la ruine du fonds, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; et alors, enfin, qu'il ressort simplement du compte-rendu de l'inspection de la maison de convalescence effectuée par la DDASS de l'Oise le 12 mai 1992, qu'à cette date, seul le bâtiment dans lequel logeait le personnel présentait un caractère vétuste ; qu'en revanche, dans son procès-verbal de constat en date des 14 et 15 septembre 1995, l'huissier de justice, M. X..., a dressé un état des lieux, duquel il résulte que les éléments corporels composant le fonds de commerce n'étaient pas entretenus et étaient dans un état de délabrement avancé ; qu'ainsi, en statuant comme elle a fait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que, contrairement aux allégations de la seconde branche du moyen, il résulte des bordereaux des pièces communiquées en cause d'appel que Mme Y... avait connaissance du rapport de l'inspection de l'établissement effectué le 12 mai 1992 par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales de l'Oise ainsi que du constat d'huissier dressé les 14 et 15 septembre 1995 à sa propre requête et qu'elle avait elle-même versé aux débats ;
Attendu, en second lieu, que les juges du second degré, qui pouvaient, dans ces documents, prendre en considération même les éléments non spécialement invoqués par les parties, n'ont pas relevé d'office le moyen tiré de ce que le mauvais état des lieux et leur inadaptation n'étaient pas imputables aux époux Z..., qui soutenaient qu'on ne pouvait "estimer que le fonds de commerce aurait été ruiné, et encore moins qu'il l'aurait été par la faute des locataires gérants" ;
Attendu, enfin, que, sans méconnaître l'objet du litige, dès lors que le motif critiqué par la troisième branche est repris des propres conclusions des époux Z..., la cour d'appel, en retenant que ceux-ci n'étaient pas à l'origine du mauvais état des lieux et de leur inadaptation, a légalement justifié sa décision, et n'était pas tenue d'effectuer la recherche dont font état les deux dernières branches, les conclusions de Mme Y... se bornant à invoquer l'état de délabrement de l'immeuble, et non pas des éléments corporels du fonds de commerce, ainsi que la ruine du fonds, sans plus de précisions ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que, de leur côté, les époux Z... reprochent à l'arrêt d'avoir fixé la date de cessation de leurs paiements au 15 mars 1995 alors, selon le pourvoi, que la cessation des paiements, caractérisée par l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible, ne peut se déduire de la seule existence de créances impayées, même si elles ont donné lieu à l'inscription de sûretés réelles par les créanciers ; qu'en se satisfaisant de telles considérations, en l'état des contestations des époux Z..., dont elle rappelait la teneur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu que l'arrêt retient, outre l'existence de l'inscription de privilège prise le 15 mars 1995 pour garantir le recouvrement de cotisations sociales impayées, l'absence de règlement de diverses taxes fiscales dues pour l'année 1994 et de la redevance de location-gérance dès le mois d'avril 1995 ; que, dès lors que les époux Z..., pour justifier que la cessation de leurs paiements était plus tardive, ne faisaient état que d'accords passés avec les organismes de sécurité sociale, ainsi que le rappelle le moyen, l'arrêt n'encourt pas le grief de celui-ci ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois tant principal qu'incident ;
Condamne Mme Y..., ès qualités, et M. et Mme Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne Mme Y..., ès qualités, à payer aux époux Z... la somme de 15 000 francs et rejette les demandes de Mme Y... et de M. B..., ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.