AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Nikon France, société anonyme, dont le siège social est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 19 septembre 1996 par la cour d'appel de Versailles (13ème chambre), au profit :
1 / de la société Aviac, société anonyme, dont le siège social est ...,
2 / de la SCP Laureau Jeannerot, dont le siège social est ..., ès qualités de mandataires judiciaires de la société et commissaires à l'exécution du plan de redressement de la société anonyme Aviac,
défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt :
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 18 janvier 2000, où étaient présents : M. Dumas, président, Mme Vigneron, conseiller rapporteur, M. Grimaldi, conseiller, M. Jobard, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Vigneron, conseiller, les observations de Me Choucroy, avocat de la société Nikon France, de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la société Aviac et de la SCP Laureau Jeannerot, ès qualités, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Versailles, 19 septembre 1996), que la société Nikon France (société Nikon) a vendu un matériel à la société Aviac ; que la société Nikon, prétendant qu'elle n'aurait pas contracté avec la société Aviac si elle avait connu son insolvabilité, a assigné cette société et la SCP Laureau Jeannerot, prise en qualité d'administrateur du redressement judiciaire de cette société, en annulation de la vente pour erreur et réticence dolosive ; qu'au cours de l'instance, la société Nikon a demandé de condamner la société Aviac et son administrateur judiciaire à leur payer des dommages-intérêts d'un montant égal au prix du matériel au motif que ce matériel, qui a été vendu, ne peut plus être restitué ;
Sur les deux premiers moyens, pris en leurs diverses branches et réunis :
Attendu que la société Nikon reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en annulation de la vente pour erreur et dol, alors, selon le pourvoi, de première part, que la motivation première des juges du fond ne tient aucun compte de ce que, comme le rappelaient les écritures d'appel de la société Nikon, les relations entre les parties avant la vente, concrétisée par l'envoi par la société Aviac le 6 mai 1993 d'un bon de commande établi le 22 avril 1993, s'inscrivaient dans l'usage de la société Nikon de mettre à la disposition de tout client pendant une brève période d'essai le matériel désiré aux fins de modification éventuelles sans transfert de propriété, ce qui avait été le cas d'espèce où le matériel en question avait été mis en dépôt seulement depuis le 26 février 1993, la société Aviac sollicitant alors des modifications au cours du mois de mars 1993 et les parties arrêtant les conditions de la vente éventuelle au cours du mois d'avril, laquelle est intervenue dans les deux mois de la mise en dépôt ; que dans ces conditions il n'était pas possible que la société Nikon ait pu prendre éventuellement connaissance, avant la conclusion de la vente, des risques d'insolvabilité de la société Aviac ;
que l'arrêt qui ne s'est pas expliqué sur ces données décisives est donc entaché d'un défaut de base légale au regard des articles 1110 et 1134 du Code civil, alors, de deuxième part, que, l'affirmation péremptoire de l'arrêt que la société Aviac n'avait pas masqué un état de cessation des pmaiements inexistant au jour de la vente est démentie par un ensemble de documents concordants, visés aux conclusions, sur lesquels l'arrêt a fait l'impasse, à savoir : la requête de la société Aviac en date du 4 mai 1993, en vue de la nomination d'un conciliateur pour la mise en oeuvre de mesures de redressement par la voie amiable, le fait par cette société de ne pas honorer des échéances importantes dès les 5 mai 1993, la situation financière catastrophique de ladite société imposant le dépôt de bilan dès le 14 mai 1993 toutes données révélées à la société Nikon sur sa propre requête du 6 décembre 1993, aux fins de compléter une révélation incomplète faite par le président directeur général de la société Aviac a la société Nikon par lettre circulaire du 7 juillet 1993 ; que l'arrêt a donc dénaturé par omission ces documents et doit être censuré pour violation des articles 1110 et 1134 du Code civil ;
