CASSATION sur les pourvois formés par :
- le procureur général près la cour d'appel de Grenoble, Y... Mostefa, personnellement et en sa qualité d'administrateur légal des biens de son fils mineur Nabil, X... Yamina, épouse Y..., Y... Karima, Y... Samia, Y... Soraya, X... Ali, X... Fatima, Z... Tounsi, Z... Ounassa, parties civiles, contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 30 septembre 1998, qui a relaxé Jackie A... des chefs d'homicide et blessures involontaires et débouté les parties civiles de leurs demandes.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 221-6 et R. 625-2 du Code pénal, R. 11-1 et R. 28 du Code de la route, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé le prévenu ;
" au motif qu'aucune faute de conduite, ni infraction au Code de la route, ne pouvait être reprochée au prévenu, en dehors du passage au feu rouge sans utiliser l'avertisseur prévu à l'article R. 28 (et R. 95) du Code de la route, avertisseur dont l'utilisation ne dépendait pas du prévenu, mais de son passager, chef de bord ;
" alors que, si l'article R. 28 prescrit l'obligation, à tout conducteur, de céder le passage aux véhicules prioritaires qu'il mentionne, ce texte n'exonère pas les conducteurs desdits véhicules prioritaires du respect de l'ensemble des autres règles du Code de la route, et, en particulier, de l'obligation de prudence édictée par l'article R. 11-1 (alinéa 2) dudit code " ;
Sur le moyen unique de cassation proposé pour les parties civiles, pris de la violation des articles 221-6 du Code pénal, R. 11-1 et R. 28 du Code de la route, 470-1 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé Jackie A..., mis la ville de Grenoble hors de cause et déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des consorts Y... ;
" aux motifs qu'aucune faute de conduite ou infraction au Code de la route n'est et ne peut être reprochée au conducteur, en dehors du passage au feu rouge sans user de l'avertisseur réglementaire prévu par l'article R. 28 du Code de la route ; que, concernant cet acte, la Cour ne peut que constater, en droit, que Jackie A..., conducteur du véhicule de secours, ne peut être tenu pénalement responsable du défaut d'usage du deux-tons suffisamment à l'avance, dans la mesure où la manoeuvre de l'avertisseur lui échappait matériellement ; qu'en effet, il résulte des termes de l'article 121-3 du Code pénal que nul ne peut être déclaré coupable d'un délit d'imprudence s'il a accompli les diligences normales qui lui incombaient, compte tenu de la nature de ses fonctions et des pouvoirs et des moyens dont il disposait ; que, d'ailleurs, la priorité exceptionnelle de l'article R. 28 du Code de la route est accordée au véhicule et non au conducteur de celui-ci, au contraire de ce qui est disposé dans le reste de ce code, et que cette distinction a un sens, du fait que ce n'est normalement pas le conducteur qui est responsable de la mise en oeuvre de l'avertisseur ; que, dans la mesure où le véhicule se rendait effectivement sur les lieux d'un secours, conformément aux ordres reçus, la responsabilité pénale de Jackie A... ne peut donc être retenue ; qu'il résulte de ce qui précède que les constitutions de parties civiles doivent être déclarées irrecevables par voie de conséquence de la relaxe sur l'action publique ;
" alors, d'une part, que tout conducteur est tenu d'une obligation de prudence et doit rester constamment maître de sa vitesse ; que, s'il prescrit à tout conducteur de céder le passage aux véhicules prioritaires qu'il énumère, l'article R. 28 du Code de la route n'exonère pas les conducteurs desdits véhicules prioritaires du respect de l'ensemble des autres règles du Code de la route, notamment de l'obligation de prudence édictée par l'article 11-1, alinéa 2, dudit code ; qu'ainsi, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" et aux motifs que les constitutions de parties civiles doivent être déclarées irrecevables par voie de conséquence de la relaxe sur l'action publique ; que, ni devant le tribunal ni devant la Cour il n'a été demandé à titre subsidiaire l'indemnisation des parties civiles par application de l'article 470-1 du Code de procédure pénale ; qu'il appartient donc aux victimes de demander l'indemnisation de leurs préjudices à la juridiction compétente et conformément au droit civil ;
" alors, d'autre part, qu'il résulte expressément des conclusions régulièrement déposées par les consorts Y... qu'ils avaient, à titre subsidiaire, sollicité, en cas de relaxe du prévenu, la condamnation de Jackie A... et de la ville de Grenoble à réparer le préjudice subi par eux ; qu'ainsi, en dénaturant les conclusions dont elle se trouvait saisie, la cour d'appel a violé l'article 470-1 du Code de procédure pénale " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 221-6, R. 625-2 du Code pénal, R. 11-1 et R. 28 du Code de la route ;
Attendu que le droit de priorité prévu par ce dernier texte ne dispense pas les conducteurs qui en bénéficient de l'observation des règles générales de prudence s'imposant aux usagers de la route ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'un véhicule des sapeurs-pompiers de Grenoble, se rendant sur les lieux d'un incendie, a franchi un feu rouge et heurté une voiture automobile dont un des occupants a été mortellement blessé et un autre moins gravement atteint ;
Que le conducteur, Jackie A..., et le chef de bord ont affirmé que le gyrophare et l'avertisseur spécial à deux tons de leur véhicule fonctionnaient lorsqu'il s'est engagé dans le carrefour ; que les occupants de la voiture des victimes ont déclaré ne pas avoir entendu cet avertisseur, qui, d'après un piéton, n'a fonctionné qu'une seule fois ;
Que les deux véhicules concernés circulaient à vitesse modérée, mais que, compte tenu de la configuration des lieux, les conducteurs ne se sont vus qu'au dernier moment ;
Que le tribunal correctionnel a déclaré Jackie A... coupable d'homicide et blessures involontaires et a condamné son employeur, la ville de Grenoble, à des réparations civiles ;
Attendu que, pour infirmer le jugement, renvoyer le prévenu des fins de la poursuite et rejeter les demandes des parties civiles, l'arrêt retient que " Jackie A... ne peut être tenu pénalement responsable du défaut d'usage du deux-tons suffisamment à l'avance ", dès lors que la manoeuvre de cet avertisseur, commandée par le chef de bord au moyen d'une pédale, lui échappait ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la priorité spéciale conférée par l'article R. 28 du Code de la route aux véhicules de lutte contre l'incendie ne s'applique qu'à la condition que leur approche ait été annoncée par l'emploi des signaux lumineux et sonores prévus aux articles R. 92. 5°, et R. 95 du même Code, dans des conditions de temps et de lieu permettant aux autres usagers de leur céder le passage, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 30 septembre 1998, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.