AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze octobre deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller LE CORROLLER, les observations de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, et de la société civile professionnelle BORE, XAVIER et BORE, avocats en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La COMMUNE DE VAL D'ISERE,
contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 28 mars 2001, qui, dans la procédure suivie contre elle, a, sur renvoi après cassation, prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 121-2 et 222-19 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;
"en ce que la cour d'appel de Grenoble a déclaré la commune de Val d'Isère coupable d'homicide et de blessures involontaires et a condamné la commune de Val d'Isère à verser des dommages et intérêts aux différentes parties civiles ;
"aux motifs que si l'exploitant des remontées mécaniques a pour fonction première de faire monter les usagers détenteurs d'un titre de transport, ce transport n'est pas une fin en soi, mais un élément de la jouissance du domaine aménagé et sécurisé permettant la pratique d'activité sportive et de nature s'effectuant sur toute l'étendue librement accessible à partir des remontées mécaniques ; que l'exploitant est en conséquence assujetti, notamment pas par un ou plusieurs arrêtés de police municipale, à un certain nombre de prescriptions réglementaires concernant les conditions d'ouverture et de fermeture de l'accès aux remontées et aux pistes qui en descendent, le balisage des pistes, la signalisation des points et passages dangereux, la mise en oeuvre du PIDA, et plus généralement l'aménagement et la sécurisation du domaine de descente ouvert aux usagers transportés par les remontées ; la violation de l'ensemble de ces prescriptions est d'ailleurs sanctionnée par l'article R. 610-5 du Code pénal ; qu'il bénéficie pour son exploitation des servitudes prévue en dernier lieu par "la loi montagne" non seulement pour les remontées mécaniques, mais encore pour le passage de ses agents et de ses engins sur le domaine skiable lui-même tel que défini par le plan d'occupation des sols de la commune ; ces servitudes profitent également au passage des usagers et aboutissent à une véritable "expropriation temporaire" en tout cas à un droit de jouissance de la surface comprise dans le domaine skiable, notamment pour y tracer des pistes balisées et entretenues ; qu'il s'ensuit que, si seul l'accès aux remontées mécaniques est habituellement payant, l'objet du contrat et la responsabilité de l'exploitant envers l'usager s'étendent à l'ensemble du domaine pouvant être
librement atteint par gravité pendant la descente ; en outre, certaines communes ou certains exploitants organisent l'accès aux pistes de ski de fond et aux itinéraires de raquette selon la même organisation juridique et pratique, sans qu'il y ait ni usage des remontées mécaniques, ni même parfois perception d'une redevance ou d'une taxe ; il s'agit bien de l'accès à un domaine aménagé en vue de la pratique d'une activité physique ou sportive, pour lequel l'emploi des remontées mécaniques est accessoire et facultatif, de même que l'acquittement d'une redevance d'utilisation ; qu'en l'espèce et d'après les éléments constants du dossier, en plus des remontées mécaniques et de l'espace sécurisé permettant de descendre de leur point d'arrivée, le domaine aménagé mis à la disposition des usagers comportait également des pistes de fond et de fonds tracées, aménagées, patrouillées et ouvertes et fermées quotidiennement par retrait ou mise en place d'une signalisation appropriée par les soins du personnel municipal ; il s'agit donc d'un élément inclus dans le domaine exploité par la commune en régie directe ; peu importe à cet égard que l'accès à cette piste particulière ait été gratuite par l'effet d'un choix tarifaire global dès lors qu'il y avait aménagement temporaire spécial par la commune d'un itinéraire dédié à la pratique contrôlée et sécurisée d'une activité sportive de plein air ; en effet, si un usager ne peut se prévaloir de cette qualité qu'à partir du moment où il a acquitté la redevance prévue, lorsqu'aucune redevance n'est instituée, la qualité d'usager découle de l'utilisation du service conformément à l'usage pour lequel il a été créé et mis à sa disposition gratuite ; que cette activité de mise à disposition des usagers d'un espace aménagé pour une activité sportive de plein air constitue une activité de service public à caractère industriel et commercial et, en tout cas, non comprise dans les activités de direction et de contrôle de la société non susceptible par nature de délégation de service public ; elle est d'ailleurs effectivement déléguée dans de nombreuses stations ; comme tout autre exploitant d'une délégation de service public, industriel ou commercial, dont par exemple la SNCF ou La Poste ou tel de club de football dans un stade municipal, l'exploitant d'un domaine skiable se trouve donc avec les usagers dans un rapport de droit privé ne relevant que de la compétence des seules juridictions judiciaires ;
"alors que la commune de Val d'Isère n'assure aucunement l'exploitation des remontées mécaniques sur le territoire de la commune puisqu'il est constant que cette activité est concédée à la Société des Téléphériques de Val d'Isère (STVI) ; qu'en affirmant, néanmoins, que la commune exerçait cette activité, la Cour a fait un amalgame entre l'exploitation des pistes et celle des remontées mécaniques et ne s'est pas interrogée sur l'éventuel partage de responsabilité entre la STVI et la commune dans l'accident, de sorte qu'elle n'a pas motivé sa décision au sens des articles précités" ;
Attendu que, pour caractériser l'infraction reprochée à la commune de Val d'Isère et en tirer les conséquences au titre de l'action civile, les juges du second degré retiennent l'existence d'une faute commise par le maire et ses délégataires non pas à l'occasion de l'exploitation des remontées mécaniques, mais à l'occasion de l'exploitation en régie directe de la partie du domaine skiable servant de support aux pistes de ski de fond ;
D'où il suit que le moyen tiré de ce que la commune de Val d'Isère n'assurait aucunement l'exploitation des remontées mécaniques, concédée à la Société des Téléphériques de Val d'Isère, est inopérant ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de la loi des 16 et 24 août 1790, des articles 121-2 du Code pénal, 1er et suivants, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, après avoir déclaré la commune pénalement responsable, a prononcé des dommages et intérêts au profit des victimes, et de leurs ayants-droit, de l'avalanche ;
"aux motifs qu'il n'y a pas davantage de raisons que l'exploitant d'un domaine skiable impute ses négligences dans le respect des arrêtés municipaux sur la sécurité, dont l'obligation de fermeture à lui spécialement imposée en cas de danger imminent d'avalanche qui figure en toutes lettres dans celui de Val d'Isère, à l'autorité de police ; ni qu'il prétende que c'est celle-ci qui doit décider quotidiennement à sa place de l'ouverture ou de la fermeture de telles ou telles pistes ou secteurs alors qu'au contraire, l'arrêté municipal en vigueur lors des faits lui imposait de procéder à cette ouverture aux heures prescrites, sauf à ne pas ouvrir ou à fermer en cas de danger d'avalanche imminent ; que, par ailleurs, la théorie faisant du chef des pistes un agent administratif exerçant une activité de service public non délégable consistant à exécuter les décisions du maire prises dans le cadre du pouvoir de police de celui-ci, qui paraît avoir été retenue par le tribunal le 7 avril, est logiquement contradictoire car une activité administrative ne peut être source de responsabilité pour une autre personne que son titulaire que si elle est déléguée et donc délégable ; elle laisse, en outre, entière la question de la nature de l'activité lorsque le chef de service des pistes n'est plus le préposé d'une commune mais celui d'un exploitant de droit privé titulaire d'une délégation de service public industrielle et commerciale et en relation de droit privé avec les usagers ;
"alors que si la responsabilité pénale d'une commune peut être engagée dès lors que l'activité, cause de l'infraction, est susceptible de délégation de service public, la responsabilité civile de l'exploitant, dès lors que cette activité relève d'un service public administratif, ne saurait relever, sauf dispositions législatives contraires, de la compétence des juridictions judiciaires ; qu'en l'espèce, l'exploitation en régie directe du service des pistes par la commune de Val d'Isère, prenait la forme d'un service public administratif de sorte que la cour d'appel, juridiction de l'ordre judiciaire, qui retient une faute pénale de la commune dans l'exploitation du service des pistes, ne pouvait, sans violer la loi des 16 et 24 août 1790 et sans s'interroger sur la nature de l'exploitation du service, retenir la responsabilité civile de la commune au profit des victimes de l'avalanche" ;
Attendu que la commune, qui a, devant les juges, dénié que l'activité à laquelle elle se livrait pouvait faire l'objet d'une convention de service public, soutient désormais que l'exploitation en régie directe du service des pistes de ski de fond ayant pris la forme, au cas particulier, d'un service public administratif, seule la juridiction administrative était compétente pour statuer sur sa responsabilité civile ;
Attendu que, faute d'avoir été proposé devant les juges du fond, ce moyen, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
CONDAMNE la commune de Val d'Isère à payer à Suzanne X..., épouse Y..., à Jean Z..., à Céline Z..., veuve A..., aux consorts B..., Erwin et Lorenz Z... et à l'Union Nationale des Mutualistes Libres la somme de 1 800 euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Roman conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Le Corroller conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;