AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le six novembre deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller FARGE, et les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et URTIN-PETIT, avocat en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Bernard,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 12ème chambre, en date du 1er février 2002, qui, pour aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'étrangers en France, l'a condamné à vingt mois d'emprisonnement dont quatorze mois avec sursis ainsi qu'à 7 622,45 euros d'amende, et qui a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, 113-2 du Code pénal, 427, 485, 512, 591, 593 et 689 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclare Bernard X... coupable d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'étrangers en France, et en répression, l'a condamné à 20 mois d'emprisonnement dont 14 mois avec sursis ;
"aux motifs propres que Bernard X... ne conteste pas avoir été recruté par Jacqueline Y... son amie d'enfance ; qu'il a reconnu avoir convoyé du Cambodge aux USA des chinoises, à cinq reprises moyennant 3 000 dollars par voyage, étant observé qu'il ne conteste pas avoir agi en connaissance de cause et sous sa propre identité ; que c'est pertinemment que les premiers juges ont relaxé l'appelant d'aide au séjour d'étrangers en bande organisée du 11 mai 1998 à septembre 1998, de recel de passeports, d'usage de faux documents administratifs ; qu'en revanche, au regard des pièces du dossier, des débats et de ses aveux, il convient de le déclarer coupable d'avoir, alors qu'il se trouvait en France et à l'étranger, en accompagnant des femmes en situation irrégulière munies de faux passeports, facilité leur entrée, leur circulation, leur séjour irrégulier dans les pays de transit et aux USA (arrêt, page 17) ;
"et aux motifs adoptés des premiers juges que Bernard X... est un ami d'enfance de Jacqueline Y... et, jeune, vivait au Vietnam dans le même quartier que celle-ci ; il est marié, père de 3 enfants ; en 1996, sa femme a cessé son travail pour élever leurs enfants et lui-même a perdu son emploi ; il reconnaît que, cette année-là, il a accepté 4 ou 5 fois de conduire des chinoises aux USA pour régler ses difficultés financières, il percevait 3 000 dollars par voyage ; il explique qu'il allait au Cambodge et, de là-bas, partait aux USA ; il voyageait avec son propre passeport et la chinoise voyageait avec un passeport belge ; il s'agissait donc bien de clandestins puisque les jeunes femmes avaient de faux passeports belges ; à l'audience, Bernard X... a maintenu qu'il savait que Jacqueline Y... faisait "passer des clandestins" ; après avoir tenté de s'installer au Vietnam, il a déclaré à l'audience qu'il avait renoncé, qu'il travaillait en France en qualité d'attaché commercial et percevait 20 000 francs par mois ; en raison de l'ensemble de ces éléments, il convient de le relaxer des chefs d'aide au séjour d'étrangers en bande organisée du 11 mai 1998 à septembre 1998, de recel habituel de passeports, d'usage de faux documents administratifs et de le condamner du chef d'aide à l'entrée, à la circulation, au séjour d'étrangers à une peine de 24 mois d'emprisonnement dont 21 mois assortis du sursis et 50 000 francs d'amende (jugement, page 24) ;
"alors 1 ) que, pour être punissable, l'aide à l'entrée ou au séjour irrégulier d'un étranger en France doit avoir été apportée par une personne se trouvant en France au moment de la commission de l'infraction ; que, dès lors, en estimant que Bernard X... avait facilité, "alors qu'il se trouvait en France", l'entrée ou le séjour irréguliers de femmes chinoises dans les pays de transit et aux Etats-Unis d'Amérique, tout en énonçant, par motifs propres, qu'il avait convoyé ces personnes du Cambodge aux Etats-Unis d'Amérique, et en relevant, par motifs adoptés des premiers juges, qu'afin de faire un passage de clandestins, il avait préalablement quitté la France pour le Cambodge, ce dont il résulte que le demandeur ne se trouvait pas en France au moment où les étrangers clandestins - auraient-ils transité par la France - effectuaient leur voyage du Cambodge aux Etats-Unis d'Amérique, la cour d'appel qui s'est déterminée par des motifs contradictoires, a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"alors 2 ) que seuls sont réprimés par l'article 21, alinéa 1er, de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger en France ; qu'en l'espèce, pour déclarer Bernard X... coupable de cette infraction, les juges du fond se sont bornés à constater, par motifs propres, d'une part, qu'il avait convoyé des femmes chinoises, à cinq reprises, du Cambodge aux Etats-Unis d'Amérique, d'autre part, qu'il avait facilité leur entrée, leur circulation et leur séjour irréguliers dans "les pays de transit" et aux Etats-Unis d'Amérique, et par motifs adoptés des premiers juges, qu'il allait au Cambodge et de là-bas partait aux USA ; qu'en l'état de ces seules énonciations, dont il ne résulte pas que ledit prévenu aurait introduit ces étrangers sur le territoire français, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"alors 3 ) que, dans ses conclusions d'appel (page 2), Bernard X... avait expressément fait valoir qu'il avait, au départ du Cambodge, accompagné des femmes en situation irrégulière vers les Etat-Unis d'Amérique, sans jamais transiter par la France ; que, dès lors, en le déclarant coupable de l'infraction visée à l'article 21, alinéa 1er, de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, sans répondre à ce chef péremptoire de ses conclusions d'appel qui démontrait que les étrangers qu'il avait pris en charge n'avaient pas été introduits sur le territoire français, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ;
Attendu que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ;
Attendu que, pour condamner Bernard X... du chef d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'étrangers en France, l'arrêt attaqué se borne à énoncer qu'il a reconnu avoir escorté du Cambodge aux Etats-Unis d'Amérique des ressortissants chinois munis de faux passeports ;
Mais attendu qu'en prononçant par ces seuls motifs, d'où il ne résulte pas que les étrangers concernés soient entrés, aient circulé ou aient séjourné en France, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le premier moyen proposé,
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris, en date du 1er février 2002, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Farge conseiller rapporteur, M. le Gall conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;