alors, de troisième part, qu'il y a dol par réticence dans le seul fait pour un cocontractant de s'abstenir volontairement de révéler à son cocontractant au moment de la conclusion du contrat un fait déterminant du consentement de celui-ci, telle une situation financière castastrophique de nature à caractériser un état de cessation des paiements préexistant ou même imminent ; qu'en l'espèce, il importait donc peu que les dirigeants de la société Aviac n'aient pas menti ou voulu tromper la société Nikon lors de l'expédition du bon de commande eu égard à de soi-disant rapports de confiance prolongés et à un prétendu défaut d'intérêt à le faire, puisqu'il y avait eu de leur part au moins dol par rétience dans le fait de ne pas révéler à la société Nikon la situation catastrophique de leur entreprise qui était alors pratiquement en état de cessation des paiements, bien qu'ils ne ne puissent ignorer que la société Nikon n'aurait pas contracté si elle avait connu cette situation ; que l'arrêt a donc violé l'article 1116 du Code civil ; alors, de quatrième part, que, l'allégation par l'arrêt que la société Aviac n'avait pas masqué un état de cessation des paiements qui n'existait pas au jour du contrat de vente est démentie par un ensemble de documents régulièrement versés aux débats établissant au contraire qu'un tel état de cessation des paiement préexistait et n'avait pas été révélé à la société Nikon qu'a postériori à savoir la requête la société Aviac du 4 mai 1993, le non-règlement des échéances le 5 mai 1993, le dépôt de bilan obligé du 14 mai 1993, la lettre de la société Aviac du 7 juillet 1993, la requête de la société Nikon du 6 décembre 1993 sur le dossier Aviac ; que l'arrêt a donc violé les articles 1116 et 1134 du Code civil ; et alors, enfin, que les juges du fond ont présumé des rapports privilgiés de confiance entre les parties, en s'abstenant de tenir compte des données de fait rappelées aux conclusions, qu'il ne s'agissait que de rapports ordinaires dans le cadre d'un contrat usuel de prêt-dépôt à l'essai sur deux mois, la vente liigieuse ayant du reste été conclue deux mois seulement après le dépôt ; qu'il était donc impossible que la société Nikon ait pu connaître avant la vente les risques d'insolvabilité de la société Aviac ; que l'arrêt est ainsi entaché d'un défaut de base légale au regard des articles 1116 et 1134 du Code civil ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel après avoir relevé que la société Aviac avait commandé le matériel le 6 mai 1993 qu'elle avait déposé une déclaration de cessation de paiements le 14 mai 1993, et qu'elle avait été mise en redressement judiciaire par jugement du 18 mai 1993 a pu retenir qu'elle n'était pas en état de cessation des paiements au jour de la vente pour en déduire que le consentement de la société Nikon n'a pas été vicié par erreur et dol ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Nikon reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement de dommages-intérêts dirigée contre la société Aviac et la SCP Laureau Jeannerot, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt a ainsi négligé les fautes commises par la société Aviac et ses mandataires pour l'avoir prévenue de sa mise en état de règlement judiciaire plusieurs mois après le jugement l'instaurant et après clôture des listes des créances où elle avait été omise, pour avoir déclaré au commissaire-priseur que le matériel était seulement prêté, pour n'avoir pas enregistré la facture en comptabilité avant d'inclure finalement l'équipement dans un plan de cession pendant la procédure en cours pour n'en informer la société Nikon que pendant le délibéré de première instance qu'il y a là des fautes graves au sujet desquelles la société Nikon a été dans l'impossibilité de parer leurs conséquences ; que ces fautes suffisent à engager la responsabilité de la société Aviac et de ses mandataires sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, que l'arrêt a dénaturé par omission les pièces versées aux débats, que constituaient la demande de la société Nikon en relevé de forclusion, formulée dès le 22 septembre 1993 et réitérée 17 janvier 1995 avec admission par le juge-commissaire, et sa production de créance depuis le 2 septembre 1993 et réitérée le 17 janvier 1995 ; que l'arrêt a donc violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que la demande de la société Nikon en paiement de dommages-intérêts qui repose sur l'impossibilité pour la société Aviac et son administrateur judiciaire de restituer le matériel, est mal fondée dès lors que la cour d'appel a rejeté sa demande en annulation de la vente de ce matériel ; que par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués l'arrêt se trouve légalement justifié ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Nikon France aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Aviac et de la SCP Laureau Jeannerot, ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf février deux mille.