AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre octobre deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de Me BOULLEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Y... Gérard,
contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 9 décembre 1999, qui l'a condamné, pour blessures involontaires, et infractions à la réglementation relative à l'hygiène et la sécurité du travail, à 10 000 francs d'amende avec sursis ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-3, R. 625-2 et R. 265-4 du Code pénal, des articles L. 231-1, L. 231-2, L. 263-2, L. 263-2-1 et L. 263-6 du Code du travail, 172 du décret du 8 janvier 1965, 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que Gérard Y... a été déclaré coupable de blessures involontaires n'ayant pas entraîné une incapacité de travail supérieure à 3 mois et d'infractions aux règles de sécurité du travail, en conséquence de l'accident du travail dont avait été victime son préposé, Yvan X..., qui déchargeait des tuiles, sur le chantier d'un de ses clients ;
"aux motifs que l'article 1er du décret du 8 janvier 1965, qui fixe le champ d'application du texte, vise tous les établissements industriels et commerciaux, au sens de l'article L. 231-1 du Code du travail, "et notamment ceux du bâtiment et des travaux publics, dont le personnel effectue, même à titre occasionnel, des travaux de terrassement, de construction (...), toutes opérations annexes et tous autres travaux prévus par le présent décret ; qu'ainsi, il n'est pas possible de suivre Gérard Y... lorsqu'il prétend que l'activité de négociant qui est celle de son entreprise, n'est pas visée par ce texte ; l'objet de cette réglementation est, à l'évidence, d'assurer la sécurité des chantiers, en visant tous les intervenants potentiels sur les sites concernés dont fait partie le personnel d'une société de négoce, sur les chantiers, pendant le temps de la livraison des matériaux, lorsque cette livraison est réalisée par son personnel ;
que la livraison de matériaux utilisés pour la construction fait nécessairement partie des opérations annexes à la construction ;
"et que cela est d'autant plus vrai en l'espèce, qu'il est constant, en matière de transport, que l'exécution matérielle et la responsabilité du déchargement de la marchandise incombe au transporteur, lorsque son véhicule comporte des équipements spéciaux mis en oeuvre pendant les opérations de déchargement : tel est incontestablement le cas pour un camion grue, cet équipement étant nécessairement actionné par le chauffeur auquel l'entreprise a confié le véhicule et qui intervient seul pour le compte de celle-ci sur le chantier et qu'ainsi que l'a relevé le tribunal, il appartient par ailleurs à l'employeur de s'assurer de la sécurité de son personnel dans toutes les circonstances que celui-ci peut connaître, dans le cadre de son travail ; que le responsable d'une entreprise de négoce est donc responsable de la sécurité de ses salariés pendant les livraisons que ceux-ci effectuent ;
"et que le respect de cette obligation implique soit qu'il reconnaisse - par lui-même ou par la personne à laquelle il aura délégué ces obligations en matière de sécurité du travail - les conditions d'interventions de ces livreurs sur les chantiers des clients, et en déduise les consignes de sécurité adaptées, soit au moins qu'il assure la formation du personnel concerné, afin que celui-ci soit à même, dans le cas de chantiers simples comme celui de la construction d'une maison individuelle, d'assurer lui-même sa propre sécurité ;
"et que Gérard Y... ne justifie pas qu'il ait informé Yvan X... des règles de sécurité en matière d'utilisation à proximité des lignes électriques d'un matériel susceptible, lors de son fonctionnement, d'atteindre celles-ci, ni de son obligation de se soumettre lors de son intervention pour livraison sur un chantier quelconque, aux consignes de sécurité en vigueur sur place, notamment lorsqu'elles sont clairement énoncées à son intention par le responsable de ce chantier qui, par hypothèse, n'est pas son employeur, comme cela a été le cas en l'espèce ;
"et que, dans ces conditions, l'indiscipline du chauffeur qui avait la possibilité, au vu des photos figurant au dossier, de décharger sans difficulté dans une zone dépourvue de risque, ne saurait être retenue comme une faute exonérant Gérard Y... de sa responsabilité : elle manifeste simplement le défaut d'appréciation du danger par un salarié qui n'a pas été sensibilisé correctement aux risques de sa profession ;
