CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- le comité d'établissement Cegelec, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 23 novembre 1999, qui, après relaxe de Robert X... pour entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, l'a débouté de ses demandes.
LA COUR,
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 432-4-1, L. 435-2 et L. 483-1 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré non établi le délit d'entrave au fonctionnement du comité d'entreprise reproché à Robert X... pour ne pas avoir donné au comité d'établissement Cegelec les informations relatives au recours à la sous-traitance conformément aux exigences de l'article L. 432-4-1 du Code du travail ;
" aux motifs que si la partie civile soutient que Robert X... a refusé de répondre à cette question tant le 20 octobre 1997 que le 23 mars 1998, il convient de constater que la question posée le 20 octobre 1997 ne concernait pas l'information sus-rappelée mais le nombre de chantiers ayant eu recours à la sous-traitance et au nombre d'heures de sous-traitance depuis le début de l'année, ce à quoi Robert X... a répondu qu'il ne pouvait donner une réponse claire pour des raisons informatiques, d'une part, et parce que les prestations sous-traitées l'étaient à forfait ; que cette question n'a été remise à l'ordre du jour des réunions que pour celle du 23 mars 1998 sous un libellé différent "Entreprises extérieures = nom de ces entreprises... nombre des salariés, motifs de l'emploi de ces salariés, nombre de journées effectuées" ; qu'à cette question, Robert X... a répondu que l'entreprise passait des commandes globales et forfaitaires, qu'elle n'avait pas le contrôle des salariés, ni le nombre de personnes affectées à une tâche, ni le nombre d'heures passées et qu'il pouvait simplement donner le montant global des prestations sous-traitées (pour 1997 = 4 600 000 francs, soit 2,3 % de l'activité) ; qu'il n'est pas démontré par la partie civile que ces éléments de réponse soient inexacts ni que l'entreprise utilise des salariés détachés d'une autre entreprise qui seraient sous son contrôle et pour lesquels il y aurait eu un refus d'information ; qu'il sera au surplus relevé que la situation de la sous-traitance fait partie du bilan économique et social qui est à présenter annuellement (art. L. 432-4), et en l'espèce, au comité central d'entreprise et non au comité d'établissement dans le cadre des dispositions visées à la prévention ;
" alors que, d'une part, les dispositions de l'article L. 432-4-1 du Code du travail applicables au comité d'établissement en vertu des dispositions de l'article L. 435-2 du même Code ayant pour finalité de permettre à ce comité de pouvoir suivre très précisément et régulièrement la situation et l'évolution de l'emploi sous tous ses aspects dans l'établissement concerné, il s'ensuit que l'obligation faite par l'article L. 432-4-1 d'une information portant notamment sur le nombre de salariés appartenant à une entreprise extérieure englobe nécessairement la sous-traitance, dont le recours a par nature une incidence sur la situation de l'emploi, de sorte que c'est par une interprétation manifestement erronée du texte susvisé que la Cour a considéré que la situation de la sous-traitance relevait exclusivement du bilan économique et social devant être présenté annuellement au comité central d'entreprise par application des dispositions de l'article L. 432-4 ;
" alors que, d'autre part, pour satisfaire aux objectifs des dispositions de l'article L. 432-4-1 du Code du travail l'information donnée sur la situation et l'évolution de l'emploi doit être précise et complète de sorte que la Cour ne pouvait, sans violer cette exigence, considérer que la question posée lors de la réunion du 20 octobre 1997 relative au nombre de chantiers ayant eu recours à la sous-traitance et au nombre d'heures de sous-traitance depuis le début de l'année n'entrait pas dans les prévisions de l'article L. 432-4-1 du Code du travail de sorte que le refus de Robert X... d'y répondre ne pouvait constituer le délit d'entrave ;
" qu'enfin, l'article L. 432-4-1 imposant une information sur le nombre de salariés appartenant à une entreprise extérieure, le fait qu'une entreprise ait passé des commandes globales et forfaitaires ne saurait exonérer le chef d'entreprise de cette obligation contrairement à ce qu'a considéré la Cour, les considérations tenant au caractère exact ou non des éléments de réponse fournis au comité d'entreprise étant dépourvues d'incidence sur l'appréciation de l'existence du délit d'entrave dès lors que ladite réponse n'apportait pas l'information exigée " ;
Vu l'article L. 432-4-1 du Code du travail ;
Attendu qu'aux termes de ce texte, chaque trimestre, dans les entreprises d'au moins trois cents salariés et chaque semestre dans les autres, le chef d'entreprise informe le comité d'entreprise de la situation de l'emploi qui est analysée en retraçant, mois par mois l'évolution des effectifs et la qualification des salariés par sexes, en faisant apparaître, notamment, le nombre de salariés appartenant à une entreprise extérieure ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Robert X..., chef d'établissement, a été cité directement devant le tribunal correctionnel par le comité d'établissement de l'agence Cegelec Littoral Nord sur le fondement de l'article L. 432-4-1 précité ;
Attendu que, pour débouter la partie civile de ses demandes, la cour d'appel, après avoir exposé que lors d'une réunion du comité d'établissement le 23 mars 1998, une question à l'ordre du jour a porté sur le nom des entreprises extérieures auxquelles il avait été fait appel, le nombre de salariés, le motif de l'emploi de ces salariés et le nombre de journées effectuées, relève que le prévenu a répondu " que l'entreprise passait des commandes globales et forfaitaires, n'avait pas le contrôle des salariés, ignorait le nombre de personnes affectées à une tâche ", et pouvait donner seulement le montant global des prestations sous-traitées ; que les juges en déduisent qu'il n'est pas établi " que ces éléments de réponse soient inexacts ni que l'entreprise utilise des salariés détachés d'une autre entreprise qui seraient sous son contrôle et pour lesquels il y aurait eu un refus d'information " ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'information exigée par l'article L. 432-4-1 du Code du travail englobe tous les salariés appartenant à une entreprise extérieure, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 434-4-1 et L. 483-1 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré non établi le délit d'entrave pour refus de porter à la connaissance du comité d'établissement les contrats intérimaires conclus les 6 derniers mois ;
" aux motifs que s'agissant de la réunion du 23 mars 1998 en prévision de laquelle le comité d'établissement a effectivement demandé à consulter en séance tous les contrats intérimaires conclus les 6 derniers mois Robert X... a répondu que ces documents étaient à la disposition des délégués du personnel qui pouvaient les consulter au service "moyens" ; que s'en est suivi une discussion confuse et houleuse où chacun est resté sur ses positions quant à l'interprétation du mot "porter à la connaissance de" ; que s'il apparaît qu'effectivement Robert X... devait communiquer les contrats dont s'agit pour que les membres du comité d'établissement les consultent, ainsi qu'ils lui en avaient fait officiellement et régulièrement la demande, il demeure que l'inobservation de cette règle ne saurait au cas d'espèce être retenue comme constitutive du délit d'entrave au fonctionnement du comité d'établissement ; qu'en effet il résulte des éléments versés aux débats et qui ne sont pas contestés que partie des membres du comité, par ailleurs délégués du personnel, notamment M. Y..., ont pu, le même jour, consulter lesdits contrats et être ainsi informés de leur contenu ;
" alors que l'obligation faite à l'employeur par l'article L. 434-4-1 du Code du travail de porter à la connaissance du comité d'entreprise ou d'établissement les contrats intérimaires lorsque cela lui est demandé implique de sa part la remise desdits contrats aux membres du comité en vue de la réunion de celui-ci, afin de leur permettre de les analyser, et ne saurait être considérée comme ayant été observée par la simple faculté laissée aux seuls délégués du personnel de prendre connaissance desdits contrats par application des dispositions de l'article 422-1 du même Code, de sorte que la Cour, qui a ainsi considéré que n'était pas constitué le délit d'entrave parce que certains des membres du comité, par ailleurs délégués du personnel, avaient pu le même jour consulter lesdits contrats, n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 231-3-1, L. 432-1, alinéa 4, et R. 231-45 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré non établi le délit d'entrave pour défaut d'information relatif à la formation à la sécurité ;
" aux motifs que Robert X... a rappelé aux membres du comité d'établissement que, dans le cadre du fonctionnement de leur comité, une commission "Formation professionnelle", composée uniquement de représentants du comité d'entreprise élus en son sein, se réunissait au minimum trois fois par an pour étudier et élaborer le plan de formation... qu'il ne peut être reproché à Robert X... un refus d'information du comité d'établissement sur ce point dans la mesure où une structure particulière d'information et de concertation a été mise en place de façon concertée au sein de l'entreprise et où Robert X... a, en dépit des interruptions incessantes, tenté de développer des éléments de réponse qui ne peuvent, de par la seule confusion entretenue par les membres du comité d'entreprise, être qualifiés de non satisfactoires ;
" alors que, dans le cadre des entreprises ou établissements occupants plus de 300 salariés, les dispositions de l'article R. 231-45 du Code du travail exigent que non seulement en vue de la consultation prévue à l'article L. 432-1 le chef d'entreprise informe le comité des actions menées au cours de l'année écoulée en matière de sécurité mais de plus impose la remise d'un rapport écrit détaillé au comité sans qu'il puisse être considéré que l'existence au sein du comité d'entreprise ou d'établissement d'une commission chargée d'étudier et d'élaborer le plan de formation en matière de sécurité puisse être de nature à suppléer l'exigence d'information de l'ensemble des membres du comité en application des dispositions susvisées contrairement à ce qu'a considéré la Cour, qui a ainsi entaché sa décision d'un manque de base légale " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, cité également pour avoir refusé de donner connaissance au comité d'établissement des contrats de travail temporaire et d'avoir omis de le consulter sur l'organisation de la formation en matière de sécurité des salariés temporaires, la cour d'appel, pour déclarer les faits non caractérisés, retient que si Robert X... devait communiquer les contrats aux membres du comité d'établissement qui en avaient régulièrement fait la demande, l'inobservation de cette règle n'est pas constitutive du délit reproché, une partie des membres du comité, délégués du personnel ayant pu consulter le même jour lesdits contrats ; qu'elle ajoute qu'il ne peut être retenu à l'encontre du prévenu un refus portant sur l'information en matière de formation à la sécurité prescrite par l'article R. 231-45 du Code du travail compte tenu de l'existence d'une commission de concertation composée de représentants du comité d'entreprise et chargée d'étudier le plan de formation ;
Mais attendu qu'en statuant par ces motifs inopérants, alors qu'il résulte de ses propres constatations que l'information ne répondait pas aux exigences des articles L. 432-4-1 et R. 231-45 du Code du travail, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Qu'il s'ensuit que la cassation est également encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions civiles, l'arrêt précité de la cour d'appel de Douai, en date du 23 novembre 1999, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens.