AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 janvier 2000), que M. X... a été engagé le 26 août 1991 par la société Sogea en qualité de directeur de l'immobilier ; que sa prise de fonctions était fixée au 2 décembre 1991, date avancée ensuite au 15 novembre 1991 ; qu'un courrier annexé à la lettre d'engagement reconnaissait à M. X... une ancienneté dans le groupe de 27 années lui donnant droit à l'ensemble des avantages définis dans la Convention collective nationale des ingénieurs, assimilés et cadres des entreprises de travaux publics ; que, cependant, par lettre du 11 octobre 1991, la société Sogea l'a avisé qu'il n'était pas donné suite au contrat ; que l'intéressé a alors saisi la juridiction prud'homale pour demander le paiement des indemnités de rupture et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que par arrêt n° 59900614 du 2 février 1999, la Cour de Cassation a énoncé que la circonstance que le contrat de travail ait été rompu par l'employeur avant tout commencement d'exécution ne retirait pas à cette rupture le caractère d'un licenciement ; qu'elle a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 3 octobre 1995 en ce qu'il avait débouté M. X... de sa demande d'indemnité de licenciement et limité les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité de préavis et a relevé que les juges du fond n'avaient pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations quant au contenu du courrier annexé à la lettre d'engagement relatif à l'ancienneté du salarié ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Sogea fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande visant à ce que soit ordonnée la production de la lettre de licenciement notifiée par le précédent employeur de M. X... et condamnée au paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement et d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse calculées en tenant compte d'une ancienneté de 27 ans dans l'entreprise, alors, selon le moyen :
1 / que la lettre du 13 août 1991 relative à la reprise d'ancienneté de M. X... indique : "nous vous confirmons notre accord pour vous conférer, dès votre entrée effective, une ancienneté dans notre groupe de 27 années (à partir du 1er septembre 1964), ancienneté vous donnant droit à l'ensemble des avantages définis dans la Convention collective nationale des ingénieurs, assimilés et cadres des entreprises de travaux publics" ; que cette lettre vise seulement une ancienneté dans le groupe et non dans l'entreprise ; que dès lors, en décidant que la société Sogea s"était engagée à calculer les indemnités de rupture de M. X... et d'éventuels dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse en tenant compte d'une ancienneté de 27 ans dans l'entreprise, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la lettre du 13 août 1991 et ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;
2 / qu'il résulte des articles L. 122-14-4 et L. 122-14-5 du Code du travail que le premier de ces textes ne fixe le montant minimum de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, égal à six mois de salaire, que pour les salariés ayant au moins deux ans d'ancienneté dans l'entreprise ; que dès lors, en allouant à M. X..., qui ne s'était vu reconnaître par la société Sogea qu'une reprise d'ancienneté dans le groupe et non dans l'entreprise, une indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse en application de l'article L. 122-14-4, la cour d'appel a violé les textes précités ;
3 / qu'il résulte des articles 15 et 17 de la Convention collective nationale des ingénieurs et cadres des entreprises de travaux publics que le montant de l'indemnité de licenciement est calculée en prenant en compte l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et non dans le groupe ; qu'en allouant néanmoins à M. X... qui, n'étant jamais effectivement entré au service de la société Sogea, pouvait tout au plus prétendre au sein de cette entreprise à une ancienneté de trois mois correspondant à la durée de son préavis, ce qui ne lui donnait droit à aucune indemnité de licenciement, une indemnité calculée sur une ancienneté de 27 ans qui était celle qui lui avait été reconnue dans le groupe, la cour d'appel a violé les dispositions conventionnelles en cause ;
