AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la Société nouvelle Bernard, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 29 septembre 1998 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre sociale, section A), au profit :
1 / de M. Roger X..., demeurant ...,
2 / de la société Laureau-Jeannerot, société civile professionnelle, administrateur judiciaire de la Société nouvelle Bernard, dont le siège est ...,
3 / de M. Z..., représentant des créanciers de la Société nouvelle Bernard, demeurant ...,
4 / de M. Z..., mandataire liquidateur de la société à responsabilité limitée Muro-viandes, demeurant ...,
5 / de M. Y..., mandataire ad'hoc de la société Muro Viandes, demeurant ...,
6 / de l'AGS de Paris, dont le siège est ...,
7 / de la CGEA Ile-de-France Ouest, dont le siège est ...,
défendeurs à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 7 novembre 2000, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Boubli, conseiller rapporteur, MM. Carmet, Ransac, Chagny, Bouret, Lanquetin, Coeuret, conseillers, M. Frouin, Mmes Trassoudaine-Verger, Lebée, M. Richard de la Tour, Mme Andrich, MM. Rouquayrol de Boisse, Funck-Brentano, conseillers référendaires, M. Kehrig, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Boubli, conseiller, les observations de la SCP Le Griel, avocat de la Société nouvelle Bernard, les conclusions de M. Kehrig, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 29 septembre 1998), que la Société nouvelle Bernard a donné son fonds de commerce, situé dans le centre commercial Corail aux Mureaux, en location-gérance à la société Muro-viandes et a informé le 22 novembre 1994 le personnel de son passage au service du repreneur ; que le 20 décembre 1994, la société Muro-viandes a été mise en liquidation judiciaire ; que le mandataire liquidateur a invité les salariés à s'adresser au bailleur, au service duquel ils étaient, selon lui, passés par l'effet de l'article L. 122-12 du Code du travail ; que la Société nouvelle Bernard (SNB) estimant que ce texte n'était pas applicable, n'a ni repris ni licencié les salariés ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir dit que la Société nouvelle Bernard était responsable de la rupture des contrats de travail, alors, selon le moyen :
1 / qu'en ne constatant pas que le contrat de location-gérance était expiré soit par l'arrivée de son terme soit par sa résiliation à l'initiative de l'une ou l'autre des parties dans les conditions de forme et de délai prévues au contrat soit par application de la clause résolutoire y stipulée soit enfin par sa résolution judiciaire sur le fondement de l'article 1184 du Code civil, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 122-12 du Code du travail et de l'article 1134 du Code civil ;
2 / qu'en qualifiant de potestative la clause conditionnant la résiliation de plein droit à l'agrément de la bailleresse et en écartant de ce chef sur le fondement des dispositions de l'article 1174 du Code civil, la cour d'appel a soulevé un moyen d'office sans inviter, au préalable, les parties à s'expliquer sur ce moyen et a ainsi violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que la clause résolutoire stipulée au contrat de location-gérance, qui n'exigeait pas une simple manifestation de volonté du bailleur mais supposait l'intervention de circonstances extérieures objectives susceptibles d'un contrôle judiciaire, n'était pas purement potestative et que la cour d'appel a donc violé, par fausse application, l'article 1174 du Code civil ;
4 / que le simple fait que la fermeture du fonds ait eu lieu un mois avant la liquidation judiciaire de la société Muro-viandes n'excluait pas forcément que cette fermeture ait pu être le résultat de la ruine du fonds par son locataire-gérant et que la cour d'appel n'a pas ainsi donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 122-12 du Code du travail ;
5 / qu'il appartenait aux salariés, qui prétendaient faire supporter à la Société nouvelle Bernard les conséquences de la rupture du contrat de travail, d'établir que les conditions d'application de l'article L. 122-12 du Code du travail étaient réunies et qu'il y avait bien eu transfert d'une entité économique conservant son identité et dont l'activité avait pu être poursuivie ou reprise par la Société nouvelle Bernard, qu'il leur appartenait, en particulier, de démontrer qu'en dépit de sa fermeture, survenue un mois avant le prononcé de la liquidation judiciaire de la société Muro-viandes, le fonds de commerce ou, au moins, ses éléments essentiels, notamment la clientèle, avait fait effectivement retour à son propriétaire et qu'en imposant, au contraire, à la Société nouvelle Bernard de démontrer la ruine du fonds, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ;
6 / que la cour d'appel, à laquelle il était demandé de faire application de l'article L. 122-12 du Code du travail, lequel suppose qu'il y ait transfert d'une entité économique conservant son identité et dont l'activité peut être poursuivie ou reprise, aurait dû elle-même vérifier, sans pouvoir se fier aux déclarations de l'une ou de l'autre des parties sur ce point, si nonobstant sa fermeture -par elle constatée- un mois avant la liquidation judiciaire de la société Muro-viandes, le fonds de commerce avait continué d'exister et avait fait retour au propriétaire dans ses éléments essentiels et que, faute d'une telle vérification, sa décision se trouve privée de base légale au regard du texte précité ;
7 / que la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la demanderesse qui, en soulignant qu'aucune résiliation du contrat de location-gérance n'était intervenue de la part de l'une ou de l'autre des parties avant ou après la liquidation judiciaire du locataire-gérant, répondaient bien aux allégations de la société Muro-viandes sur la prétendue "cessation de toute relation contractuelle" et qu'elle a, par là -même violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le liquidateur de la société Muro-viandes, utilisant le pouvoir qu'il tient de la loi du 25 janvier 1985, a résilié le contrat de location-gérance ;
Attendu, ensuite, que par l'effet de cette résiliation le fonds de commerce, qui constituait une entité économique autonome qui n'était pas en ruine, a fait retour à son propriétaire ;
D'où il suit, qu'abstraction faite des motifs critiqués par les deuxième et troisième branche du moyen et qui sont surabondants, la cour d'appel, sans encourir les autres griefs du moyen, a caractérisé les conditions d'application de l'article L. 122-12 du Code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir condamné la Société nouvelle Bernard en paiement de salaires, d'indemnités de congés payés, de préavis et de licenciement, alors, selon le moyen, qu'en l'état de la procédure collective ouverte en cause d'appel à l'encontre de la Société nouvelle Bernard par jugement du tribunal de commerce de Versailles du 8 août 1996, la cour d'appel aurait dû se borner à constater les créances correspondantes et déterminer leur montant à inscrire sur l'état des créances déposé au greffe du tribunal de commerce et qu'elle a ainsi violé les articles 47, 48 et 127 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu que la cour d'appel qui, après avoir fixé les sommes revenant aux salariés à titre de dommages-intérêts, s'est bornée à confirmer le montant de celles allouées par les premiers juges au titre des indemnités de rupture, a constaté les créances à inscrire au passif de la Société nouvelle Bernard ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société nouvelle Bernard aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille.