AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X... que sur le pourvoi incident formé par la Société générale ;
Attendu, selon l'arrêt critiqué (Aix-en-Provence, 21 octobre 1999), qu'entre les mois d'octobre 1989 et 1990, Mme Y... alors âgée et en mauvaise santé, a été victime, sur le compte bancaire dont elle était titulaire à la Société générale, de nombreux et importants détournements commis par son employée de maison, Mme Z..., laquelle, après en avoir dérobé les formules, émettait, en imitant la signature de son employeur, des chèques qu'elle déposait ensuite sur son propre compte ouvert dans la même agence ; qu'après le décès de sa mère, M. X...
Y..., agissant en sa qualité d'héritier, a mis en cause la responsabilité de la banque, lui reprochant de n'avoir pas réagi en constatant des mouvements anormaux de fonds sur les comptes de Mme Z... et de Mme Y... ni vérifié la signature figurant sur les titres présentés au paiement ; qu'après avoir constaté qu'il n'était pas établi que les falsifications aient été aisément décelables et rappelé qu'en réglant ces faux ordres de paiement, la Société générale ne s'était pas libérée de son obligation de restituer les fonds déposés, la cour d'appel a cependant limité le montant de la condamnation prononcée aux seuls détournements commis avant le 1er janvier 1990 en considérant que si Mme Y... ne pouvait être tenue pour responsable des agissements de son employée, elle avait en revanche commis une faute en ne se souciant que très tardivement de l'état de son compte dont les relevés, qui lui étaient subtilisés, ne lui parvenaient plus ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X...
Y... fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi limité le montant de la condamnation prononcée, alors, selon le moyen :
1 / que même sans faute de sa part, le banquier n'est pas libéré envers le client qui lui a confié des fonds quand il se dessaisit de ces derniers sur présentation d'un faux ordre de paiement revêtu dès l'origine de la fausse signature du client et n'ayant jamais eu à aucun moment la qualité légale de chèque ; que la banque n'est libérée de son obligation de restitution qu'à la condition que le titulaire du compte ait commis une faute à l'origine du dommage et qu'elle n'ait elle-même commis aucune négligence ; qu'en décidant que Mme Y... avait, à compter du 1er janvier 1990, commis une abstention fautive dans la vérification de l'état de son compte bancaire, ce qui avait pour effet d'exonérer la banque, sans prendre en considération le fait que l'intéressée, qui était très fortunée, était âgée de 78 ans et infirme, alors que ces éléments, qui avaient été spécialement invoqués et n'étaient pas contestés, étaient de nature à justifier qu'elle ne se soit pas souciée durant une année de contrôler la situation de son compte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1937, 1382 et 1383 du Code civil et 35 du décret-loi du 30 octobre 1935 ;
2 / que le banquier est tenu envers le titulaire du compte s'il a lui-même commis une faute à l'origine du dommage ; qu'il faisait valoir que le banquier avait manqué à son obligation de vigilance en ne prenant aucune initiative dès lors que son attention aurait dû être attirée par divers éléments : le changement brutal de fonctionnement du compte de Mme Y... dont il savait qu'elle était âgée de 78 ans et infirme, compte qui, après avoir été constamment créditeur durant plusieurs années de plus de 2 millions de francs, diminuait rapidement et régulièrement depuis que Mme Z... avait été engagée par l'intéressée, le fait qu'elle se présentait au guichet de cette petite agence de Mougins de la Société générale avec des chèques prétendument signés par Mme Y... pour des sommes pouvant aller jusqu'à 100 000 francs, la circonstance enfin que le compte de Mme Z... dans cette même agence, qui avant son embauche par Mme Y... était en permanence débiteur, était tout d'un coup en bien meilleure situation ; qu'en se bornant, pour exonérer la banque de toute responsabilité, à invoquer le devoir de non-ingérence du banquier et l'absence de caractère manifeste de la contrefaçon de signature, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, 1927, 1937, 1382 et 1383 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la capacité de Mme Y... à gérer son compte n'était pas contestée, la cour d'appel a pu en déduire qu'en dépit de son grand âge et de son état de santé déficient, Mme Y... avait commis une faute en négligeant de s'inquiéter pendant plusieurs mois du fonctionnement de ce compte dont les relevés, qui lui étaient subtilisés, ne lui parvenaient plus ;
Et attendu, d'autre part, que la banque étant tenue de ne pas s'immiscer dans les opérations réalisées par ses clients, la cour d'appel, qui a relevé qu'il n'était pas établi que les falsifications aient été aisément décelables par un employé de banque normalement avisé, ce dont il résultait que la Société générale n'avait eu aucune raison de mettre en doute la régularité des encaissements qu'elle effectuait au profit de Mme Z..., a pu en déduire que ni l'importance des opérations antérieurement inscrites au crédit ou au débit des comptes de Mme Y... ou de Mme Z..., ni les fluctuations significatives de leurs soldes respectifs, ne devaient conduire l'établissement de crédit à s'interroger sur la cause ou le montant des mouvements de fonds litigieux ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux branches :
Attendu que la Société générale fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à paiement, alors, selon le moyen :
1 / que, si le commettant ne répond, à l'égard des tiers, que des fautes commises par le préposé ayant agi dans le cadre de ses attributions, le fait fautif du préposé, même lorsqu'il procède d'un abus de fonction, peut toujours être opposé au commettant lorsqu'il est à l'origine de son propre dommage ; qu'en retenant que la banque exposante ne pouvait opposer à Mme Y... et à ses ayants-droit la faute commise par son préposé, laquelle était à l'origine directe du préjudice subi par Mme Y..., la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
2 / qu'engage la responsabilité civile du commettant les faits fautifs commis par le préposé à l'occasion de ses fonctions lorsque celles-ci lui ont procuré les moyens du délit, en sorte qu'en déclarant Mme Y... irresponsable des agissements de Mme Z..., tout en constatant que celle-ci avait dérobé les formules de chèques au lieu et au temps de son travail, et qu'elle avait utilisé ceux-ci en se présentant comme mandatée par la personne qui l'employait, la cour d'appel a violé l'article 1384 alinéa 5 du Code civil ;
Mais attendu que les juges du fond ont relevé qu'en tant qu'employée de maison et femme de chambre de Mme Y..., Mme Z... n'avait pas accès aux chéquiers, qu'elle n'avait jamais été chargée de régler des achats au moyen de ceux-ci, n'était chargée d'aucune tâche administrative et n'avait pas eu à gérer, de quelque manière que ce soit, les comptes de son employeur ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui n'a pas violé les textes visés au moyen, en a fait au contraire une exacte application en décidant que la préposée n'ayant pas agi dans le cadre de ses fonctions, la banque, tiers victime des agissements de celle-ci, n'était pas fondée à rechercher la responsabilité du commettant ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Société générale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq novembre deux mille deux.