4 / qu'ayant estimé que le terme de groupe utilisé dans la lettre du 13 août 1991 était équivalent à celui d'entreprise, la cour d'appel aurait alors dû logiquement considérer que l'article 18 de la convention collective, qui prévoit que l'indemnité de licenciement du salarié engagé plusieurs fois de suite dans la même entreprise est calculée en tenant compte de l'ancienneté acquise depuis le précédent licenciement ayant déjà donné lieu au versement d'une indemnité, imposait de calculer l'indemnité de licenciement de M. X..., embauché par la société Sogea après avoir été licencié par une autre société appartenant au même groupe qui lui avait versé une indemnité de licenciement, en tenant compte de la seule ancienneté acquise depuis ce précédent licenciement ; que dès lors, en énonçant que les conditions et les conséquences des ruptures des précédents contrats de M. X... au sein du groupe CGE étaient hors débats et lui allouant une indemnité de licenciement calculée en tenant compte de son ancienneté totale dans le groupe, sans en déduire l'ancienneté qui lui avait permis de percevoir des autres entreprises du groupe des indemnités de licenciement, la cour d'appel a encore violé les mêmes dispositions conventionnelles ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni des conclusions, ni de l'arrêt attaqué que la société Sogea ait soutenu devant la cour d'appel que l'intention des parties avait été d'accorder à M. X... une reprise d'ancienneté dans le groupe et non dans l'entreprise ; que le moyen pris en ses trois premières branches est nouveau ; qu'étant mélangé de fait et de droit, il est irrecevable ;
Et attendu que la cour d'appel, qui avait constaté que l'article 18 de la Convention collective limitant le montant de l'indemnité de licenciement aux seuls cas de licenciement successifs dans la même entreprise, n'était pas applicable, n'avait pas à ordonner la production de pièces indifférentes à la solution du litige ; qu'il s'ensuit que le moyen pris en sa dernière branche n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la Sogea fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant de 1 862 500 francs alors, selon le moyen :
1 / que l'article 15 de la Convention collective nationale des ingénieurs et cadres des entreprises de travaux publics distingue, pour le calcul de l'indemnité de licenciement, selon que l'entreprise est assujettie au seul régime obligatoire de retraite, au taux de cotisations (entreprise + salariés) de 8 %, auquel cas le montant de l'indemnité est égal, s'agissant d'un salarié de plus de dix ans d'ancienneté, à "3 mois + 70/100 de mois par an au-dessus de 10 ans de présence", ou qu'elle est assujettie aux régimes obligatoires et supplémentaire avec un taux de cotisations (entreprise + salarié) d'au moins 13 %, auquel cas le montant de l'indemnité est égal, à "2 mois + 50/100 de mois par an au-dessus de 10 ans de présence" ; que le même texte dispose que dans le premier cas l'indemnité est plafonnée à 18 mois de salaire et dans le second à 12 mois ; qu'en l'espèce, la société Sogea justifiait par la production de son contrat d'adhésion au régime de retraite, que son taux de cotisation (entreprise + salarié) était de 16 % ; que dès lors, en allouant à M. X... la somme de 1 862 500 francs à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement calculée selon le barème prévu pour les entreprises ne cotisant qu'au taux de 8 %, et supérieure au plafond de 12 mois, la cour d'appel a violé la disposition conventionnelle en cause ;
2 / qu'il résulte des écritures de M. X... que la somme de 1 862 500 francs réclamée à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement était calculée selon le barème de calcul prévu par l'article 15 de la convention collective pour les entreprises ne cotisant qu'aux taux de 8 % ; que la société Sogea qui faisait valoir dans ses écritures que les indemnités réclamées par M. X... étaient erronées dans leur quantum, justifiait, par la production de son contrat d'adhésion au régime de retraite, qu'elle cotisait au taux de 16 %, ce qui la faisait relever de l'autre barème moins favorable au salarié ; qu'en se bornant néanmoins à retenir le calcul du salarié, sans vérifier, en l'état de cette contestation et au regard des pièces produites par l'employeur, si ce calcul n'était pas erroné, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte en cause ;
3 / qu'il appartenait en tout état de cause à la cour d'appel, avant de condamner la société Sogea au paiement d'une indemnité de licenciement sur le fondement de l'article 15 de la convention collective, qui prévoit deux barèmes d'indemnisation, de rechercher de quel barème elle relevait ; qu'en se bornant à faire droit à la demande du salarié, sans constater que cette demande était fondée dans son quantum au regard des dispositions conventionnelles en cause, la cour d'appel a encore privé sa décision de toute base légale au regard du même texte ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions que l'employeur ait critiqué le montant de l'indemnité allouée au salarié ;
qu'il s'ensuit que le moyen est nouveau ; qu'étant mélangé de fait et de droit, il est irrecevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sogea aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille deux.