"1 - alors qu'en l'état de l'accident du travail dont a été victime le livreur qui déchargeait des tuiles, sur un chantier dirigé par un client qui en avait passé commande auprès de son employeur, la violation consciente et délibérée par ce préposé, des consignes de sécurité donnée par le responsable du chantier, exonère son employeur de toute responsabilité, sans qu'il puisse lui être reproché de ne pas avoir suffisamment son salarié des risques courus sur les chantiers de ses clients qu'il n'était pas en son pouvoir de connaître ; qu'il est constant que Yvan X... a déchargé des tuiles sur le chantier d'un client de son employeur, Gérard Y..., sous une ligne à haute tension, au mépris de l'ordre formel qu'il lui avait été donné par le responsable du chantier, de s'en écarter, conformément à l'article 172 du décret du 8 janvier 1965 ; qu'en énonçant que l'indiscipline de Yvan X... n'était pas exclusive de la faute de son employeur qui ne serait pas suffisamment préoccupé de la sécurité de ses salariés qui n'aurait pas reçu de formation préalable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, d'où il résultait que l'électrocution de Yvan X... était exclusivement imputable à l'indiscipline de ce préposé qui n'avait pas respecté les consignes de sécurité données par le chef du chantier, sans qu'il puisse être reproché à Gérard Y... de ne pas avoir informé son salarié du danger présenté par la proximité d'une ligne à haute tension contre lequel il avait été mis en garde par le responsable du chantier qui lui avait enjoint de s'en éloigner ;
"2 - alors que les tribunaux correctionnels ne peuvent statuer légalement que sur les faits relevés par la citation qui les a saisis ; qu'il est constant qu'Yvan Y... a été cité devant le tribunal correctionnel de Toulouse, du chef de blessures involontaires, et d'infractions aux règles de sécurité énoncées par les articles L. 231-1, L. 231-2 et L. 263-2 du Code du travail et par l'article 172 du décret du 8 janvier 1965 ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel a outrepassé les limites de sa saisine, en reprochant à Richard Y..., de ne pas avoir donné à son salarié, une formation préalable à la sécurité, bien qu'il n'ait pas accepté d'être jugé sur ces faits nouveaux, constitutifs de l'infraction prévue par l'article L. 231-3-1 du Code du travail, laquelle était distincte, en ses éléments constitutifs, de celles visées dans la prévention ;
"3 - alors que l'employeur est exonéré de toute responsabilité pénale lorsque le travail a été placé sous une direction unique autre que la sienne, en raison de la participation de plusieurs entreprises ; qu'il s'ensuit que Richard Y... était dispensé de veiller à l'application des règles de sécurité, qu'elles soient générales ou particulières, par l'un de ses clients qui avait pris livraison des tuiles déchargées par Yvan X..., sous la surveillance du chef de chantier ;
"4 - alors que le délit de blessures involontaires n'est constitué que s'il est le résultat d'une faute pénale imputable au prévenu ; qu'il s'ensuit que la Cour n'a pas donné de base légale à sa décision en se déterminant sur la seule considération que le comportement de Richard Y... était perfectible, sans constater qu'il disposait, au sein du chantier de ses clients, des moyens et des pouvoirs suffisants pour empêcher l'accident dont a été victime Yvan X... ;
"5 - alors que la cour d'appel n'a pas donné de motifs à sa décision, en s'abstenant de répondre aux conclusions de Richard Y... qui soutenait que son entreprise, "est amenée à livrer, sur chantier, des matériaux, et ce sur les commandes fréquemment enregistrées moins de 48 heures auparavant, et qu'elle n'a pas de fait, et à l'instar de ses concurrents, le moindre élément d'information ou d'appréciation et sur la configuration du chantier et sur ses éventuelles spécificités, comme notamment au cas d'espèce, la présence à proximité d'une ligne à haute-tension" (conclusions p. 4) ;
Attendu qu'en déduisant, de l'analyse des éléments de fait contradictoirement débattus, que Gérard Y..., responsable d'un établissement assurant la livraison de matériaux sur des chantiers, avait, en connaissance de cause, méconnu les prescriptions des articles 172 et suivants du décret du 8 janvier 1965 applicable aux faits de l'espèce, manquement ayant concouru au dommage, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé à la charge du prévenu une faute délibérée au sens de l'article 121-3 issu de la loi du 10 juillet 2000, a justifié sa décision ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Karsenty conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, M. Beyer, Mme Thin conseillers de la chambre, M. Desportes conseiller référendaire ;
Avocat général : Mme Commaret ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;